L’Institut d’Études et d’Actions Citoyennes, l’IEAC , a été lancé tout récemment par la psychiatre Fatma Bouvet de la Maisonneuve, Maître Hosni Maati, avocat au barreau de Paris et Delphine Peiretti-Courtis, historienne, professeur agrégée à l’université d’Aix-Marseille. Une initiative plus que nécessaire face à une montée des identités “meurtrières “en France. Cette structure dédiée à la lutte contre le racisme et à l’accompagnement des victimes, vient dans un contexte politique et social plus que délétère qui stigmatise certaines communautés de France.

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Une initiative louable et téméraire qui a l’ambition d’accompagner les victimes d’exclusion sous prétexte d’une différence identitaire. Du simple repérage des individus “cibles” victimisés à l’accompagnement psychosocial.
Sans oublier également l’accompagnement juridique le cas échéant et in fine la formation des institutions qui peinent parfois dans leurs méthodes et discours quelques peu excluant.
Actuellement, selon les fondateurs, on estime à 1,2 million de personnes se déclarant victimes de racisme. Seuls 4 % portent plainte, un chiffre possiblement sous-estimé « car les personnes ont peur de déclarer ».
« Le racisme est une plaie de l’humanité, comme le disait Frantz Fanon… Dans une France actuelle, qui a de plus en plus de peine à intégrer les différences religieuses et culturelles, on voit un déni et une stigmatisation de certains individus qui met de plus en plus en en péril le concept du vivre ensemble. Ce que l’on ignore de tout ceci, c’est que pour ceux qui les vivent, la rançon psychologique est énorme. Une sorte d’anxiété sociale et une grosse souffrance mentale au quotidien spécifique. Car le ciblage est presque terriblement navrant et risible. Il est d intensif et systématique avec des conséquences économiques et sociales dévastatrices.

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L’omniprésence est flagrante : en 2023, les termes “islam” et “immigration” apparaissaient chaque jour dans les bandeaux CNews.
Et avec tout ce qui se passe dans la région et le monde, les menaces sont éternellement renvoyées à une seule et même communauté. Beaucoup choisissent de partir de France, mais que font ceux qui restent?
UFFP s’est entretenue avec Tamila Hachemi spécialiste des questions psychosociales relatives aux souffrances identitaires.

Tamila HACHEMI PHOTO DR
Entretien :
1 Parlez-nous de l’état des lieux sur le racisme en France brièvement ? quelle est la communauté et le profil type des victimes ?
En France, le racisme demeure un phénomène structurel et ordinaire à la fois : il s’exprime autant par des actes explicites (insultes, agressions, discriminations avérées) que par des mécanismes plus diffus (stéréotypes, biais implicites, soupçons de non-appartenance). Avec plus de 1,2 million de personnes déclarant être victimes d’au moins une atteinte raciste annuellement et seulement 4 % de plaintes sont enregistrées, la France traverse une crise identitaire « meurtrière ». De plus, il est certain que ce chiffre est largement sous-estimé du fait de la peur et des réticences à déclarer ces situations.
Le contexte socio-économique, les débats identitaires récurrents et la médiatisation de certaines questions (immigration, sécurité, religion) contribuent à maintenir un climat où l’altérisation persiste. Psychologiquement, le racisme fonctionne comme un système de catégorisation simplificatrice, renforcé par l’anxiété sociale et le sentiment de menace symbolique. Les personnes perçues comme noires, arabes ou musulmanes sont les plus fréquemment ciblées, indépendamment de leur nationalité ou de leur trajectoire individuelle. Le facteur déterminant n’est pas l’origine réelle, mais l’origine assignée. Le profil type des victimes cumule souvent plusieurs vulnérabilités, en plus de la charge raciale :
- Jeunes adultes, en particulier des hommes, davantage exposés aux contrôles et à la suspicion institutionnelle.
- Personnes issues de milieux populaires, où les discriminations s’additionnent aux inégalités sociales.
- Femmes musulmanes portant des signes visibles, confrontées à une double stigmatisation (genre et religion).
2 Aujourd’hui il y a comme un acharnement par rapport à une certaine communauté? Voile, mosquées, ramadan, les politiques en font leur fond de commerce? quel est l’impact?
