Ghislaine Sathoud DR
Femme engagée, auteure d’origine congolaise, installée aujourd’hui au Canada, Ghislaine Sathoud combat les maux du Monde et de son continent natal par les mots. Elle est venue à nous pour nous parler de son dernier livre » Rendez aux africaines leur dignité » paru aux éditions l’Harmattan un réquisitoire bouleversant et pourtant réaliste qui met en avant les exactions dont nos sœurs sont victimes, mais qui témoigne en même temps, de la formidable résilience des femmes africaines qui réussissent à force de courage et de volonté à déconstruire les fatalités des sociétés contemporaines.
Entretien avec la Présidente de UFFP :
Parlez nous de votre livre?
Mon ouvrage intitulé « Rendez aux Africaines leur dignité » aborde la question des violences à l’encontre des femmes. L’objectif est de sensibiliser l’opinion publique sur toutes ces exactions, mais surtout, je voulais rappeler que le viol de guerre continue de détruire des vies.
2) Quel regard posez vous sur vos sœurs africaines aujourd’hui ? de la diaspora au continent la réalité n’est pas la même pourtant?
Les Africaines, comme c’est le cas pour d’autres femmes à travers la planète, sont confrontées quotidiennement à d’innombrables défis. Il faut admettre qu’aujourd’hui — si l’on se réfère à un passé lointain — des avancées significatives sont enregistrées, et c’est tant mieux. Cerise sur le gâteau : de nos jours, des textes juridiques protègent les femmes, des acquis obtenus au prix de moult sacrifices. Il est regrettable de constater l’existence d’un grand écart — et pas des moindres — entre la théorie et la pratique. Qu’il s’agisse de la sphère publique ou de la sphère privée, toutes nos congénères, qu’elles soient en Afrique ou non, se butent à un obstacle de taille : celui érigé par les injustices fondées sur le sexe. En tout cas, au-delà de tout, nombreux sont les points communs qui nous unissent.
Croyez vous au concept anglo saxon du women empowerment, pour vous cela signifie quoi concrètement?
Tout dépend de la manière dont on perçoit les concepts. Je milite pour l’émancipation de la femme et tous les mécanismes efficaces qui peuvent aider à atteindre cet objectif sont les bienvenus. D’une manière générale, je dois dire l’autonomisation des femmes est un point essentiel. Elle permet de renforcer le leadership. Par contre, je fais partie des gens qui pensent qu’il faut agir à plusieurs niveaux, tant dans la sphère publique que dans la sphère privée. À cela s’ajoute autre chose : il faut toujours prendre en compte le contexte local des populations ciblées…
Il est très facile d’écrire et de militer quand on est dans un pays safe du Nord, beaucoup le reprochent, au quotidien par ex les Femmes du Congo vivent de graves exactions, qu’auriez vous à leur dire?
Ma passion pour les arts et la culture, qui est apparue depuis ma plus tendre enfance pendant que je vivais encore dans mon pays, continue, encore aujourd’hui, d’occuper mon esprit et mon temps. Pendant mon adolescence, outre le fait que je pratiquais du théâtre, je commençais déjà à m’initier à l’écriture. C’est ainsi que j’ai, sur les bancs du lycée, publié un recueil de poésie intitulé « Poèmes de ma jeunesse ». Et dans cette publication, je dénonçais déjà les discriminations sexistes. Ma plume est une arme pour condamner les discriminations, défendre la justice sociale et réclamer le respect des droits humains. Tout ceci pour dire que si je vivais au Congo-Brazzaville, j’aurais fait la même chose puisque tout a commencé là-bas. Quant aux exactions vécues par les femmes en République démocratique du Congo, un pays voisin du mien, ce sont, comme je l’ai souvent mentionné à plusieurs reprises, de graves violations des droits humains. C’est la raison pour laquelle les dirigeants mondiaux devraient redoubler d’efforts pour protéger les populations contre le viol de guerre, un fléau honteux qui existe depuis fort longtemps et qui, au vu et au su de tout le monde, cause bien des désagréments. La Résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU aborde la question de la protection des femmes et des filles, cette catégorie vulnérable, pendant les conflits armés, d’où la nécessité de faire en sorte que cet engagement soit suivi d’actions concrètes.
