Prix Terre de Femmes Afrique / Fondation Yves Rocher 2012
Par Yasmina Lahlou
L’édition 2012 du prix Terre de Femmes Maroc et Afrique s’est déroulée le 18 février dernier à Marrakech (Maroc) en présence de Pierre Rabhi, fondateur de l’association Terre et humanisme, père de l’écologie et invité d’honneur de la cérémonie. A cette occasion, celui-ci a notamment évoqué son engagement au Burkina-Faso : « Nous avons travaillé avec des agriculteurs dans les zones les plus arides, avec le soutien du président Sankara. Parlant également des destructions majeures que l’être humain fait subir à l’environnement, il a également lancé un cri d’alarme : « Nous devons prendre conscience de notre inconscience ! ».
La Fondation Yves Rocher, organisatrice de l’événement, a distingué quatre femmes engagées dans des projets de protection de l’environnement, trois Marocaines, ainsi que la Malienne Assétou Kanouté pour son action au sein de l’Association pour le développement des activités de production et de formation (ADAF-Gallé), à Bamako (Mali). Les lauréates ont été primées pour leurs initiatives écologiques originales, des projets novateurs qui aident à préserver les ressources naturelles, éduquer à l’environnement, aimer la nature, tout en contribuant en même temps à l’amélioration des conditions de vie des personnes défavorisées.
Elle se sont vu remettre des donations allant de 2000 à 5000 euros, pour leur apporter « plus qu’une aide financière : un regard bienveillant, attentif, encourageant et la certitude d’être soutenue, suivie et rejointe par d’autres », selon Jacques Rocher, président d’honneur de la Fondation Yves Rocher – Institut de France. C’est en réalisant que les femmes étaient particulièrement sensibles à la protection de l’environnement que cette fondation a créé, il y a onze ans déjà, le Prix Terre de Femmes. Une récompense pour mettre à l’honneur des femmes qui agissent au quotidien, pour servir d’exemple, ouvrir des chemins.
Dame de cœur, mais aussi femmes d’action, Assétou Kanouté est pionnière en son pays, œuvrant inlassablement depuis près d’une vingtaine d’années à la préservation des richesses qu’offre le sol de son pays natal. La singularité de cette dame titulaire d’un Master en Ecologie réside dans le fait qu’elle navigue à contre-courant de la science agronomique classique, qui veut que le scientifique donne les fruits de sa recherche aux paysans après expérimentation. La malienne a choisi de faire l’inverse : elle privilégie le savoir-faire ancestral des paysans, et partant de cela, ajoute la dimension scientifique aux innovations paysannes locales. Elle identifie des cultivateurs qui tentent de trouver des solutions à leurs problèmes agricoles, puis dirige une « expérimentation conjointe » avec les chercheurs de son association. Dans cet espoir, Assétou assure que les 5000 euros qu’elle vient de recevoir contribuera à poursuivre son travail en vue de développer les capacités et les techniques de production des paysans de la région sahélienne dans le cadre d’une agriculture verte, durable et rentable.
Assetou Kanouté dirige l’Association pour le développement des activités de production et de formation (ADAF-GALLE), une ONG qui promeut l’innovation paysanne à Bamako, au Mali.
Entretien avec Assétou Kanouté :
Vous venez de remporter le prix Terre de Femmes Afrique. Que représente-til pour vous ?
Je suis très heureuse de cette belle reconnaissance. Ma fierté, c’est de porter haut la créativité des paysans de ma région. On a toujours considéré que la connaissance se trouvait dans les livres et chez les scientifiques. Or les paysans possèdent eux-aussi un grand savoir… mais trop peu de ressources. Je veux les faire connaître et les aider à développer leur activité.
Parlez-nous de votre parcours professionnel :
J’ai obtenu une licence de biologie à l’Ecole normale supérieure de Bamako, puis une bourse de l’USAID pour suivre un master d’écologie aux Etats-Unis à l’université du Sud-Dakota. J’ai vécu 10 ans là-bas et j’y ai travaillé comme consultante pour WWF, le Fonds mondial de la nature. Après cela, je suis rentrée au Mali en 1992. Actuellement, je donne des cours à l’université de Katiburu où j’enseigne deux matières : le développement rural et l’aménagement des pâturages. En parallèle, je dirige l’association ADAF-Gallé.
Pouvez-vous présenter votre association ?
C’est l’une des plus anciennes ONG féminines du Pays, créée en 1988. Elle œuvre en faveur de la femme pour améliorer sa vie dans le cadre d’activités telles que l’agriculture, l’élevage la micro finance, l’alphabétisation etc. Au sein de l’ADAF-Gallé, nous avons plusieurs programmes, notamment celui de promotion de l’expérimentation et de l’innovation paysanne au Sahel (PROFIS) et pour lequel j’ai reçu cette année le prix de la fondation Yves Rocher.
Comment fonctionne PROFIS et quels sont ses objectifs ?
Nous travaillons avec les paysans à la préservation des espèces forestières et à l’amélioration des arbres fruitiers.
L’approche utilisée pour identifier le savoir ainsi que le savoir-faire des paysans a la particularité de partir de leurs solutions au lieu de partir de leurs problèmes. C’est-à-dire lorsqu’un paysan est face à un problème, il essaie de trouver sa propre solution. C’est généralement le cas des paysans pauvres car, étant donné qu’ils manquent de ressources, ils sont obligés de faire preuve de créativité et de trouver des solutions qui ne coûtent pas cher. Notre association identifie ces innovateurs puis essaie de valoriser leurs innovations ; les plus pertinentes d’entre elles font alors l’objet d’expérimentations.
Cette démarche a permis d’identifier un paysan malien du nom de Sidické Coulibaly qui essayait patiemment et laborieusement de greffer deux espèces fruitières présentes au Mali. Ces fruits sont comestibles et on peut en faire des jus ou bien les faire fermenter pour produire des boissons alcoolisées. A ce jour, le greffage de ces deux espèces a abouti à la création d’une variété très prisée par les paysans des régions de Kaye et de Bandiagara. Nous essayons présentement d’améliorer avec Coulibaly sa découverte. Il existe des techniques actuelles en biotechnologie qui produisent des résultats beaucoup plus rapides mais que l’on refuse d’appliquer parce qu’elles ne respectent pas la nature. On ne veut pas non plus ajouter de produits chimiques dans les fruits.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Mener plusieurs études dans le domaine agricole. Cette année, la pluviométrie était mauvaise, et j’ai constaté que la pastèque jouait un grand rôle dans la sécurité alimentaire. Je viens tout juste de terminer cette étude et je dois en analyser les résultats puis les publier. J’encadre aussi beaucoup les étudiants sur des thèmes qui m’intéressent particulièrement. Exemple : La situation du riz au Mali ; analyse de la production et de la demande. Il s’avère que les Maliens préfèrent le riz local au riz importé. Enfin, notre association ambitionne de développer ses actions. Pour l’instant, seul le Mali et le Sénégal sont concernés par elles, mais nous comptons les étendre au Niger et au Burkina-Faso.