On observe effectivement un phénomène spécifique de ciblage intensif et systématique avec des conséquences économiques et sociales dévastatrices.
L’omniprésence est flagrante : en 2023, les termes “islam” et “immigration” apparaissaient chaque jour dans les bandeaux CNews. Cette surexposition crée ce qu’on appelle un “amorçage cognitif” – le cerveau associe automatiquement musulmans et menace. Des pratiques religieuses ordinaires comme le Ramadan ou le voile sont transformées en “problèmes publics” nécessitant une intervention étatique.
Les marqueurs religieux musulmans et les pratiques religieuses ordinaires (voile, abaya, mosquées, Ramadan) sont instrumentalisés comme objets politiques, et encouragent une exclusion massive. Le poids économique est alarmant : par exemple, les femmes voilées ont 80% de chances en moins d’obtenir un entretien d’embauche. Pire, le port du voile multiplie par 4 la probabilité d’être inactive sur le marché du travail. Concrètement, cela signifie des compétences gâchées et un potentiel économique inexploité, une perte de revenus fiscaux considérable pour l’État, une dépendance accrue aux aides sociales et l’entretien d’un cercle vicieux de précarisation.
Ainsi, au-delà des actes individuels, nous faisons face à un climat d’hostilité structurel qui a un impact profond sur la société française : perte de cohésion sociale, gaspillage de talents, fuite des cerveaux, et détérioration de la santé mentale collective et d’un sentiment d’appartenance à la communauté nationale. C’est un échec collectif aux conséquences durables sur notre tissu économique et social.
3 Racisme institutionnel, racisme populiste, racisme stigmatisant, les personnes qui le vivent au quotidien viennent à vous ? profil type des victimes ?
Pour ma part, je suis identifiée comme psychothérapeute spécialisée sur les questions d’identités intersectionnelles : le fait que l’identité d’une personne est façonnée par la combinaison simultanée de plusieurs appartenances sociales, et non par une seule prise isolément (genre, origine, classe, orientation sexuelle, spiritualité, handicap, etc.), dont l’entrecroisement façonne des expériences singulières de vulnérabilité, de privilège ou d’oppression. Je suis donc amenée à accompagner des personnes aux identités complexes sur la combinaison de leurs identités et leur impact sur la santé mentale, les traumatismes et les ressources personnelles. Ex : personnes racisées qui cumulent d’autres appartenances à des minorités sociales stigmatisées.
Les personnes qui vivent le racisme, entendent parler de moi la plupart du temps par bouche à oreille dans leurs communautés, ou via les réseaux associatifs et militants. La méfiance institutionnelle et vis-à-vis des professionnels de soin et d’accompagnement de manière général, est un des effets incontournable de ces vécus traumatiques. Les personnes victimes ont besoin d’être rassurées sur le fait qu’elles seront validées, comprises et légitimées. L’accès au suivi psychologique est encore moins accessible pour beaucoup de profils de personnes en France. Dans beaucoup de situations, c’est leur premier suivi psychothérapeutique et la première porte d’entrée vers la prise de conscience des violences qu’ils vivent.
4 Parlez nous de la marginalisation que cela crée et la sensation d’exclusion d ‘un point de vue clinique cela se traduit comment ?
Ce que je constate dans ma pratique, c’est que la marginalisation liée au racisme produit ce qu’on appelle un “stress minoritaire chronique”. Contrairement à un traumatisme ponctuel, c’est une exposition quotidienne et répétée à l’hostilité qui érode progressivement la santé mentale. Cliniquement, cela se manifeste d’abord par une hypervigilance constante : mes patients décrivent un état de tension épuisant où ils scrutent en permanence leur environnement pour anticiper les réactions négatives, déchiffrer les regards, interpréter les silences. Cette vigilance permanente mobilise énormément d’énergie cognitive et émotionnelle, ce qui laisse peu de ressources pour les autres aspects de la vie.
