Fofana voit la vie en indigo

  • By SLKNS
  • 14 mars 2012
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Plasticien, calligraphe, designer textile, Aboubakar Fofana cultive depuis plus de 20 ans, la passion pour le colorant végétal Indigo.

photos  François Goudier

Par Diane Cazelles

Expression d’une tradition séculaire africaine et d’un design contemporain, ces œuvres associent la teinture à l’indigo naturel à des supports textiles biologiques et précieux.

Né à Bamako, il vit en France pendant de nombreuses années avant de revenir au Mali. Porteur d’une double culture, il lui faut quelques années, dans l’incertitude et la souffrance, dans l’apprentissage et la recherche, pour assimiler toute la richesse de cette dualité. Il acquiert en Europe un sens du raffinement et un savoir littéral, à travers en autres, l’étude de la calligraphie. En Afrique, il redécouvre ses racines, ses traditions et leurs expressions graphiques. Lié aux deux univers, son champ d’exploration alimente sa création. Aboubakar va et vient entre ces deux continents ; sa maison est ici et là bas, pour cet infatigable voyageur curieux du monde.

Lauréat du prix « Villa Médicis Hors les Murs » et « Villa Kujoyama » AFAA (Association Française d’Action Artistique), il effectue plusieurs séjours au Japon. Pays de tous les contrastes, où la tradition cohabite avec les technologies de pointe, Aboubakar prend conscience de la souveraineté de cet art. Il approfondit ses connaissances auprès de maîtres teinturiers réputés qui partagent avec lui cette même passion. Comme la calligraphie, l’école japonaise lui enseigne la rigueur et la discipline dans le domaine de la teinture qu’il transmet aux artisans travaillant avec lui. En 2003, Aboubakar installe à Bamako son atelier de teinture, éditant une première collection d’accessoires. Lieu de travail, il assure la formation d’artisans et reçoit des stagiaires.

 La Teinture

Depuis des siècles, de l’Asie à l’Amérique, le bleu est obtenu à partir de plantes à indigotine. Sur huit cents espèces répertoriées dans le monde, plus de six cents se trouvent sur le continent africain. Culture devenue rare, l’indigofera arrecta que récolte Aboubakar, est un arbuste poussant dans la zone sahélienne. D’une excellente qualité tinctoriale, il ne suffit cependant pas à la production de l’atelier. Il faudra faire des milliers de kilomètre et partir en Guinée pour collecter le lonchocarpus cyanescens sauvage. Les jeunes feuilles sont recueillies, pilées, mises en boule puis séchées. Ces boules de compost sont conservées jusqu’à l’emploi. Avant l’invention de l’indigo de synthèse au XIXe siècle, les plantes indigofères étaient les seules sources de bleu avec le pastel qu’elles détrônèrent pour leur meilleur rendement. Émerveillé par la magnificence des nuances de bleus générées par cette plante verte.

La préparation des cuves nécessite une longue semaine. Le compost d’indigo est mélangé à une solution d’eau et de cendres de mil et, jour après jour, le mélange est délicatement brassé. L’eau utilisée est pure et rien ne doit altérer la fermentation qui s’opère. Fragile gestation naturelle, c’est un élevage de bactéries dont il faut prendre soin. Bouillies, miel, dattes séchées viendront alimenter ces micro-organismes. Aboubakar soulève les couvercles de bois qui couvrent les cuves et inspecte avec bonheur l’onctueuse fleurée écumante qui recouvre la surface. Il est temps de les faire travailler ! Un roulement est organisé entre plusieurs cuves car, à chaque teinture, il faut doser la sollicitation pour ne pas trop épuiser les bactéries, les laisser se reposer et se renouveler. Les cuves âgées de huit à neuf mois sont réservées à des nuances délicates, tandis que les jeunes bactéries délivrent les bleus les plus intenses. Les textiles sont préalablement lavés, rincés plusieurs fois. Puis, d’un geste sûr, Aboubakar fait glisser dans le liquide la pièce de tissu. Du bout des doigts, il manipule avec douceur, dans un sens puis un autre, les fibres dociles. De grands écheveaux de coton sont plongés dans la cuve avec la même légèreté. Posés sur un bambou, ils retournent au bain maintes fois. Le liquide fermenté dégage une odeur un peu acre et colore sous les remous légers les fibres d’un ton verdâtre. Le temps est mesuré, les gestes presque comptés. Le dernier, fascinant, tend, tord et essore. C’est l’instant magique, l’aveu ultime se glissant au milieu des fibres au moment où l’air pénètre et prend contact avec la teinture absorbée ; le bleu révélé apparaît comme une nouvelle lueur. Etendus, les cotons et les lins vont danser, s’ébrouer encore pour laisser pénétrer l’oxygène de l’air. Ensuite, dans un bain d’eau claire, le bleu prendra son véritable éclat.

