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De notre envoyée spéciale UFFP à Dakar : Fériel Berraies Guigny
UFFP a rencontré la béninoise Georgette Djenontin Bada dans le cadre d’Africités Dakar 2012. Venue préparer un atelier dans le cadre du PADEL (Programme d’Appui au Développement Economique Local) elle souhaite engager une démarche visant à tenter d’appliquer toutes les expériences et les échanges tirés du Sommet dakarois, dans le cadre du renforcement des capacités professionnelles locales. Mais cet entretien a aussi été l’occasion d’échanger sur la question de la bonne gouvernance, le droit et le statut des femmes et la question de la valorisation de l’économie informelle.
Récit de notre entretien.
Quelle a été la nature de votre participation à Africités Dakar ?
Ma participation à Africités relève des activités dont j’ai la charge au sein du PADEL (Programme d’Appui au Développement Economique Local) programme qui participe au développement économique des Collectivités Locales Béninoises.
Africités est un haut lieu d’échanges entre les élus locaux, les gouvernements centraux et les partenaires financiers. Plusieurs élus ont exposé des stratégies de développement économique local, des politiques financières locales. Nous allons tirer les enseignements de toutes ses expériences, les capitaliser et les adapter au contexte local béninois. Au-delà du renforcement de mes capacités professionnelles actuelles, Africités m’a également permis de nouer des contacts, voire des amitiés qui sont le fondement même de toute évolution personnelle et professionnelle.
Georgette Djentontin Bada
Quelle est votre vision de l’approche territoriale du développable économique en Afrique? le local peut il se substituer au régional voire au global?
A priori, cette approche est la meilleure pour le développement économique.
J’ai l’habitude de dire que la somme des collectivités territoriales constitue l’Etat. Mais dans l’état actuel de choses, sans un développement de la formation et de l’éducation des autorités locales (notamment les maires et le conseil communal), l’approche territoriale du développement économique en Afrique battra de l’aile.
Et ce que je dis est en rapport avec mes observations faites lors des nombreux séminaires, formations, que j’ai eu à organiser durant mon parcours professionnel.
Les ressources financières et matérielles n’impulsent pas à elles seules le développement économique local. Il faut obligatoirement des hommes qualifiés et dignes ; et puis des autorités territoriales qui doivent avoir une vision du développement de leur territoire c’est-à-dire savoir ce dont les territoires ont réellement besoin pour leur développement en analysant les besoins, fixant des priorités et réalisant des projets viables. En effet, il n’est pas rare de voir des fonds retournés ou reportés faute d’utilisation. Cela est souvent dû à une mauvaise préparation du budget qui n’est rien d’autre que l’expression de la politique où se définit les stratégies de lutte contre le sous développement.
Il faut noter que le PADEL a pour mission d’aider les communes à définir cette stratégie à long, moyen et court terme en créant un environnement institutionnel plus favorable au développement économique local
L’assistance et l’éducation à la bonne gouvernance est également essentiel car devenir élu local n’est pas synonyme de devenir homme nanti. Ou alors « nanti, oui ! Mais pour la cause locale ». Tout ce développement nécessite un changement de mentalité et de comportement.
Cependant le local ne peut se substituer au régional, encore moins au global. Trop de décentralisation risque de tuer l’unité et l’intégrité nationales. Une décentralisation non encadrée risque de donner naissance à des états dans l’Etat. Or ce dernier a besoin de tout son territoire pour exister et pour mettre en œuvre sa politique de décentralisation. Il y a des limites à ne pas franchir pour garantir une bonne décentralisation réussie. Elle ne doit en aucune manière entacher la souveraineté étatique.
Aujourd’hui la décentralisation pourrait être une alternative à la profonde crise que traverse l’Afrique? plus d’indépendance de l’Etat, plus de moyens et de transfert d’expertise aussi ?
Est-ce que la décentralisation en elle-même a un lien avec les crises en Afrique ?
Je crois qu’il va falloir aller chercher ailleurs les causes profondes de ces crises en Afrique. Par exemple, les situations actuelles du Mali, du Congo, et puis récemment de la Côte d’Ivoire, du Togo n’ont rien à voir avec la décentralisation. Je pense même qu’il faudra accompagner toute politique de décentralisation d’une déconcentration afin d’éviter des Etats dans l’Etat, chose qui pourrait fortement alimenter les crises en Afrique en général et dans chaque pays en particulier.
Si l’Afrique très tôt ne prend pas ses garde-fous, c’est plutôt la décentralisation qui va générer les crises en Afrique. En effet, avec la décentralisation beaucoup de financements sont directement allouées aux collectivités territoriales sans un contrôle de l’Etat central. Et parmi ces financements, on note de plus en plus en Afrique les financements occultes qui servent à créer et à alimenter les poches de tensions futures.
La compétitivité des villes pourrait commencer par la valorisation de plans de développement dans l’agriculture, la sécurité alimentaire etc…
Vous venez de toucher l’un des points que le PADEL a prévu dans son plan d’action.
L’objectif général du programme est de définir, de façon participative, une vision à long terme du développement local se traduisant par des opérations concrètes de relance de l’économie locale. A cette fin, le programme poursuit entre autres l’objectif spécifique de doter et d’assister 5 villes pour des programmes d’investissement propres à assurer la relance économique et plus particulièrement dans le secteur agro-alimentaire, ce qui va logiquement induire la sécurité alimentaire.
Donc, oui, la compétitivité des villes pourrait commencer par la valorisation de plans de développement dans l’agriculture et la sécurité alimentaire.
