Josette Amor a commencé sa carrière dans la finance classique, mais avec le temps, la quête effrénée  du profit absolu au détriment de l’humain a commencé à l’indisposer. Vivant très mal la dualité entre sa conscience engagée et sa morale et le système dans lequel elle opérait, elle décide d’en sortir. Pour elle  broyer l’humain à tout prix pour faire du chiffre est intolérable.

Par Fériel Berraies Guigny

Elle décidera alors de changer de voie. La finance solidaire, devient son nouveau combat avec l’Epargne solidaire. Nous avons rencontré Josette Amor au dernier Women Tribune d’Essaouira, cet automne dernier. Cette femme au grand coeur,  nous livre  sa vision du monde plus accord avec des principes de vie qui sont aussi le crédo de UFFP.

Entretien :

Josette Amor. Photo DR Ely

Josette parlez nous de votre parcours ?

 En fait, j’ai travaillé une quinzaine d’années dans une banque que j’ai quittée pour créer mon propre cabinet lorsqu’il m’a été demandé de privilégier les intérêts de la banque à ceux des clients. J’ai eu beaucoup de mal à exercer un métier d’argent sans me soucier des conséquences de mes actes. Je pense que ceci a été une grande chance pour moi, celle d’être consciente de la portée de mes actes en terme de retombées humaines et environnementales. C’est ce qui manque dans notre monde en décadence : des chiffres, des chiffres, des chiffres … et du toujours plus ! Durant toutes ces années, ma conscience a été une compagne rigoriste et protectrice à la fois. Ce fut difficile mais ô combien riche ! Là est la véritable richesse. Je vivais une véritable dualité : je critiquais le système d’un côté, et de l’autre, j’exerçais un métier qui l’entretenait. Je me sentais écartelée jusqu’au jour où j’ai décidé de vendre mon cabinet de finance classique pour me consacrer exclusivement à la finance éthique et solidaire, selon mes propres critères : une finance à la recherche d’un seul profit, le profit à la personne, dans le respect de toutes les formes du vivant.

Votre Action, épargne en conscience, le crédit solidaire c’est votre cheval de bataille ?

Epargne en Conscience est plutôt une plate-forme de placements éthiques et solidaires, qui regroupe des produits bancaires solidaires et de partage ; ainsi que des produits d’investissement dans des organismes de micro-finance, des financeurs solidaires et des entreprises à forte utilité sociale et environnementale.

Epargne en Conscience se veut être également un plaidoyer en faveur d’une finance plus respectueuse de l’être humain et de son environnement. Elle tente ainsi de sensibiliser les épargnants à cette finance alternative en les informant et les accompagnant dans la souscription de produits d’investissement éthiques et solidaires.

 Que pensez vous de ce qui se passe à l’heure actuelle dans le Sahel mais également le Monde Arabe ? les femmes comme à l’accoutumée sont victimes de tous les types d’exactions ?

Je compatis réellement aux souffrances des femmes de ces pays qui subissent la barbarie d’individus sans visage humain. Les peuples du monde arabe se battent pour plus  de liberté mais il ne peut y avoir liberté sans responsabilité. On le voit bien avec la prise de pouvoir d’individus peu conscients de leur responsabilité  vis-à-vis des hommes et surtout, des femmes de leur pays. Je comprends l’amertume et le désarroi des femmes qui se sont battues pour plus de liberté et se trouvent piégées par des valeurs en régression dont elles sont les premières victimes. Ainsi va hélas l’évolution de l’Humanité … de la barbarie à l’être évolué tant au niveau temporel, -c’est à dire l’Eternité-, que dans l’espace géographique, avec hélas de nombreux foyers disséminés sur la planète où les femmes se trouvent sacrifiées sur l’autel de cette évolution.

Pourtant dans cette évolution, malgré certaines apparences, la femme ne cesse de gagner du terrain. D’ailleurs, pour bien me faire comprendre, je préfère parler plutôt que d’hommes et de femmes, d’énergies masculines et d’énergies féminines.

Je citerais l’exemple édifiant des pays occidentaux : leurs dirigeants politiques et leurs chefs d’entreprise nous ont façonné un monde en laissant libre cours aux énergies masculines de la force et du rationnel. Nous voyons aujourd’hui le résultat désastreux d’une société coupée du simple bon sens et axée principalement sur la consommation et la recherche du profit maximal.

De plus en plus de consciences s’élèvent pour dénoncer ce système et proposer un changement de paradigme. Dans cette mutation, les énergies féminines de l’intuition et de la sensibilité sont à l’oeuvre pour opérer ce virage indispensable et permettre à la société de retrouver le simple bon sens qu’elle a perdu.

A cet endroit, les femmes ont un rôle essentiel à jouer. Ce sont elles qui donnent La Vie, et à ce titre, elles portent en elles le respect de la Vie et la lourde responsabilité de Mère de famille. Elles ne peuvent se disperser et doivent chaque jour aller à l’essentiel, celui de nourrir leur famille et de conduire leurs enfants à l’âge adulte.

