Le monde est en transition en ébullition, du Nord au Sud, l’identité est en question, les communautés et certains mythes s’affrontent. Des communautés érigées l’une contre l’autre à défaut d’être l’une avec l’autre en ces temps incertains.
UFFP a rencontré la psychiatre et écrivaine engagée, Fatma Bouvet de la Maisonneuve :
Fatma Bouvet de la Maisonneuve psychiatre, auteur, activiste
Entretien avec UFFP
Le Monde est en ébullition du Nord au Sud, la géopolitique mondiale et nos sociétés s’agitent en tant que thérapeute que ressentez vous ?
Ma place : celle d’une psychiatre, et d’une écrivaine, engagée dans la vie de la cité et qui écoute avec le plus d’acuité possible les tendances . Je pense qu’il y a un réveil , dans le monde entier, je ne le vois pas que dans les pays du Sud, il est global . On a tort de rendre péjoratif le mot woke car est woke celui qui se préoccupe du progrès humain , celui qui se réveille face aux injustices de ce monde . La mondialisation nous fait tous subir le même mouvement conservateur politiquement mais les peuples sont plus progressistes . Les jeunes sont un excellent exemple et les mouvements de la GenZ le montrent : il n’y a plus de frontières telles qu’on les a imaginées auparavant, il y a des riches et des pauvres, des dominants et des dominés. La prise de conscience est générale et fédère .
Le Sud est aussi dans le Nord, la crise au Moyen Orient a redessiné les relations et le vivre ensemble en occident pour les communautés issues de la diversité?
Je pense que le génocide à Gaza est une révélateur. On s’identifie aux dominés car nous sommes nombreux à être dominés . Nous avons tous un peu en nous quelque chose d’un ou d’une Gazaoui que nous voyons dans les média . La loi du plus fort s’exprime encore , malgré les négociations pour un cessez le feu, des civils sont encore tués, des terres sont occupées , des oliviers coupés. Cela est un symbole majeur qui signifie que les lois, peuvent ne pas être appliquées , que l’on peut tuer impunément sans être sanctionné . C’est un message terrifiant pour une société dont un des principes, pour gérer nos pulsions ,est de faire respecter les lois . Ce qui nous arrive en France, depuis le 7 octobre 2023, et puis bien avant, mais là les faits ont été plus visibles et l’injustice et la violence des postures se sont exprimées au grand jour laisse effectivement perplexe quant à notre capacité de nous ressouder. Des médias, des politiques et des leaders d’opinion ont volontairement reconstruit un narratif. Ils ont fait croire que les français maghrébins/ musulmans/ d’une certaine gauche n’ont jamais condamné les atrocités du 7 octobre et à partir de là, ont déroulé un narratif qui ne laissait plus aucune place au dialogue, qui montrait du doigt tout ce qui pouvait condamner la politique israélienne , les accusant d’antisémitisme par des invectives , des approximations , qui n’ont fait que nourrir des divisions déjà bien engagées depuis une certaine politique . Oui, nous avons beaucoup été divisés par des mensonges , des délires, de la désinformation basés sur des clichés nourris abondamment depuis des décennies
En France quel est l’état du racisme, de la stigmatisation, tue t il toujours silencieusement?
En France, le racisme est un délit . Peu le savent et peu portent plainte contre ce délit. Autrement , de nombreux plateaux télés et radios seraient suspendus, un moment , le temps d’enquêtes , au moins . La France n’est pas plus raciste qu’avant, mais il demeure un imaginaire collectif colonial bien encré. A ce sujet j’ai écris une manifeste Debout, tête haute ! Editions du Croquant pour démontrer que le racisme prend de nombreux visages , différentes formes d’expressions et cela atteint le psychisme comme le physique, le sien, celui de la collectivité , des enfants , de l’entourage.
Les racismes tuent à petit feu ?
Le racisme tue à petit feu et tue de façon parfois foudroyante . Par des actes criminels racistes mais aussi par des envies d’en finir car la société ne veut pas de vous. Par la chronicisation de certains réflexes , réactions , l’instauration d’une vigilance accrue qui impacte l’individu .
Parlez nous de cet institut qui a été nouvellement crée
Nous avons créé une Institut pour apporter des réponses médicales et juridiques aux victimes car il n’y a pas de réparation totale sans réparation juridique, cet institut s’appelle L’institut d’Etudes et d’Actions Citoyennes . Il a pour but de sensibiliser au sujet du racisme, mais surtout d’apporter des solutions concrètes de terrain et de faire prendre conscience aux victimes du lien entre le vécu raciste et le trauma vécu , les souffrances ressenties, il a aussi pour objectif de pousser les citoyens à restaurer leur dignité grâce à la justice
Le fait divers que l’on ne peut qualifier encore à l’Ile d’Oleron, quel impact encore une fois une certaine communauté?
« Notre communauté » est une expression dans laquelle je ne me reconnais pas, mais je respecte tout à fait ceux qui l’utilisent . Je ne me sens appartenir à aucune communauté en particulier . Ce qui s’est passé à Oléron a servi une fois de plus a stigmatiser sans même vérifier les faits les musulmans de ce pays . Franchement , je ne compte plus les évènements, tragédies qui ont des conséquences terribles sur tout un pan de la population française, les proches, les amis, les voisins, de toutes les couleurs , tous les Français sont atteints par ce qu’est en train de devenir leur pays . Les républicains sont en grande perte de repères.
