Née au Cameroun, maman de trois enfants, Françoise TRAVERSO est une Juriste de Droit privé spécialisée en Droits de l’Homme. Elle est la Présidente Fondatrice de l’A.I.D.H, Association Internationale des Droits de l’Homme dotée du Statut Consultatif auprès de l’ONU.
UFFP partenaire média du colloque de l’AIDH sur les » Migrations en Europe » au Palais Bourbon ce mois de novembre, prendra part en tant qu’auteure ( Enfance et Violence de Guerre Tome 1 et 2) pour parler de la problématique des enfants déplacés et réfugiés suite aux conflits armés. Une thématique qui rejoint la conférence de l’AIDH soucieuse d’apporter tous les éclairages possibles sur la difficile question de la prise en charge des flux migratoires en provenance d’Afrique et du Monde arabe en Europe. UFFP l’a rencontrée pour vous : AIDH le bilan ? Comment faire le bilan quand on voit le désastre de notre humanité ? Les objectifs de l’A.I.D.H sont encore très loin d’être atteints mais nous avons cependant certaines satisfactions grâce aux actions menées depuis quelques années. Ces actions ont été reconnues récemment. En effet, il ya quelques semaines, j’ai eu l’honneur de recevoir le Prix de la Paix Barthélémy BOGANDA 2015 en reconnaissance des initiatives prises en faveur de la paix en Afrique. Un honneur et une fierté pour mon équipe et pour moi-même. Cela n’est bien sur pas suffisant au vu de nos résultats dans l’amélioration de l’état du monde.
Aujourd’hui la thématique est la question des migrants? Pourquoi même si c’est évident ? Je ne pense pas que le drame de la migration soit si évident aux yeux de tous. Sinon, comment expliquer ces milliers de morts en Méditerranée et le déferlement des migrants sur le continent européen ? Et ces malheureux que j’ai pu rencontrer cet été dans le Sud de la France notamment, à Vintimille, Menton… Nice ? Et ceux de Calais, plus de 6000 recensés, qui vivent dans des conditions inhumaines et dégradantes ? Et ces femmes violées dans la jungle de Calais ? Les malheureux de la Région parisienne, de la Grèce, de la Turquie, de Lampedusa ? Croyez-vous que cela soit à ce point évident? Le problème reste entier et les solutions actuelles et envisagées sont loin d’être satisfaisantes.
Quel est l’état actuel des problématiques? Elles sont multiples mais les plus cruciales pour L’AIDH ? En effet, les problématiques sont multiples et l’A.I.D.H ne prétend pas les régler par cette seule conférence du 06 Novembre prochain. Pour rappel, cette conférence a été pensée, il y a maintenant plusieurs années alors que le monde était simple spectateur des milliers de morts et de disparitions en Méditerranée, de l’accroissement des migrants subsahariens ainsi que ceux du Proche et Moyen-Orient, alors que très peu ne s’en émouvaient. Révoltée par cet état de fait, l’A.I.D.H a décidé d’interpeller les dirigeants du monde en l’occurrence, les Européens et les Africains afin de mettre fin à ces drames humains. Comment rester sans réaction face à une telle tragédie alors même que nos actions vont en direction de l’Homme et de son bien-être ?
Aujourd’hui, l’Europe semble prendre la mesure de ce drame humain, enfin. Il a fallu que la découverte sur une plage du corps inanimé du petit EYLAN, sur une plage de Turquie fasse la Une des journaux pour que les dirigeants européens assouplissent leur politique. Mais ces mesures sont elles suffisantes ? – Contrôle aux frontières de l’Europe, – Tri ou stratification des migrants ? – Répartition des « réfugiés » au sein de l’Union européenne, – Aide au retour des migrants économiques, – Chasse aux passeurs et autres intermédiaires, – Accueil des migrants dans des pays de transit – Jordanie, Libye, Grèce, Turquie, Lampedusa, Italie, France, l’Espagne, Hongrie, Croatie.