La Tunisie de l’après révolution ébranle les acquis des femmes, que pourriez vous leur dire ? comment rendre une femme autonome selon vous ?.(*) dans le Monde arabe les femmes se buttent aux m enta lités et ont du mal à développer leur entreprenariat quelle solution selon vous ?

Je comprends que les femmes du monde arabe soient ébranlées. Elles se sont battues aux côtés des hommes pour être plus libres et elles font le douloureux constat d’être tombées dans le piège d’individus en quête de pouvoir et de domination sur elles, déterminés à faire régresser le statut de la femme.

Elles doivent selon moi poursuivre leur combat vers plus d’autonomie de façon collective mais également de façon individuelle.

De façon collective, avec l’aide de la population masculine acquise à la cause des femmes, et nous en avons un bel exemple avec ce qui se vit en Inde actuellement. Je veux  parler de ce tragique viol collectif qui a mobilisé une foule immense d’ hommes et femmes.

De façon individuelle aussi, afin qu’elles soient sûres de leur bon droit à être libres et autonomes tant dans leur vie privée que professionnelle.

Je m’explique. De nombreuses femmes ont un double combat à mener :  combat extérieur bien sûr mais également combat intérieur pour se donner le droit de faire ce qui implicitement leur était interdit dans leur passé d’enfant et d’adolescente. Combien de ces femmes ont été littéralement détruites intérieurement pour avoir été d’avantage assimilées à des objets de pouvoir qu’à des personnes humaines ? Il est souvent difficile de faire entendre sa voix ou d’entreprendre lorsque l’on a tenté de faire de vous dans le passé une personne soumise.  C’est pourquoi il me paraît essentiel pour ces femmes d’accompagner toute démarche vers l’autonomie d’une démarche intérieure visant à retrouver peu à peu, par une meilleure connaissance de soi, l’estime de soi et la confiance en soi permettant de se libérer des chaines du passé et d’utiliser leur véritable potentiel.

A cet endroit, je me permettrais d’apporter mon témoignage : j’ai souffert dans mon enfance et mon adolescence de la prédominance masculine et il m’a fallu des années de combat intérieur pour aller vers ce que Je Suis et non pas ce que ma famille voulait que je sois, une petite fille asservie, à l’image d’une mère consentante quant au sort réservé à sa fille. J’ai dû résister avec force contre l’être soumis en moi qui tentait de barrer la route à la femme en quête de libération. « Se libérer du connu » … écrivait Krishnamurti. L’inconnu fait peur, le connu rassure et nous devons souvent affronter cette partie de nous qui refuse le changement, au risque de demeurer dans l’enfermement du passé.

Autre conseil que je permettrais de donner aux femmes en chemin vers l’autonomie, celui de bien préserver leur spécificité de femme dans l’exercice de leur métier, et pour illustrer mon propos, je citerais une fois de plus mon propre exemple.

J’ai choisi d’exercer un métier d’argent, un métier hautement masculin. J’ai pensé qu’il me fallait l’exercer comme mes collègues hommes et très vite, j’ai compris que je faisais fausse route et que le plus que je pouvais apporter, c’était précisément de l’exercer avec ma sensibilité féminine.

J’ai compris qu’être une femme libérée ne signifiait pas forcément être une femme à l’image de l’homme et que je ne pouvais être femme libérée qu’en respectant ce que je suis, une femme avant tout, avec tout son potentiel d’énergies féminines. C’est ainsi qu’est née Epargne en Conscience.

Ce sont ces énergies qui doivent être déployées aujourd’hui dans la société, en synergie avec les énergies masculines et non en remplacement ni en compétition. C’est à cette seule condition que nous pourrons construire des sociétés harmonieuses, à l’image des foyers familiaux qui pour être équilibrés, ont besoin de la présence de l’homme et de la femme, du père et de la mère, chacun dans sa spécificité, chacun dans sa richesse.

Le microcrédit en Afrique est un levier de développement pour les femmes en Afrique comment rendre ce procédé durable ? (*)

De plus en plus  d’organismes de micro-finance concentrent leur aide sur les femmes, qui ont prouvé leur capacité à bien gérer leur trésorerie et à rembourser les prêts qui leur sont accordés. Le micro-crédit a connu récemment de graves écueils, notamment en Asie. Certains organismes peu scrupuleux ont trouvé dans la micro-finance une source de profits, au point de détourner les crédits de leur finalité. Ils les ont ainsi multipliés pour financer des biens de consommation, au risque de sur-endetter certains emprunteurs acculés au suicide. Force est de constater que cette dérive s’est produite principalement auprès d’emprunteurs mâles, les femmes ayant su se protéger de telles pratiques.

Le Women Tribune d’Essaouira et le Maroc vous inspire beaucoup ? qu’auriez vous envie de faire avec la région ?