On observe ensuite des stratégies d’évitement massives qui deviennent handicapantes : évitement de certains quartiers, de certains espaces publics, modification de son apparence selon le contexte, auto-censure dans les conversations professionnelles. Ces comportements créent un rétrécissement du monde vécu, une sorte de prison invisible qui limite les opportunités sociales et professionnelles. Sur le plan somatique, le stress chronique se traduit par des troubles du sommeil, des céphalées de tension, des troubles digestifs, et à plus long terme, de l’hypertension et des pathologies cardiovasculaires que la recherche lie directement à l’exposition prolongée au racisme.
Le sentiment d’exclusion génère également ce qu’on appelle une “souffrance identitaire” : un questionnement constant sur sa légitimité, sa place dans la société, un sentiment d’être constamment jugé et réduit à une caractéristique visible. Mes patients rapportent cette sensation épuisante de devoir “prouver” en permanence leur valeur, de travailler deux fois plus pour être reconnus autant. Ce qui est particulièrement délétère, c’est l’intériorisation progressive du regard stigmatisant : certains finissent par intégrer les préjugés dont ils sont victimes, développant ce qu’on appelle un “racisme intériorisé” qui attaque l’estime de soi de l’intérieur.
Cliniquement, je vois des patients développer des tableaux d’anxiété généralisée, avec ruminations constantes et anticipations catastrophiques. Les épisodes dépressifs sont fréquents, caractérisés par un sentiment d’impuissance apprise, une perte de sens et parfois un désengagement social. Dans les cas les plus sévères, on observe une dissociation, un sentiment de dépersonnalisation, voire des idées suicidaires liées au sentiment d’être fondamentalement rejeté par la société. L’impact transgénérationnel est également préoccupant : les enfants qui grandissent dans ce climat intériorisent très tôt ce regard stigmatisant, ce qui affecte profondément la construction de leur identité, leur sentiment de sécurité dans le monde, et leur capacité à se projeter dans l’avenir. C’est une violence systémique invisible mais dévastatrice qui nécessite une prise en charge thérapeutique spécifique, centrée sur la restauration du sentiment de légitimité et la reconstruction d’un espace de sécurité psychique où la personne peut exister pleinement sans se sentir constamment menacée ou jugée.
5 L’ IEAC est né comment pourquoi et quel est son objectif, sa portée ?
L’Institut d’Études et d’Actions Citoyennes, l’IEAC , a été fondé par la psychiatre Fatma Bouvet de la Maisonneuve, Maître Hosni Maati, avocat au barreau de Paris, et Delphine Peiretti-Courtis, historienne à l’université d’Aix-Marseille.
Cette initiative est née d’un constat simple mais crucial : il n’existe pas de réparation totale sans réparation juridique pour les victimes de racisme. Voilà pourquoi il est nécessaire de passer du constat à l’action concrète, créer un pont entre la santé et le droit, au service direct des victimes.
La mobilisation d’experts et d’acteurs de terrain s’est faite autour de trois objectifs principaux : sensibiliser au racisme bien sûr, mais surtout faire prendre conscience aux victimes du lien direct entre leur vécu raciste et les traumatismes qu’elles ressentent, et enfin les accompagner vers la restauration de leur dignité par la justice et vers la résilience psychique par le soin. Concrètement, l’IEAC visibilise les témoignages de personnes victimes, recueille et oriente les signalements via son site et ses réseaux sociaux, puis raccorde les victimes à un réseau national de soignants, de juristes et de travailleurs sociaux formés.
Notre portée va au-delà de l’accompagnement individuel : nous formons également les hôpitaux, les administrations, les écoles et les entreprises aux biais discriminatoires et aux protocoles de prise en charge adéquats. Nous produisons aussi des études pour mesurer scientifiquement les phénomènes discriminatoires et évaluer l’efficacité des réponses apportées. En somme, l’IEAC est un institut qui allie recherche, formation institutionnelle et accompagnement de terrain, parce que nous sommes convaincus que c’est cette approche globale, qui articule le médical, le juridique et le social, qui peut vraiment faire bouger les lignes et offrir aux victimes les moyens concrets de se reconstruire et de faire valoir leurs droits.
6 Qu’avez-vous envie de dire in fine les institutions, les lois, les politiques pour autant les mentalités sont lentes à changer, la politique des boucs émissaires et plus facile?