La détestation de la diversité, est devenu un sport national, sans faire de victimisation, comment s’en sortir?
Le rejet de l’autre est la réaction de ceux qui n’ont pas confiance en ce qu’ils sont . Et ce phénomène est mondial . La trumpisation existe depuis bien avant Trump, dans notre ère contemporaine . Car cela a existé avant nous . L’histoire nous a montré qu’il était vain de lutter contre l’inévitable . La rencontre avec l’autre. Les mouvement de populations, les migrations, les échanges continueront que l’ont monte des murs ou que l’on creuse des fossés . Maintenant nous avons tous pris conscience que l’autre nous est indispensable . « Ubuntu” de Desmond Tutu . Nous le pratiquons sans le savoir. C’est ainsi que nous nous en sortirons avec le moins de casse possible.
Et pourtant, l’espoir est permis Fatma, la nomination du Maire de New York Zohran Madani, n’est il pas un bol d’espoir?
Le maire de NY a eu cette intelligence précisément de se positionner dans son temps . Il a laissé à l’écart de sa campagne la question identitaire et a parlé aux préoccupation des NY kais . Il a fait de la politique comme les citoyens en demandent : proximité , écoute, cohésion, dialogue, égalité et justice . Nous sommes heureux qu’ils soit élu , comme nous étions heureux qu’ Obama l’eu été . Maintenant, il faut voir si ses électeurs seront satisfaits . Une campagne c’est une chose, mener une politique en est une autre . Mais pour être honnête je ne vais pas bouder mon plaisir . Les coups qu’il a reçus là bas et ici, en France , où certains ce sont permis de le diffamer, nous ont fait penser aux coups que l’on reçoit lorsque l’on n’est pas du sérail du système vieillissant mais pourtant encore vaillant .
Pluralité, mixité, tolérance, bien vivre, diversité, des valeurs en désuétudes où pas ?
J’ai relu récemment la pièce de Inonesco , Rhinocéros , où le laid est vu comme beau, la haine comme une valeur , mais dans la pièce , il y a un résistant : Bérenger . Cette pièce est frappante dans sa ressemblance avec l’actualité . En réalité, nous vivons la diversité la tolérance, la pluralité , la mixité . Mais une minorité puissante veut nous en empêcher . A nous de faire en sorte à ce que ces valeurs ne soient pas ringardisées tout comme les droits humains, l’universalisme etc. que ces valeurs soient encore belles et constructives, résistons à la maladie du malheur que nous propose les obscurantistes
Parlez nous de votre actualité fatma
Mon actualité c’est le succès d’un festival de littératures du Sud qui vient de s’achever mené à 16 mains de 4 femmes , à Djerba, en Tunisie , Kotouf : Mounira Dhaou, Marielle Anselmo , Sourour Barouni et moi-même La création de l’Institut d’Etudes et d’Actions Citoyennes qui a pour objectif de faire prendre conscience du lien entre le racisme et les conséquences sur la santé et de pousser les personnes à porter plainte afin d’obtenir réparation . Il a également pour objectif de créer un réseau sur toute la France , d’informer , de réaliser des conférences et des études sur ce sujet . La France actuelle est dans le déni face à tout ceci. Je voudrais également dire un mot d’une expérience marquante celle d’une tour de France en 11 étapes , en 2025 , autour du sujet du racisme . Il m’a montré que la question de l’immigration du racisme et tout ce qui est dans cette sphère de pensée vient beaucoup d’une construction d’une certaine élite car les régions où je suis allées souvent pauvres et éloignées ont pour préoccupations premières l’accès aux soins, au travail aux transports et le pouvoir d’achat . Les jeunes y sont très curieux des autres et pas dans le rejet , souvent d’ailleurs engagés pour des sujets de solidarité sociale . C’était une belle rencontre avec une France que je ne connaissais pas puisque je vis à Paris .
Découvrez le manifeste de Fatma Bouvet de la Maisonneuve contre le racisme
Bio Expresse:
Fatma Bouvet de la Maisonneuve : Écrivaine, Médecin psychiatre , franco tunisienne
Dans l’exercice de son métier de psychiatre, à Paris, elle travaille sur les conséquences psychiques des dysfonctionnement sociaux comme le sexisme et le racisme. Ses recherches ont donné lieu à plusieurs essais collectifs et personnels dont Une Arabe en France (Ed Odile Jacob, Paris , 2017). Plus tard, elle écrit des romans L’ile aux mères (Ed du Pont 9) , Paris, 2021 , L’odeur d’un homme ( Ed du Pont 9, Paris , 2023) et un Manifeste pour répondre au racisme : Debout, Tête haute! (Ed du Croquant , Paris, 2024) . Elle a également été chroniqueuse. Elle est membre du Parlement des Écrivaines Francophones. Active dans la vie citoyenne, anciennement élue et membre du CESE.
Présidente de l’Institut d’Etudes et d’Actions Citoyennes
Membre du comité e direction du festival des littératures du Sud Kotouf , Djerba Tunisie
merci Fatma !