Que pensez-vous de l’économie informelle de plus en plus présente en Afrique ? Les femmes y jouent un grand rôle ? au Bénin par ex, quelles sont les mesures incitatives à ce type de dynamisme ? les femmes sont les plus présentes dans ces économies, pourquoi et comment pérenniser leur contribution ?
Je crois que l’économie informelle est incontournable. Curieusement, j’ai vu à Dakar un Ministère du secteur informel et je me suis dit, c’est qui manque à mon pays.
Le Bénin est un pays très particulier en matière de secteur informel. En effet, à ma connaissance, c’est le seul pays où l’essence domestique est vendue à ciel ouvert ! Les gouvernements successifs ont tenté en vain de combattre le phénomène.
Le secteur informel est même le moteur de l’économie. Moi, je me demande pourquoi on parle d’informel car le plus souvent l’Etat et les Collectivités territoriales trouvent leur compte par le paiement des taxes, redevances et impôts.
Les femmes sont les plus présentes parce qu’elles sont les moins scolarisées pour aller partager les bureaux avec les hommes. Donc la masse de femmes déscolarisées, ayant d’ailleurs peu de moyens pour remplir les conditions du secteur formel, se retrouve dans l’informel pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles.
Quand l’Etat ne peut plus assurer le minimum vital, c’est là que les femmes interviennent ? au Bénin sont elles nombreuses à pourvoir à leur communauté ? Comment consolider les mécanismes locaux à leur égard? comment prôner une politique de proximité pour les femmes et les catégories vulnérables ?
Moi, je ne vois pas l’Etat. L’Etat s’occupe de l’Etat et les pères et mères s’occupent du minimum vital des ménages. Les femmes sont très nombreuses à pourvoir aux besoins de leur communauté. Consolider les mécanismes locaux à l’égard des femmes doit commencer par les femmes elles-mêmes, par la culture de l’amour de la femme pour la femme. Les femmes ne s’aiment pas ! Et c’est là tout notre malheur. Les femmes, en tout cas au Bénin, dépassent les hommes en effectif. Et pourquoi ne pouvons-nous pas avoir une femme comme Président de la République ? Une femme présidente de la République saura institutionnaliser le bien-être social. Pourquoi tous les Préfets, les maires sont tous des hommes ? Parmi les 77 maires que compte le Bénin, nous n’avons qu’une seule femme.
La réponse à toutes ces questions se trouve dans les mains de la femme béninoise. Le problème, une fois résolu pour les femmes, ça l’est également pour les autres couches vulnérables car partout où il y a les couches fragiles, la femme est présente.
La décentralisation lorsqu’elle est bien pensée peut responsabiliser les populations à la base? Comment la décentralisation pourrait contribuer à libérer ces nouvelles alternatives au féminin ?
La décentralisation, lorsqu’elle est bien réussie aboutit à une prise de conscience des populations. Cette prise de conscience entraîne leur responsabilisation car cela va de soi.
Je crois qu’il va falloir, au Bénin et au niveau des populations, développer et vulgariser des thématiques comme :
– l’importance de l’entraide des femmes entre elles
– La force des femmes lorsqu’elles s’unissent
– La lutte contre l’égocentrisme de la femme et l’acceptation de la réussite plutôt que l’envie
Ainsi, avec la décentralisation beaucoup de femmes se retrouveront dans les instances de prise de décision. Elles pourraient dès lors prendre les décisions à même de les délivrer des maux qui minent leur vie quotidienne. Et ce mouvement qui va naître de la base remonterait jusqu’au niveau central pour la libération des alternatives.
Pour vous que signifierait un pouvoir local Ethique responsable et paritaire ? Les citoyens devraient participer davantage aux enjeux de leur communauté, quelle méthode leur proposer ?
Le pouvoir local éthique responsable et paritaire est celui-là où :
– les élus locaux font de la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite, leur cheval de bataille
– Les élus locaux doivent gérer la ‘chose locale’ en « bon père de famille ».
– La question du genre est prise en compte et bien respectée pour la mise en place du conseil communal et toutes les instances de prise de décisions.
Que pensez-vous de l’allocution de Monsieur Soglo ancien Président et Maire actuel au Bénin ? quel est votre bilan d’Africités dakar pour vous, les femmes et les catégories vulnérables ?
J’ai applaudi longuement Monsieur SOGLO quant il a prononcé son discours. Je l’ai fait dans l’espoir que ce discours enseigne l’actuel président de la République et tous ceux qui prennent des décisions et signent des engagements pour le compte de notre Cher pays le Bénin.
Mais pour lui, ce discours arrive trop tardivement. Cela aurait été très bien durant les années 1991-1996 où il avait la destinée de tous les béninois dans ses mains.
Personnellement, Africités m’a redonné de l’espoir pour toutes les femmes. J’en ai vues beaucoup qui ont présenté des communications tout comme les hommes, qui ont participé au débats, j’en ai vu qui ont …. Qui ont ….et j’en ai été fière !
Africités a été pour moi le lieu d’acquisition de nouvelles stratégies et expériences en développement économique local ; A moi de les capitaliser et de les mettre à la disposition des collectivités territoriales, c’est d’ailleurs l’un des motifs de ma participation à ce sommet.
En ce qui concerne les femmes et les catégories vulnérables, j’avoue que le chemin reste encore très long et la lutte sera dure. Certains hommes ont compris qu’il faut laisser la femme s’exprimer et aller de l’avant sans contrepartie mais pour beaucoup d’autres la femme demeure une « chose ». Les mentalités finiront par évoluer. Notre objectif à toutes est de tenter de raccourcir le délai pour atteindre ce but