Enseigner dans le respect de l’enfance et sa valorisation, c’est le combat que mène la francotunisienne Sourour Pivion depuis des années. Formée à la Pédagogie Montessori elle bat en brèche les vieilles méthodes de l’éducation nationale. Pour elle, il s’agit d’une conviction, d’une passion et d’un véritable sacerdoce qui a des implications et un prix, mais pour le meilleur de l’enfant. Une autre façon de faire et de penser l’éducation et l’enseignement, pour l’enfance qui est respectée et entourée, étapes par étapes.
UFFP vous fait découvrir son combat.
Sourour Pivion
Entretien avec UFFP
1) Parlez-nous de votre parcours ? Vous avez été formée en Italie ?
Je suis native d’une ville, Le Kef au nord-ouest de la Tunisie. C’est à 20 ans que je suis arrivée à Paris, pleine de volonté et d’envies. Les questions relatives à l’éducation me passionnaient. Convaincue qu’une autre manière d’aborder l’école était non seulement possible, mais nécessaire, je me suis inscrite à l’institut de formation pédagogique et psychologique (IFPP) afin de m’orienter dans cette voie. Cet organisme délivre aux étudiants les moyens d’appréhender les diverses manières d’enseigner, les pédagogies dites alternatives tels Steiner, Decroly, Freinet…Et c’est là que j’ai fait la découverte de ma vie : Montessori !
Un vrai choc. Je me suis immédiatement sentie en harmonie avec cette femme et sa façon tellement humaine d’enseigner aux enfants. En fait je venais de mettre un nom sur ma manière de vivre, un peu comme monsieur Jourdain découvre qu’il faisait de la prose sans le savoir…Je n’ai pas hésité, je devais suivre cette voie. Je me suis inscrite à la maison « mère », à Perugia, en Italie pour devenir éducatrice Montessori. C’est au cours de cette année fabuleuse, 1993, que j’ai appris la langue de Dante, et que j’ai obtenu le diplôme d’éducatrice Montessori international.
2) Montessori et sa philosophie d’enseignement, vous en êtes imprégnée ? Concrètement cela signifie quoi pour un élève ? Pour un parent ?
Oui tout à fait ! La pédagogie Montessori est une manière de vivre, d’appréhender l’enfant d’une manière différente… L’enfant n’est pas un petit homme à éduquer mais un homme en devenir à accompagner ! Cela change complètement la manière d’enseigner.
J’ai fait un choix conscient et responsable en œuvrant pour cette philosophie. C’est un projet cohérent et global qui aborde l’ensemble des données sociétales. Il aide à l’autonomie des enfants dans leur quotidien, sur le plan émotionnel et psychologique. Il les arme pour la vie… cette pédagogie leur donnera les clés pour comprendre le monde et mieux l’appréhender. L’enfant n’est plus un individu centré sur lui, mais ouvert aux autres dans un monde plus solidaire et durable.
Pour les parents, accompagnés son enfant dans notre maison des enfants montessori est avant tout une histoire de confiance. C’est aussi la recherche de valeurs communes entre la maison familiale et la maison des enfants. C’est voir son enfant grandir et être accompagné et guidé dans un environnement harmonieux aidant à son développement global et son épanouissement maximal.
3) Beaucoup pensent que cela a des contraintes « financières » pour les parents, cela n’est pas donné ? Que cela reste destiné à une élite, vrai ou faux ?
Oui en venant dans une école Montessori, les familles s’engagent. On ne peut le nier, d’abord sur une philosophie, mais dans notre monde c’est aussi sur un coût. On devrait d’ailleurs parler d’investissement pour l’avenir. Le problème dans notre société, c’est ces formations au rabais, ces machines à fabriquer l’exclusion, et l’échec. L’état y déverse des sommes colossales, mais pour une efficacité réduite. On supprime des matières, on allège d’autres, bref tout ce qui n’est pas directement utilitariste est amoindri, abaissant ainsi le niveau d’ouverture sur la connaissance et sur l’appréhension du monde. Ce devrait être le rôle de l’état d’ouvrir des pistes de réflexions sur les pédagogies alternatives, les rendre possibles partout, je dirais même surtout dans les quartiers défavorisés! Maria Montessori ne s’y était pas trompée en ouvrant dans des immeubles populaires ses premières écoles… le choix de l’éducation revient aux familles, un choix qui touche à notre conception du monde. Il se doit d’être ouvert et non ségrégatif.
