Quinze ans qu’elle se bat sans relâche pour le genre au Maroc, quinze ans que l’on se connait depuis notre rencontre au Women’s Forum for Economy and Society de Deauville. Une amitié et un même combat entre soeurs du Maghreb. Elle ? elle définit l’excellence du « genre » à elle seule, c’est Fethia Bennis, Présidente fondatrice de la Women Tribune D’Essaouira.
Cadre supérieur au sein de Bank al Maghrib, elle a en charge notamment le suivi du dossier du FMI et la restructuration du marché des capitaux. De 1998 à 2000 elle devient la première femme Directeur Général de la Bourse des Valeurs de Casablanca puis de 2000 à 2004, elle est nommée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI Directeur Général de l’Office National Marocain du Tourisme. Elle est actuellement Présidente Directeur Général de Maroclear, Dépositaire Central des titres au Maroc.Elle a cofondé et préside l’association Women’s Tribune. Elle est membre du Conseil National du Patronat au Maroc, et membre du conseil d’administration du think thank CDS (Conseil du Développement et de la Solidarité). Fathia Bennis est Présidente de ALM Ecology Trophy et vice-présidente du Collectif Démocratie et Modernité. Sans oublier son engagement international en tant que membre de l’AMEDA (African & Middle East Depositories Association) et membre de l’UBA (Union des Bourses Arabes). Elle a été nommée Chevalier de l’Ordre National du Mérite de la République Française.
UFFP s’est rendue à la 8é edition de la Women Tribune d’Essaouira, qui avait pour thématique cette année l’entreprise en conscience.
Bref rappel de la WTE et de ses objectifs ces dernières éditions
Le Women’s Tribune est une plateforme de rencontres et d’échanges pour les femmes des deux rives de la Méditerranée et d’Afrique.
Dans les précédentes éditions nous avons eu des femmes emblématiques de la région comme l’activiste malienne et ancienne Ministre Aminata Traoré, également la Sénatrice Bariza Khiari grande fidèle de la WTE dés ses premières heures et tant d’autres personnalités encore.
La Women Tribune d’Essaouira est une tribune pour les femmes mais aussi l’ occasion pour les hommes de donner leur point de vue sur les questions qui concernent entrepreneuriat, les droits, le genre, l’autonomisation etc.C’est une association a vu le jour en 2009 et compte 8 éditions.
Une tribune pour construire le réseautage et le leadership au féminin
Renforcer le leadership des femmes arabo-africaines est le vecteur de tout progrès humain à venir tant au niveau national qu’international.
Et c’est justement par la mise en lien, les rencontres, les débats, entre les divers collectifs et réseaux de femmes, les échanges d’expérience, et le transfert des savoir que l’on peut justement favoriser les échanges Sud-Sud et Sud-Nord. En tout cas, c’est le vœux pieux de cette tribune depuis sa création.
c’est à l’occasion de la 8é édition où UFFP a répondu une nouvelle fois présente que nous avons pu échanger avec sa fondatrice.
Entretien avec Fethia Bennis :
Parlez-nous de cette huitième édition ?
Cette huitième édition du Women’s Tribune a été consacrée à la thématique « Entreprendre en conscience ». Il nous est apparu urgent de mettre en valeur une approche plus large de la vocation historique de l’entrepreneuriat. D’un point de vue juridique, cette dernière se réduit au strict profit. En 2018, cette conception ne peut s’en tenir à cette stricte définition du statut de l’entreprise si elle continue à détruire notre environnement écologique et humain. « Entreprendre en conscience », c’est entreprendre par et pour la durabilité. C’est une approche globale qui oblige à la responsabilité de toutes les parties prenantes d’une entreprise. Notre édition s’est articulée autour de thématiques partagées par des experts ainsi que des témoignages de femmes et d’hommes qui ont fait le choix d’entreprendre en fonction d’une éthique de vie personnelle et sociétale.
Vos difficultés à mettre en place cet évènement ?
Comme tout événement, le Women’s Tribune peine à boucler son financement, c’est la partie la plus ardue. Certains sponsors sont fidèles depuis la première édition, d’autres sont axés sur la thématique de l’année, d’autres encore nous font des frayeurs (rires) comme l’on peut en rencontrer dans toute organisation d’un événement qui accueille près de 300 personnes. La ville d’Essaouira nous suit, également, avec bonheur et permet un cadre de travail qui permet la concentration, loin de nos préoccupations quotidiennes. Cet aspect est fondamental pour la réussite d’un tel évènement qui dure trois jours avec différentes séquences de réflexions et partages.
Pourquoi avez-vous choisi la thématique « Entreprendre en conscience » ? Pour temporiser sur le genre ? Mais le genre c’est déjà du développement durable ?