Bref, je suis dans le même camp que les victimes des violences puisque je participe à la lutte mondiale pour l’éradication des violences faites aux femmes. Et à ce propos, j’ai une pensée particulière pour toutes les victimes de cette barbarie qu’est le viol de guerre. Et ces faits, malheureusement, se produisent dans plusieurs endroits sur le continent africain.
Des role models on en a quelques unes des prix Nobels des présidentes aussi pourtant est ce que cela pèse réellement dans la balance pour nos sœurs qui vivent des difficultés?
Le fait que des femmes puissent accéder à des postes décisionnels constitue un « avantage » d’autant plus qu’elles sont souvent marginalisées. Avant elle la regrettée Wangari Maathai, la Kenyane et plus récemment, en 2011, la présidente du Libéria, Ellen Johnson Sirleaf, et une militante des droits des femmes, Leymah Gbowee se sont vues décerner le prix Nobel de la Paix. Cette distinction peut être perçue, à juste titre, comme une reconnaissance du rôle que joue la femme Africaine dans le développement du continent. Pour parvenir à combattre les violations des droits des femmes, il faut agir sur plusieurs fronts. Et l’addition de plusieurs gains est une force qui pèse sur la balance pour parvenir à l’élimination des disparités entre les femmes et les hommes.
Quoi qu’il en soit, les difficultés sont persistantes à tous les niveaux, et ce, même pour les modèles qui parviennent à intégrer des secteurs traditionnellement non féminin. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait croire, celles-là aussi, surtout elles, doivent batailler durement pour résister aux attaques de leurs collègues masculins qui désapprouvent le changement des mentalités. Par contre, il est indispensable d’accroître le nombre des femmes dans les lieux dits de pouvoir, d’augmenter la visibilité de cette population souvent maintenue « invisible » délibérément. En outre, les décideurs devraient, non pas seulement initier des programmes visant à corriger les inégalités, mais surtout, faire un suivi rigoureux en vue veiller à l’exécution réelle des décisions prises. C’est un travail de longue haleine, mais ce n’est pas un objectif inatteignable. Autrement dit, toutes les actions apportent un plus à l’amélioration de notre histoire commune, à l’avancement de la cause collective.
Les femmes du Nord au Sud sont les catégories vulnérables, en guerre elles sont soit violées ou instrumentalisées, dans le Nord elles sont les plus précarisées face à la crise éco, quelle recette, pour garder et sauver sa dignité quand les systèmes continuent de les occulter?
Effectivement, à l’échelle planétaire, les femmes sont affaiblies par plusieurs maux. Depuis des temps immémoriaux cette situation est connue. Depuis belle lurette, des voix s’élèvent — elles sont fort heureusement de plus en plus nombreuses — pour tirer la sonnette d’alarme et rappeler que la moitié de la population mondiale ne jouit pas pleinement de ses droits. Ces luttes portent des fruits, oui c’est bien vrai. Néanmoins, celles-ci sont, en quelque sorte, inachevées puisque les gains sont fragiles et des régressions peuvent survenir à n’importe quel moment selon que les dirigeants prônent telle ou telle autre idéologie.
Face à cette réalité, la couche de la population concernée par cette « précarité permanente » ne doit pas baisser les bras. C’est dans ce sens que le militantisme et la persévérance aident à déblayer la voie pour éradiquer les stéréotypes et permettre à la femme de prendre sa place dans la société. En d’autres mots, nous refusons de rester des « citoyennes exclues », faisons-le savoir ! Servons-nous de toutes les tribunes pour le dire…
De votre parcours, quels enseignements tirez vous, vous en tant que diversité du Nord quel est le regard que l’on a de vous?
Pour la petite histoire, j’avais passé quelques années en France. Je suis arrivée au Canada, mon pays d’adoption, en 1996, à l’âge de vingt–six ans : depuis ce temps-là, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Consciemment ou inconsciemment, l’immigration, vue sous l’angle du genre, occupe une place significative dans mes écrits. Au fond, mes batailles personnelles trouvent une place dans la mobilisation collective visant à améliorer la condition féminine. Si je venue au Canada en tant qu’étudiante, mère et épouse, pendant mon séjour, bien des choses ont changé. Suite à mon divorce, j’ai dû m’occuper toute seule de mes enfants qui étaient très jeunes au moment des faits, ce qui nécessitait une surveillance rigoureuse. Il fallait donc s’organiser pour trouver le moyen de réussir à concilier convenablement ma vie de famille et mes activités à l’extérieur de mon domicile…
Je m’implique dans diverses activités au sein de ma société d’accueil. Par exemple, en l’an 2000, j’ai participé à la Marche mondiale des femmes avec une pièce de théâtre intitulée « Les maux du silence », une œuvre dans laquelle je retrace le cheminement des femmes immigrantes, leurs luttes et les défis auxquels elles sont confrontées.