En France, les écoles Montessori sont encore un peu réservées aux élites mais cela est en train de changer ! Nous recevons de plus en plus de professeurs des écoles ou des collèges qui se forment à cette pédagogie pour l’utiliser ensuite en classe ! Cette pédagogie se démocratise et surtout se vulgarise fort heureusement ! On retrouve du matériel Montessori partout maintenant, bien la preuve de cette ouverture du monde en général sur cette pédagogie formidable.
4) Quel programme proposez-vous? Suivre le rythme d’un enfant, n’y a-t-il pas le risque d’être en décalage avec les autres?
Notre programme est le même que celui de l’éducation nationale. Il est juste abordé de manière complètement différente. Les enfants font le choix de leur activité selon ce que l’on nomme dans le jargon montessorien les « périodes sensibles ». C’est un terme un peu technique qui sous-entend que tous les enfants ont tout le long de leur vie des périodes qui les amène à apprécier telle ou telle activité. Ça peut être les mathématiques pour l’un ou la peinture pour un autre. Il ne faut pas frustrer ces envies et nous permettons donc aux enfants de développer leur potentiel selon leur envie, leur souhait. Chaque enfant bénéficie d’un suivi individualisé qui nous permet de savoir exactement ce qu’il sait, ce qu’il ne sait pas encore et ce qu’il sera nécessaire d’aborder avec lui. Le socle est donc commun. Le travail d’observation est central dans la pédagogie Montessori. Observer pour analyser et comprendre l’évolution de chaque enfant!
5) Combien d’écoles avez-vous fondé ?
J’ai fondé ma première école en 1999 à Romainville, dans un quartier « chaud ». Notre école était dans l’appartement d’un immeuble HLM. Cette école mixait déjà les populations puisque les gens qui inscrivaient leurs enfants devaient amener les enfants au cœur de la cité. C’est cette mixité que je recherchais également. Puis j’ai ouvert une nouvelle école au Pré St-Gervais en 2001. Et enfin, suite à des problèmes avec la municipalité de Romainville, nous avons déménagé à Montreuil en 2006 où se trouve notre siège aujourd’hui encore.
6) Vos défis et contraintes ? Vos plus belles victoires?
Il n’y a pas de défis et de contraintes, uniquement des challenges à surmonter dans la plaisir et la joie de vivre ! Il faut profiter de chaque instant en faisant ce que l’on aime et ce que l’on croit ! Je pense que ma plus belle victoire sera que Montessori soit au sein des écoles publiques.
7) En Tunisie vous avez également ouvert une école?
Oui, j’ai ouvert en octobre 2015 une structure toute fraiche dans le quartier du Lac 1 à Tunis. Une Maison des Enfants qui je l’espère permettra à de nombreux tunisiens de profiter de cette pédagogie fantastique.
L’éducation en Tunisie est un phare. Depuis Bourguiba, l’école a joué un rôle central dans la société tunisienne. Aujourd’hui, avec le temps et l’actualité en Tunisie, il est important, je pense, d’apporter ma pierre à l’édifice dans mon pays. La pédagogie Montessori à révolutionné ma vie, j’aimerais qu’elle révolutionne également la manière d’enseigner sur place !
8) Comment mettre la pédagogie Montessori en lumière ?
L’éducation montessori que je souhaite mettre en lumière consiste à :
– La bienveillance
– Devenir un citoyen et pas seulement un consommateur
– L’émerveillement
– Apprécier le beau
– L’art de la relation à l’autre
– Apprendre à lire son corps
– Cultiver son âme et son esprit
– L’enfant n’est pas un vase à remplir
– Une nouvelle vision du monde basé sur le respect, l’ouverture, la non-violence, la biodiversité
– Repères pour un monde meilleur
– Réconcilier le bien-être, le savoir-être individuel et le bien-être collectif
9) Aujourd’hui face à l’échec scolaire, le refus scolaire, votre méthode est-elle soutenue par les élus ici en France ?
Assez difficilement j’en conviens. Mais cela change ! Si j’ai eu quelques soucis avec des élus lors de l’ouverture de certaines structures, je me rends compte aussi que nous n’aurions pu ouvrir sans l’aide de certain ! Bartolone par exemple était le Maire du Pré St Gervais lors de notre demande pour y ouvrir notre école. Il a soutenu noter projet à fond et nous a même trouvé des locaux ! Les mentalités changent, les élus sont aussi parents et se rendent compte que les pédagogies dites alternative peuvent avoir du bon lorsque le conventionnel conduit à l’échec nombre de jeunes chaque année.
Et puis je ne compte pas me cantonner à la France et à la Tunisie ! La vie est longue et je compte bien soutenir cette pédagogie au quatre coins du monde s’il le faut !