Oui, bien sûr que l’approche genre fait partie des Objectifs de Développement Durable puisqu’il en est l’objectif n°5. Mais je tiens à préciser que l’Égalité des femmes et des hommes n’est pas un combat strictement féminin. C’est un respect des droits humains intégrant les deux genres. Women’s Tribune est, depuis ses débuts, une association mixte, justement paritaire, pour et avec les hommes progressistes. Si la politique des quotas dans l’entreprise ou en politique me semble une étape nécessaire pour réduire les inégalités hommes-femmes, elle n’est qu’un tremplin vers la réussite et non une fin en soi.
Quels sont les défis et pourquoi le taux d’activité féminin est en perte de vitesse au Maroc ?
Au Maroc, le défi est d’inverser la tendance du taux d’activité féminin, actuellement en recul depuis quinze ans. C’est un point qu’il nous faut résorber d’urgence. Nombre d’experts planchent sur cette question où paradoxalement, les femmes, notamment, en milieu urbain, sont en dehors du marché de l’Emploi alors qu’elles n’ont jamais été aussi diplômées et vont continuer à l’être. Le marché de l’Emploi classique est-il trop réduit ? La parité est-elle vraiment respectée par les recruteurs ? Les mentalités patriarcales voire rétrogrades, pour certaines d’entre elles, freinent-elles ce bel élan initié depuis les années 2000 avec la réforme du Code de la famille ? Le travail des femmes informel se serait-il renforcé ? Tous ces points demandent des réponses affinées. Pour notre association Women’s Tribune, l’entrepreneuriat et l’auto-entrepreneuriat sont des voies à suivre pour qu’émergent les talents féminins dans un tel contexte où tout semble se fermer. Nous les encourageons à développer une approche responsable afin de surprendre le marché et de réussir.
Peut-être faudrait-il créer un fond maghrébin pour les femmes ?
Oui, c’est une excellente idée. Tout ce qui est susceptible d’aider les femmes à démarrer un projet personnel est bienvenu sur le plan macro-économique comme micro.
À Maroclear, êtes-vous un manager responsable ?
Est-ce que je donne l’exemple ? (rires). Écoutez, Maroclear est labellisé IS026000 depuis l’année 2013 et c’est le travail de toute une équipe en place depuis des années, en ce sens. Aucune entreprise ne peut se permettre l’économie d’une politique de RSE. C’est la voie de pratiques vertueuses qui nous permettent d’atteindre l’excellence en tout respect de notre environnement humain, social, environnemental. Suis-je un manager responsable ? Oui, je le pense en améliorant, jour après jour, les pratiques de la RSE, avec les directeurs des différents pôles au sein de l’entreprise. Vous savez, rien n’est jamais acquis et moins encore un label donc je m’applique à être un manager responsable avec toutes les parties prenantes de Maroclear.
Comment faire en sorte de faire appliquer les lois et les résolutions en tout genre ?
Le lobbying est un moyen efficace s’il s’ouvre aux partenariats qui vont dans sa direction. Pour la question de l’Égalité, l’application des lois et résolutions sur le terrain se fera avec les hommes ou ne se fera pas. Ce serait une ineptie de penser que nous pourrions y parvenir autrement. C’est-à-dire qu’il nous faut convaincre les plus réticents (y compris certaines femmes !) d’entre eux à comprendre que toute la société y gagnerait. À commencer par leurs propres filles, à titre d’exemple… Jour après jour et sans relâche. C’est un travail de longue haleine que d’accompagner un tel changement de mentalités. Si nous souhaitons devenir de vrais et solides pays émergents, nous devons vaincre toute les inerties et résistances au changement que nous rencontrons, en effet dès lors que la visibilité des femmes se pose.
À l’issue de votre huitième édition du Women’s Tribune, qu’auriez-vous envie de dire ?
Que je suis heureuse de voir des concepts comme « durabilité », « économie circulaire », « changement de paradigme économique » prendre forme dans les esprits. Mieux, il me semble avoir perçu une accélération au niveau des prises de conscience, justement, et d’ores et déjà, qu’entreprendre en conciliant rentabilité et solidarité comme l’ont témoigné magnifiquement durant le Women’s Tribune, des femmes et des hommes aussi audacieux qu’originaux et solidaires. C’est très important que la relève dans notre région du monde comprenne qu’il faille saisir cet enjeu pour réussir dans une mondialisation qui ne nous fera aucun cadeau. Aussi, faut-il la prendre de vitesse avec des choix et orientations décisives même. « Ne répétez pas les mêmes erreurs que nous avons fait en Occident » a déclaré un intervenant lors du Women’s Tribune. Je suis en accord total avec ce principe. Nous avons une magnifique jeunesse, une force vive pleine de potentiel. À elle de prendre le relais avec les idées inclusives, innovantes et rentables du développement durable pour un vrai take-off de la région maghrébine et africaine.