Justice Duby travaille au bureau Afrique de la FIDH depuis 2015. Au printemps 2016, elle s’est rendue en Ouganda et au Burundi, avec Florent Geel, le responsable du bureau Afrique de la FIDH, pour enquêter sur les violations des droits humains commises dans le pays. Le FIDH a lancé le mois dernier toute une campagne de sensibilisation
UFFP dénonce cette tragédie que les autorités locales continuent à vouloir masquer et est bien au fait des actes atroces qui sont commis dans le silence le plus assourdissant de la communauté internatinale. A l’occasion du lancement du film
Un silence assourdissant encore une fois dans cette région et pourquoi?
Le Burundi est un tout petit pays d’Afrique centrale dont beaucoup ignore jusqu’à l’existence même. Il est donc difficile de mobiliser les individus sur la crise qui fait rage dans le pays depuis maintenant un an et demi et qui a déjà fait plus d’un millier de victimes, 8 000 personnes détenues pour des motifs politiques, entre 300 et 800 personnes disparues, des centaines de personnes torturées, plus d’une centaine de femmes victimes de violence sexuelle. Par ailleurs, couvrir le Burundi pour les journalistes internationaux mais aussi nationaux est devenu une mission quasi-impossible. Les autorités font tout pour taire les graves violations des droits humains perpétrées en majorité par les forces du régime du président Nkurunziza depuis avril 2015. Les journalistes sont intimidés, menacés, arrêtés, parfois enlevés. Le 22 juillet 2016, c’est le journaliste burundais Jean Bigirimana du journal Iwacu qui a été supposément enlevé par des agents du Service national de renseignement burundais. Il est toujours porté disparu. Il est en de même pour les défenseurs des droits humains. Par ailleurs, d’autres crises font rage en Afrique et dans le monde et le Burundi ne fait malheureusement pas assez la une des journaux: Syrie, Irak, Ukraine, Soudan du Sud, République démocratique du Congo, crise des réfugiés en Europe, etc. C’est le sens de la campagne qu’a lancée la FIDH: une campagne « choc », articulée autour de la diffusion d’une bande annonce de film fictif « Génocide au Burundi », dont il faut justement empêcher la sortie. Un cri d’alarme pour rompre ce silence.
Le FIDH est alertée depuis quand? ces meurtres en masse ont commencé depuis des mois?
la FIDH est présente aux côtés de son organisation membre au Burundi, la Ligue ITEKA, depuis de nombreuses années. Nos organisations avaient notamment mené une mission d’enquête au Burundi en février 2015, avant que la crise ne se déclenche et avaient alerté sur le risque que la situation ne s’embrase au moment de l’élection présidentielle de juillet. C’est en avril 2015 que les violences ont débuté, lorsque le président Nkurunziza a annoncé sa candidature pour un troisième mandat présidentiel, considéré comme anti-constitutionnel par beaucoup. De grandes manifestations populaires ont eu lieu dans la capitale Bujumbura, et d’autres grandes villes du pays. Elles ont été réprimées dans le sang par les forces de police. En mai 2015, un groupe de militaires frondeurs a cherché à prendre le pouvoir par la force mais le coup d’Etat a échoué. Les autorités burundaises se sont alors lancées dans une répression brutale de tous ceux soupçonnés être opposés au pouvoir au Burundi mais aussi au-dela de ses frontières, dans les pays frontaliers, où plus de 310 000 burundais ont fui.
Encore une fois des idéologiques abreuvent les esprits et il semblerait que le gouvernement actuel soit complice voire auteur de ces faits?
