Au Moyen Orient on a toujours sacralisé le pouvoir, au point d’appuyer la légitimité des gouvernants par la religion « les dictatures modernes gouvernent toujours au nom de quelques vérités supérieures dont se proclament les représentants et dont ils tirent leur légitimité »
L’ambiguïté de l’expression » successeur du Prophète » a servi à revendiquer le pouvoir absolu et à mettre la religion sous la férule de l’Etat. Le résultat est un mode de gouvernement qui repose, sur la corruption, la répression et la censure incarnée dans ladite politique de l’écriture. Ceci a contribué à détruire les spécificités des cultures des peuples arabes. Et c’est à travers les médias, que l’on comprend que la religion est devenue l’opium du peuple au point de l’aveugler. Pour Safouan, se référer à la divinité a depuis toujours été une façon de légitimer les crimes monstrueux des régimes en place. De véritables génocides auprès des populations arabes ont ainsi pu être perpétrés. Cela est allé de pair avec la sacralisation de la langue arabe classique qui a ainsi permis l’écriture et la compréhension à une élite intellectuelle minoritaire. Entraînant le cloisonnement de l’esprit du reste du peuple.
Le monde arabe est en régression selon le psychanalyste, car les peuples restent désireux de se précipiter dans la servitude de ses leaders. Mais également parce que les structures sociales sont atrophiées. L’Enseignement et la culture, la propagation du savoir est la propriété de l’Etat, exerçant une hégémonie globale et une emprise sans précédent, se traduisant par la nationalisation de la presse et de l’édition. Le cas de l’Egypte est flagrant. Pour faire le choix des traductions étrangères, on fait appel à un « comité prestigieux » qui décide des ouvrages à passer. Cela a signifié pour l’Egypte un véritable appauvrissement culturel et atteste selon Safouan d’une pauvreté philosophique et politique flagrante.
Tant que l’Etat réussit dans l’accomplissement de ses tâches, le régime théocratique paraît conforme à l’ordre des choses. Son échec ne donne pas lieu à une révolution mais à un terrorisme qui conteste sa légitimité même. Dans ce contexte, on parle de droit de l’homme alors qu’on n’envisage même pas qu’il puisse y avoir de quelconques devoirs vis à vis de l’humain « pourquoi devrions nous proclamer si bruyamment notre droit à ne pas être tué ou torturé » ?
De fait, les terroristes de notre époque appuient leur contestation sur un dogme meurtrier dont ils s’autorisent pour s’ériger en juges en matière de foi religieuse, s’octroyant ainsi un savoir que le Coran réserve expressément à Dieu. Ce livre est un appel pour la libération de l’Islam du joug du pouvoir temporel. Et l’état actuel de la culture dans les pays arabes fait qu’il continuera à être récupéré à des fins politiques meurtrières. Le renouveau du Monde arabe ne sera possible que lorsque les écrivains arabes auront le courage de leur émancipation, qu’ils combattront la censure, qu’ils permettront de faire naître la créativité artistique et littéraire. Il ne faut plus se laisser bâillonner par l’arabe classique qui bien que faisant partie de notre identité, bâillonne les spécificités identitaires. Il faut que les peuples arabes sortent de leur isolationnisme spirituel, qu’ils échappent au conformisme de l’écriture. Il faut mettre fin à ce que la Boétie considérait comme de « la servitude volontaire »
Il faut que peu à peu la société civile prenne sa responsabilité, qu’on tente de préserver le droit et la démocratie, qu’on s’évertue à temporiser le monopole du pouvoir, qu’on modifie durablement la politique linguistique. Alors peut être que le Monde aura droit à une seconde renaissance.
Bio Express :
Moustapha Safouan exerce la psychanalyse à Paris. Il a travaillé comme maître de conférence à l’université d’Héliopolis pendant cinq ans sous le règne de Nasser. Il a toujours gardé le contact avec les milieux intellectuels et universitaires en Egypte.
Fiche Technique :
Le Monde arabe n’est pas libre
Editions Denoël
2008
Essai