Oui, j’ai été heureuse de participer à cette belle tribune d’hommes et de femmes désireux de faire avancer le statut de la femme méditerranéenne et africaine. Je salue sincèrement l’initiave de ses fondatrices. Il s’agit d’une manifestation d’avant garde, qui acceuille des femmes certes, mais également des hommes, ce qui pour moi est le plus édifiant. Cette présence masculine  illustre bien le message délivré ci-avant.

Les pays dits évolués souffrent aujourd’hui d’immenses dommages occasionnés par la prédominance des énergies masculines de la force et du rationnel, qui si elles ne sont accompagnées des énergies féminines de la sensibilité et de l’intuition, aboutissent au désastre actuel d’une société basée sur la consommation et la loi du profit maximal, quels que soient les dommages sur la personne humaine et son environnement.

Les hommes présents au women’s tribune ont compris les bienfaits de l’action des femmes dans la société ainsi que le rééquilibrage indispensable à opérer entre énergies masculines et énergies féminines pour construire un nouveau paradigme axé sur le bien être de l’être humain et la préservation de sa terre d’accueil. Ce sont eux, par leur présence et leur ressenti, qui peuvent aider les femmes dans leur combat pour une avancée de leur statut. Ceux là montrent le chemin aux autres hommes qui souvent par ignorance ou inconscience ne comprennent pas qu’ils ont tout intérêt à laisser les femmes déployer leur potentiel pour le développement de leur pays et le bien être de leur population.

De la même façon, je suis heureuse que cette tribune de femmes sorte des sentiers battus du féminisme et inclut les hommes dans ses réflexions pour faire avancer le statut des femmes et par là même la société dans son ensemble.

Vos envies pour la région ?

Lors du Women’s Tribune, j’ai pu présenter les projets que je nourris pour le Maroc, pays de mon enfance et de mon adolescence. Je souhaiterais vivement y dupliquer l’action d’Epargne en Conscience afin d’aider mes sœurs et frères marocains en précarité.

Je pense notamment à la création d’un livret d’épargne solidaire ainsi que la constitution d’un groupe de travail franco-marocain destiné à faire connaître les expériences françaises en matière de finance solidaire, de micro-crédit et d’entrepreneuriat social. J’évolue dans ce milieu depuis plusieurs années et souhaite mettre mon expérience et mes compétences au service de la population marocaine intéressée par ces axes de solidarité.

Une initiative comme UFFP née du désespoir des femmes et des jeunes du Sahel et du Monde Arabe, qu’est ce que cela remue en vo us ?

Je salue votre combat courageux et ne peux que vous encourager à le poursuivre pour faire entendre haut et fort la voix des femmes d’Afrique. Votre revue peut jouer un rôle important en tant que lieu de rencontres et d’échanges des femmes et des jeunes de ces régions. Rôle important dans la promotion d’une société plus éthique, plus solidaire, plus belle. Vous avez le sens du Beau souvent oublié de nos médias. Il s’agit selon moi d’un véritable atout pour votre revue.

J’aimerais que votre revue soit aussi un chant d’espoir pour les femmes … La réalité, leur réalité est souvent dure, très dure. Pourtant, malgré les apparences, « le Ciel est avec vous », ai-je envie de leur « chanter ». « Les hommes n’ont d’autre choix que celui de composer avec vous Mesdames, et pas seulement au sein du foyer familial où vous réussissez avec brio. Que feraient-ils sans vous … pour eux-mêmes, pour leurs enfants ? Je me le demande. L’Humanité est en pleine transformation, et dans cette mutation, vous toutes de tous pays devenez incontournables pour construire un monde plus vivable, digne d’êtres humains. Vous êtes fortes et vous vaincrez. Alors, comme disait Soeur Emmanuelle « Yallah ! »…

Pour vous un Monde meilleur serait ? un capitalisme solidaire c’est possible ?

Je suis très en colère contre le capitalisme sauvage qui broie les êtres humains et détruit la planète au nom du sacro-saint profit. Une société aliénée créée de toutes pièces par des individus  coupés de leur nature d’être humain et qui veulent faire de nous des objets de consommation et de production au service de leur avidité.

Bien heureusement, un nouveau monde émerge ici et là, construit par des personnes responsables, à l’écoute de leur coeur et de leur conscience.

En France, une nouvelle race d’entrepreneurs émerge : les entrepreneurs sociaux, qui mettent l’humain et l’environnement au coeur de leur action. Pour ces entrepreneurs, la rentabilité financière n’est plus le seul signe de la réussite. Rentabilités sociale et environnementale lui sont hautement associées.

Oui, je pense que le capitalisme peut être solidaire et responsable. Il est normal que des personnes à l’esprit entrepreneurial aient les moyens de créer leur entreprise. Le gain d’argent ne me paraît  pas condamnable dès lors qu’il ne se fait pas au détriment des ressources humaines qui créent de la valeur au sein de l’entreprise ni au détriment de la planète.