En effet, les enquêtes de nos organisations identifient les autorités et les forces qui leurs sont affilées (police, service de renseignement, une partie de l’armée, une partie de la jeunesse du parti au pouvoir – les Imbonerakure) comme les principales responsables de ces violations. Le rapport de la FIDH identifie les principaux commanditaires des violences ainsi que les chaines de commandement parallèles au sein de l’apparats politico-sécuritaire du régime. Cependant, des groupes armés rebelles se sont aussi formés en réaction aux exactions commises par les autorités (les Forces républicaines du Burundi -FOREBU- et la Résistance pour un Etat de Droit -Red-Tabara-) et mènent des attaques ciblées et des assassinats. Ces violences visent des individus soupçonnés d’être affiliés au régime (personnalités politiques, policiers, miliciens, hauts-gradés de l’armée, etc). Ces violations des droits humains sont parfois revendiquées par ces groupes, d’autres sont commises par des hommes armés non identifiés, ce qui contribue à brouiller la situation.
Les femmes les enfants, les opposants sont les cibles?
Les individus soupçonnés d’être opposés au régime sont en effet en première ligne: opposants politiques (également au sein du parti au pouvoir), journalistes, membres de la société civile et notamment des organisations de défense des droits humains. La jeunesse est également une des premières cibles de la répression car beaucoup de jeunes ont pris part aux manifestations populaires d’avril 2015. A Bujumbura, les jeunes hommes ont déserté les quartiers dits contestataires de la capitale: ils ont fui, ont été arrêtés, sont détenus, ont parfois disparu ou ont été exécutés. Les Nations unies ont recensé plus d’une centaine de femmes ayant été victimes de violence sexuelle pendant la crise. Le rapport du Secrétaire général des Nations unies sur les violences sexuelles liées aux conflits de mai 2016 souligne notamment qu’ « Au Burundi, on a vu apparaître des cas d’agressions sexuelles ciblées, motivées par l’appartenance politique réelle ou présumée de la victime ».
Parlez nous de la ligue ITEKA ?
La Ligue ITEKA est l’organisation membre de la FIDH au Burundi. Elle a été créé en 1991. Il s’agit de l’une des plus anciennes et des plus importantes ONG de défense des droits humains au Burundi. Ils ont près de 3000 membres repartis sur tout le territoire.
La Ligue ITEKA fait partie du mouvement Halte au troisième mandat, un mouvement constitué par les partis d’opposition et la société civile au début de l’année 2015 pour militer contre le troisième mandat du président Nkurunziza. Elle a donc participé à la contestation populaire d’avril 2015. De ce fait, ses membres ont été et continuent d’être menacés par le régime. Son président a du fuir le pays en novembre 2015 comme de nombreux autres membres. Ses comptes bancaires ont été gelés en décembre 2015 et ses activités suspendues en octobre 2016. Néanmoins, elle continue, aux côtés de la FIDH, de documenter les graves violations qui sont commises dans le pays et de mener un plaidoyer actif aux niveau régional et international pour qu’une solution pacifique à la crise soit trouvée. Des observateurs des droits humains continuent d’opérer dans la plus grande difficulté sur le terrain. Ils sont intimidés, menacés, parfois attaqués et travaillent clandestinement. Ces défenseurs des droits humains sont un exemple de courage, d’engagement et de détermination.
Ce film, quel impact et suffira-t-il?
Par ce film nous souhaitons alerter l’opinion publique sur la crise que traverse le Burundi et pousser la communauté internationale à agir avant qu’il ne soit trop tard.
Epilogue: depuis le lancement du film et de la campagne,le gouvernement burundais utilise les réseaux sociaux pour banaliser une situation aux dynamiques génocidaires avec le hashtag #ThisIsMyGenocide Le gouvernement burundais avait lancé, le mardi 22 novembre le hashtag #ThisIsMyGenocide pour tenter de décrédibiliser le rapport « Répression aux dynamiques génocidaires » de la FIDH et en réfuter les propos. Depuis, les critiques fusent sur les réseaux sociaux et malgré les partisans du gouvernement qui relaient le message, les twittos évoquent leur choc face au déni du gouvernement burundais et critiquent massivement l’utilisation du mot « Génocide » dans un contexte humoristique.