Nadia Hathroubi-Safsaf, 38 ans, est rédactrice en chef du mensuel en kiosque, Le Courrier de l’Atlas qui traite de l’actualité du Maghreb en Europe. Engagée, cette maman de 3 enfants est également conseillère municipale déléguée à la jeunesse depuis avril 2014. Elle est l’auteure de 2 livres parus aux éditions les points sur les I et qui traitent de l’histoire de l’immigration. Un thème cher à cette franco-tunisienne. Mais cette fois, elle a choisi de mettre des mots sur d’autres maux, les violences faites aux femmes.
Entretien avec UFFP
Pourquoi ce livre?
Je voulais parler autrement d’un sujet grave. C’est un livre iconoclaste. A mi-chemin entre un essai et un recueil de nouvelles. Il a pu voir le jour grâce au talent et la disponibilité de 13 autres auteur(e)s :
Fatima Ait Bounoua, Iman Bassalah, Nadia Henni-Moulaï, Chloé Juhel, Manon L’hostis, Marion McGuinness, Karima Peyronie, Erwan Ruty, Rachid Santaki, Marlène Schiappa, Nadia Sweeny, Djeffa Tisserand, Raphal Yem. Il ont donc relevé le défi d’ « humaniser » ces victimes en imaginant une fiction autour de ce thème difficile des violences faites aux femmes : Harcèlement moral, sexuel, viol, insultes, coups.
Entretien UFFP
La violence sur les femmes est malheureusement un fait endémique dans le Monde, mais en France, avez-vous des chiffres?
654 000 femmes déclaraient avoir été victimes de violence physique en 2009 soit plus de 20 000 qu’en 2008. En 2013, 129 femmes été tués par leur conjoint ou ex-compagnons et 33 enfants sont morts. Des chiffres qui font froid dans le dos.
La plus grande difficulté pour ces femmes c’est de briser le silence? Pourquoi selon vous, attachement, culture, dénégation?
Ces femmes mal informées, mal accompagnées ne portent que rarement plainte (seules 16% d’entre elles). Il y a la crainte du regard de la société. Certaines refusent l’assignation « victimes » mais aussi la peur des lendemains. Pour les femmes victimes de violences conjugales, elles souvent ont perdu confiance en elles, elles pensent qu’elles auront du mal à se débrouiller seules ou avec leurs enfants. C’est là que le rôle des associations est essentiel. Il faut accompagner, aider. Il faut libérer la parole. Le rôle de la plateforme d’écoute 3919 est à ce titre très important. C’est le premier pas à franchir pour être écoutée, guidée.
Selon vous, comment faire pour réellement alerter les consciences ?
Il faut davantage de prise de parole des femmes victimes. Notamment de viols, de harcèlement sexuel, moral. La honte doit changer de camp. Il faut que les élu(s) locaux s’emparent du sujet. Il faudrait dans chaque ville, une association-relais. Il faut mener des actions de prévention de proximité. Il ne faut pas détourner les yeux. Cette femme peut-être votre mère, soeur, amie, voisine, collègue.
Pour vous humainement et émotionnellement qu’est ce que cela a impliqué pour vous?
Cela peut renvoyer à des choses plus personnelles. Toute femme a une anecdote-le mot est mal choisi-mais toute femme a pu être confrontée à cette situation de violence : harcèlement de rue, attouchement dans les transports en commun. Il ne faut pas accepter que ce soit banal.
De la marche des Beurs à ce livre, quel lien ?
Le livre sur la marche pour l’égalité et contre le racisme avait pour vocation de susciter une réflexion autour de la quête de l’égalité. Finalement, dans les violences faites aux femmes, c’est une autre forme d’égalité qui est interrogée.
Leur point commun, c’est cette envie de bousculer les mentalités. On a aussi le même éditeur qui me fait confiance livre après livre. Cette relation aussi est importante à mes yeux.
Vous êtes la rédactrice chef du Courrier de l’Atlas, en ces temps instables, comment faites-vous face aux risques d’amalgames quant à la Communauté arabo musulmane de France? N’est ce pas là aussi une autre forme de maltraitance pour les femmes de ce bord?
J’ai choisi d’abord le silence. Le jour qui a suivi l’attaque terroriste de Charlie Hebdo, j’ai refusé toute les interviews. Je voulais prendre du recul. Quand je vois la montée de l’islamophobie et le nombre d’actes racistes depuis ce funeste 7 janvier 2015, j’ai mal et j’ai peur que nos enfants grandissent dans la haine de l’autre. Ou même dans la haine de soi.
Que voudriez-vous dire aux UFFPiennes du MONDE celles qui sont en crise ou en transition dans leur vie?
Je vais emprunter les mots de l’écrivain William Ernest Henley et qui était le poème préféré de Nelson Mandela, un grand sage qui a connu l’injustice, l’emprisonnement.
« Dans la nuit qui m’environne,
Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Je loue les Dieux qui me donnent
Une âme, à la fois noble et fière.
Prisonnier de ma situation,
Je ne veux pas me rebeller.
Meurtri par les tribulations,
Je suis debout bien que blessé.
En ce lieu d’opprobres et de pleurs,
Je ne vois qu’horreur et ombres
Les années s’annoncent sombres
Mais je ne connaîtrai pas la peur.
Aussi étroit soit le chemin,
Bien qu’on m’accuse et qu’on me blâme
Je suis le maître de mon destin,
Le capitaine de mon âme
Et pourtant la menace du temps
Me trouve et me trouvera, sans peur.
Peu importe l’étroitesse de la porte,
Le nombre des punitions sur le parchemin,
Je suis le maître de mon destin :
Je suis le capitaine de mon âme. (…) »