Depuis plusieurs années, je suis porte-parole de l’organisme YWCA Canada dans le cadre d’un programme sur la thématique de la violence. J’ai donné plusieurs conférences à ce propos.
Pour ce qui est du regard que l’on a de moi en tant que « diversité du Nord », j’avoue que le sujet est vaste et qu’à ce niveau, il y a aussi des différences entre les discours et les actes. Ce qui est certain, c’est que les défis sont immenses pour celles et ceux qui, comme moi, posent leurs valises ici…
Quels messages voudriez vous donnez aux dirigeants du Nord? à vos sœurs du Sud, à vos sœurs du Nord?
Dans les programmes de coopération avec leurs partenaires, il serait hautement souhaitable de s’assurer du respect des droits humains. C’est pourquoi, les exactions commises contre les populations ne peuvent être passées sous silence. Le message à mes congénères, toutes origines confondues, est celui de la prise de conscience de notre situation collective et de la nécessité de poursuivre notre combat.
Les femmes ne sont pas unies entre elles et donc ne peuvent réellement être un groupe de pression, mais des initiatives de la société civiles, faites par des femmes par ex UFFP pourraient être un wagon de communication, vous en pensez quoi?
LA solidarité féminine : voilà un sujet qui suscite bien des controverses. C’est quoi, au juste, l’union ? C’est quoi la solidarité ? Où commence-t-elle ? À quel niveau faut-il placer des limites ? Doit-on tenir compte du bagage culturel ? Devrait-on s’appuyer sur l’éducation reçue au sein de la cellule familiale ? Quels sont les critères que nous devrons considérer pour définir les comportements de ceux qui interagissent avec nous ? Là où une personne dénonce le manque de « solidarité », une autre peut s’insurger contre une « intrusion » dans la vie personnelle, un désir d’imposer des volontés, voire de l’opportunisme. Vous savez, on peut en parler longuement…
Une chose est sûre, les conclusions que nous tirons partent, assurément, de la définition que nous avons de certaines « notions ». Et pour ce qui est du militantisme, on peut soutenir une cause pour manifester sa solidarité même si les revendications en question ne nous concernent pas directement. Est-ce pour autant dire que notre contribution répond aux attentes ? Sur ce point aussi, ça dépend des interprétations des gens…
Pour ma part, je suis persuadée que les femmes peuvent être, elles sont d’ailleurs, un groupe de pression. Le constat est patent : il y a des diversités régionales quand vient le temps de défendre la cause des femmes. Malgré ces spécificités, elles peuvent focaliser sur les éléments rassembleurs pour unir leurs forces et travailler ensemble. On sait par exemple qu’à travers des conférences mondiales organisées autrefois, les militantes posèrent des actions communes tout en insistant sur leurs réalités personnelles.
Cependant, on entend souvent parler de solidarité dans le mouvement féministe. Ces déclarations ne valent rien tant et aussi longtemps qu’elles sont lancées sans convictions. La solidarité, c’est comprendre les diversités, la pluralité du féminisme. La solidarité, c’est comprendre que les luttes des femmes sont rythmées par l’environnement local, les influences culturelles aussi ! La solidarité, c’est bannir la catégorisation au sein du mouvement féministe…
Je découvre votre association United Fashion for Peace. Vos actions mettent en valeur les œuvres de vos consœurs. Je vous encourage à continuer sur cette lancée car vous contribuez à accroitre la visibilité des femmes. Une visibilité dont elles ont grandement besoin dans un monde où les réalisations féminines sont souvent ignorées…
Rendez aux Africaines leur dignité paru aux Éditions l’Harmattan :
La communauté internationale a fixé les Objectifs du millénaire pour le développement qu’il faut atteindre d’ici 2015. Cette démarche onusienne accorde une place primordiale à la lutte contre toutes les formes de violences à l’égard des femmes. Du côté de l’Afrique, les femmes subissent des violences sexuelles horribles pendant les conflits armés. Cet ouvrage est un plaidoyer qui prône le respect des droits humains.