Aujourd’hui cette problématique amène son lot de récupérations politiques malpropres, que pensez-vous de l’attitude de certains pays européens? Je veux remercier les Européens d’avoir ouvert les portes aux nouveaux arrivants même si ces portes semblent se refermer tout doucement. Il est vrai que l’on a rarement vu un tel déferlement sauf en période de guerre. Mais ne sommes nous pas en « guerre » contre les inhumanités ? Certains pays européens refusent d’accueillir des migrants en fermant les frontières ou en érigeant des murs pour les stopper. Je reste cependant très critique de ces politiques mises en œuvre tant au niveau des Etats qu’au sein l’Union. Croyez-vous réellement qu’un mur puisse barrer le désir d’un individu qui cherche un mieux vivre ou un refuge ailleurs ? Nous vivons à l’heure de la mondialisation et aucun mur ne saurait arrêter celui ou celle qui cherche tout simplement à survivre. Les causes de départ sont multiples: politique, guerres, misère ou des bouleversements climatiques et il n’y pas de solutions uniques, mais un ensemble de mesures adaptées à chaque désastre à mettre en place. Ce que nous constatons aujourd’hui est la conséquence des inactions face à des problèmes et situations pourtant clairement identifiées et bien souvent provoquées par les volontés de défendre ou d’affirmer une influence politique, économique, culturelle, sur des régions entières sans l’aval des populations. Un exemple simple, la démocratie peut elle être imposée de l’extérieur, à un Etat et à un peuple, sans une longue période d’apprentissages des populations et des forces en présence dans un pays ?
Notre humanisme, versus quotas ? C’est un mot que je rejette totalement. L’Europe se partagerait du « bétail » ? 24 000 ici, 32 000 là-bas… Soyons sérieux, nous savons bien que ces chiffres ne veulent rien dire et sont largement en deçà de la réalité. Et que fait-on de l’excédent ? Les rejeter en mer ou les reconduire humainement dans les pays d’origine voire dans des centres d’accueil dressés au frontières de l’Europe ? En France seulement, ce chiffre ridicule est largement dépassé. Le Sahel et le Monde arabe sont les principaux pourvoyeurs de migrants, une variable endémique, car en plus nous avons les migrants climatiques, les migrants économiques et à présent les migrants politiques? En effet, les migrants viennent pour la plupart des pays d’Afrique, du Proche et Moyen-Orient. Ces migrations vers le Nord se justifient par des conditions de vie misérables des individus dans des pays où règnent les dictatures. L’absence de développement de ces pays, les bouleversements politiques dans le monde Arabe, et les ingérences étrangères sur des politiques internes de ces Etats sont autant de causes directes et indirectes de ces migrations. Bien entendu, je n’oublie pas non plus les migrations climatiques dues à la désertification par exemple. Ces migrants sont obligés de partir du fait de la dégradation de leur environnement local, ce qui rend impossible les conditions d’une vie normale permettant de satisfaire les besoins les plus élémentaires des individus. Les métiers liées aux activités de base permettant de satisfaire ces besoins : agriculture, élevage, pêche, ne sont plus possibles.
Assisterons-nous à une implosion des frontières du Monde ? Il est vrai que les médias nous montrent les « hordes » de migrants en Hongrie, en Allemagne, en Croatie, en Autriche…et cela peut sembler irréel de voir un tel flux humain sur des périodes très courtes. Après la fermeture des frontières hongroises, il a été constaté environ 4000 migrants en Croatie en 24h, plus de 12 000 en Slovénie. Mais, l’on ne saurait parler d’implosion des frontières du monde. Il faut savoir que la population mondiale est estimée à 7,35 milliards d’individus environ en 2015. Le nombre total de migrants s’élève à près de 240 millions d’individus de par le monde selon les Organisations internationales (OIT, ONU, OIM…). Ce chiffre représente un peu plus de 3% de la population mondiale. On ne saurait donc soutenir que la migration entraînerait l’implosion des frontières du monde même si nous constatons une progression de ces données. N’oublions pas que la libre circulation des individus est un droit fondamental reconnu à tout être humain en vertu de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948) et les textes subséquents.
La Carte du monde est redessinée et pourtant les tares sont les mêmes, pauvretés, exclusion, récupérations politiques nauséabondes mais aussi le Terrorisme international ? Je ne crois pas que la carte du monde soit tout à fait redessinée. La migration des individus a toujours existé, celle-ci est liée à l’existence même de l’Homme. Déjà, les Hommes de la préhistoire se déplaçaient pour chercher de la nourriture, de l’eau, des améliorations sur les conditions climatiques. Il y avait également des migrations suite à la domination par des clans plus puissants. Cette donne a-t-elle changé? Je ne le pense pas. Le monde a évolué et les problèmes se présentent sous d’autres formes. Le Continent Africain exhibé pauvre et pourtant si riche. Ce continent mérite un développement structurel de son économie, des usines de transformation de ses matières premières, ce qui fixerait des candidats à la migration. De plus, l’Afrique a besoin d’une réelle démocratie doublée d’une bonne gouvernance pour se sortir de sa léthargie apparente. En somme, l’Afrique a besoin d’un « Plan Marshal » pour son développement à l’instar des pays européens à la sortie de la seconde guerre mondiale. Les pays du Proche et du Moyen Orient souffrent également de l’ingérence des puissances occidentales dans des politiques des pays de ces régions. Cette ingérence, à l’origine de bien des maux est reconnue comme une source de cette migration et du terrorisme international.