Du point de vue de la psychologie sociale, la France présente un tableau paradoxal en 2024-2025, caractérisé par une augmentation de la tolérance déclarée coexistant avec une persistance élevée des actes discriminatoires. Cette dissociation entre attitudes déclarées et comportements réels illustre un conflit psychologique entre normes sociales progressistes et persistance de biais implicites.
Ce que j’ai envie de dire, c’est qu’on ne peut plus se satisfaire de lois qui existent sur le papier mais qui ne sont pas appliquées. Oui, nous avons un arsenal juridique contre les discriminations, mais quand 97% des victimes ne portent pas plainte et que le racisme institutionnel persiste, il faut se poser les bonnes questions. Les mentalités sont effectivement lentes à changer, mais cette lenteur est aussi entretenue par un système qui trouve un bénéfice politique à désigner des boucs émissaires plutôt qu’à s’attaquer aux vraies causes structurelles de nos problèmes sociaux.
La politique du bouc émissaire est effectivement plus facile : elle offre des coupables visibles, elle canalise les angoisses collectives vers un groupe identifié, elle dispense de regarder en face les dysfonctionnements de notre système. Mais c’est une facilité qui coûte extrêmement cher, humainement d’abord avec les traumatismes que j’observe quotidiennement en consultation, mais aussi économiquement avec le gâchis de talents, l’exclusion du marché du travail, et socialement avec la fracture qui se creuse.
Ce que je veux dire aux institutions et aux politiques, c’est que leur responsabilité est immense. Quand des représentants de l’État alimentent la stigmatisation, quand des médias saturent l’espace public de discours anxiogènes 335 jours par an, ils créent un climat qui légitime les discriminations individuelles. Ils donnent en quelque sorte une permission sociale de discriminer. Il faut avoir le courage politique d’investir dans la formation des agents publics, de sanctionner réellement les discriminations, de cesser d’instrumentaliser la religion et l’origine des citoyens à des fins électorales. Le changement des mentalités ne se fera pas tout seul : il nécessite une volonté politique claire, des moyens concrets, et surtout un discours public qui cesse de désigner des ennemis intérieurs. Sans cela, on continuera à soigner des traumatismes que la société elle-même produit, et c’est un échec collectif dont nous portons tous la responsabilité.
Bio Expresse :
Tamila Hachemi est psychosociologue clinicienne, Psychothérapeute /Coach, consultante & formatrice à l’international (Europe, Afrique du Nord, Afrique de l’Ouest, Canada)
Spécialisée dans les dynamiques de changement intersectionnel, elle accompagne les publics et collectivités aux identités multiples et marginalisées, exposés à des discriminations croisées. Elle développe également des actions d’éducation populaire autour des enjeux de santé mentale et œuvre à l’opérationnalisation des savoirs académiques afin de les rendre accessibles aux communautés concernées. En 2025, elle cofonde La Voix des Assos, plateforme humaine et digitale de soutien aux associations de terrain à Marseille. Son parcours reflète un engagement constant, en cohérence avec son rôle au sein de l’IEAC.
L’IEAC:
L’Institut d’Études et d’Actions Citoyennes (IEAC) est un réseau national en développement, dédié au soutien des personnes victimes de racisme. Constatant l’ampleur de ce phénomène en France et ses conséquences psychologiques, sociales et juridiques, l’IEAC œuvre pour faire reconnaître le traumatisme racial et pour apporter des réponses concrètes.
L’ approche est pluridisciplinaire : santé mentale, droit et accompagnement social. La structure l’idée qu’il ne peut y avoir de réparation psychique sans réparation juridique, et que chaque victime doit pouvoir faire valoir ses droits et être orientée vers des professionnels formés et fiables dans sa région.
L’IEAC rassemble des expert·es engagé·es — soignant·es, juristes, professionnel·les du social, acteur·rices associatifs — et invite de nouveaux partenaires à rejoindre le réseau afin de renforcer l’accès à un accompagnement adapté sur tout le territoire.
Notre mission : faire entendre les voix des personnes concernées, rendre visibles les impacts du racisme sur la santé mentale et physique, et garantir un soutien concret, sécurisé et coordonné.