« Pour moi, chaque nuance évoque une émotion particulière », confie le plasticien recherchant sans répit celle qu’il voudrait atteindre. Du néant au plus saturé, les bleus de l’indigo naturel sont d’une infinie richesse. Histoire de molécules ! Au contact de l’air, l’indoxile soluble et incolore dans le liquide devient l’indigotine insoluble et bleue, cette alchimie délivre un teint qui ne déteint pas, ni ne laisse de traces…

Eco Design

Pour Aboubakar Fofana, l’application au design textile est née d’une volonté partisane, celle de sauver le patrimoine culturel africain lié à la filière textile. Avec ses produits industriels et chimiques, le monde moderne a pris de vitesse la tradition, provoquant des désordres écologiques et stoppant la transmission des savoir-faire. Teinture végétale, culture de l’indigotier, du coton biologique, filage et tissage manuels tendent à disparaître. Face à ce constat dramatique, Aboubakar adapte les techniques anciennes aux expressions contemporaines. Il réédite et crée des pièces textiles pour la mode, la décoration, et prolonge ses recherches à travers des œuvres expérimentales et plastiques.

Aboubakar utilise différents matériaux textiles comme support de création. En camaïeux, les fils de coton bleutés se tissent en rayures avec les écrus pour les accessoires de la ligne Sawura créée par Aboubakar. Il teint et façonne le finimugu ou bande de cotonnade filé et tissé à la main, le lin, le chanvre, la soie, le pina (fibre d’ananas)… De par leur caractère écologique et la préciosité de leurs fibres, ces matières conviennent à la teinture naturelle, unie, en plusieurs nuances. Shibori ou tye and dye, le travail de réserves pratiqué sur toutes sortes de supports avant teinture, permet de réaliser des motifs uniques. Du voile aux textures plus lourdes, le textile prend les formes de couvre-lit, portière, coussin, moustiquaire…. de quoi habiller la maison toute entière.  Art de vivre qui se conjugue avec des vertus apaisantes, favorisant la rêverie, le bleu se porte aussi avec élégance en étole, chèche, ou chemise… Sa production conjugue les accessoires de mode et de décoration en pièces uniques et en série limitée.

Ce créateur propose un travail extrêmement original où l’esthétique et l’éthique « durable » se rejoignent avec talent. A l’heure de la plus grande préoccupation planétaire qui est de protéger l’environnement et de lutter contre toutes les formes de pollution, son positionnement en Afrique s’applique à créer, à partir des matières premières de proximité, des produits finis avec une valeur forte valeur ajoutée. S’identifiant pour tout à chacun, ces créations « hors mode »  portent une notion d’universalité.

Soutenant avec ténacité cette activité au Mali, Aboubakar travaille à la relance de la filière indigo végétal mettant en place la culture de champs de coton biologique et d’indigo.  Il diffuse ses produits sur la scène internationale, assurant la promotion de l’excellence de la filière textile malienne. Dela Franceau Japon depuis 1996, en passant par le Canada, ses interventions et ses expositions démontrent ses compétences et font de lui un chercheur réfèrent dans cette matière. Il partage ses activités avec Paris et organise des stages dans son atelier show room d’Aubervilliers. Garance, gaude, cochenille, font aussi partie de la palette de ce merveilleux coloriste.

Esthétique et symbolique

Son inspiration prend sa source dans la nature. Médiums et supports sont des matières vivantes,  issues de la terre et du ciel. Du minéral au végétal, Aboubakar travaille avec les âmes. Son expression, nourrit d’une pensée animiste, révèle la vie et le sens profond de chaque chose. Elle se dévoile en traces, signes et empreintes,  et invente une écriture libre et plastique, témoignant de l’intense émotion de l’artiste. Combinaisons multiples d’évocations, ses œuvres relatent avec poésie et respect la mémoire de l’humanité. Il développe ce travail avec une autre technique de teinture naturelle emblématique du Mali, le bogolan – résultat d’une réaction d’oxydation à partir d’une plante tinctoriale tanifére, le n’galama et d’argile ferrugineuse, colorant un support textile de l’ocre jusqu’au noir.

Entre calligraphie, design textile et œuvres plastiques, la cohérence de ce travail reflète le même élan de création. Le souffle de l’écriture rejoint l’exécution enlevée et rythmée de l’œuvre graphique. L’émotion guide le geste. Du bogolan à l’indigo, pour aller au plus profond de la couleur et de ses nuances, le temps agit et mesure ses effets. Sorte de magie maîtrisée, le textile répond à la manipulation du  chercheur passionné en livrant une invraisemblable intensité. Traces et empreintes se combinent ensemble et composent une sorte de partition musicale faite de pleins et de vides. Cette expression graphique porte en elle l’héritage de la discipline calligraphique longuement apprise et perpétue la symbolique d’une pensée animiste, l’œuvre transmet son appartenance au monde contemporain, un monde sans frontière soumis à l’émotion pure.

Photos François Goudier

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