Que Pensez vous de la Nobelisation de la Tunisie, c’est un exemple démocratique dans la région et du rôle des femmes et de la société civile ?
Le Nobel de la Paix 2015 honore la société civile dans sa recherche de la paix et de la démocratie dans une société en crise. Le quartet tunisien, lauréat de ce prix Nobel est un exemple à suivre dans la gestion des crises régionales. La Centrafrique, la Libye, la Syrie ou l’Irak devraient fortement s’en inspirer.
Quant à la femme tunisienne, celle-ci a joué un rôle primordial dans le processus de démocratisation issu du printemps arabe. Elle continue par ailleurs à se battre pour avoir sa place à part entière au sein de cette société.
Que propose cette conférence? Un menu assez ambitieux? La conférence du 06 Novembre prochain au Palais Bourbon ne prétend pas solutionner la problématique de la crise migratoire, mais elle aura l’avantage de « secouer le cocotier » et de dire au monde, attention, il est tant d’adopter de vraies mesures qui permettraient d’enrayer des drames humains insupportables. Les tragédies de ces derniers mois en Méditerranée et aujourd’hui encore ne sont pas un épi phénomène. Cela fait des décennies que les migrants se retrouvent piégés en mer Méditerranée, dans des bateaux de fortunes pour atteindre cette Europe tant rêvée, hélas, beaucoup n’y parviendront jamais. En 2011, la Commission européenne proposait une nouvelle approche de la politique migratoire notamment avec les pays tiers. Avons-nous vu des changements ? Je ne le pense pas, nous continuons d’assister au déferlement des migrants en Europe, des milliers de morts en méditerranée, plus de 6000 à Calais, et un grand nombre en Région parisienne. Notre conférence rappelle aux Etats s’il en est besoin, d’accorder une attention égale à tous les migrants sans discrimination d’aucune sorte indépendamment du pays d’origine. Que l’on soit migrant d’un pays en guerre, comme la Syrie, la Libye, la Palestine, l’Irak, le Soudan ou que l’on fuit la misère ou les changements climatiques, la conférence exhortera l’Europe à ne pas faire de distinction quant au traitement de nouveaux arrivants. Ils sont déjà vulnérables et ont plus que jamais besoin de la main tendue. L’Europe doit se souvenir de sa propre histoire. Au 19ème siècle et même bien avant, des millions d’Européens ont quitté le Continent européen dans l’espoir d’une vie meilleure. Ils ont fui la misère, les persécutions et sont partis vers l’Amérique, l’Afrique et l’Océanie. Cette migration européenne fut d’une ampleur sans précédent. Aujourd’hui, le phénomène ne fait que se répéter mais dans des proportions moindres et en sens inverse. De plus, l’ambition de l’A.I.D.H, c’est dire aux Etats Européens que les mesures prises sont loin de régler la crise migratoire et qu’il est urgent de traiter les causes réelles de cette migration dans les pays de départs. Nul être humain n’est heureux de quitter sa terre natale par la contrainte. Une meilleure coordination avec les pays concernés, une stabilité politique, la démocratie, la bonne gouvernance, le développement économique local, sont des mesures qui permettront de réguler les flux migratoires
Des solutions pérennes vous y croyez vraiment? Réalisme ou utopie à construire ? Oui j’y crois fortement, sinon, cette conférence n’aurait pas de sens. Bien sûr, je suis réaliste, la conférence organisée par l’A.I.D.H n’est pas la première du genre, d’autres suivront et doivent avoir lieu. Les Etats européens doivent comprendre qu’aucune frontière, aucun mur ne peut faire barrière à l’aspiration d’un mieux vivre pour sa famille et pour soi-même. Tous y gagneront si des solutions pérennes sont mises en œuvre tant dans des pays d’origine que dans les pays d’accueil. Un clin d’œil à la femme migrante à travers le Gala de charité que l’A.I.D.H organise, le Samedi 07 Novembre, de 19h à 2h00 du matin, à la Maison des Polytechniciens à Paris. Merci ! Merci à vous de me donner l’opportunité de m’adresser à votre public. Merci pour votre soutien à nos actions !