Moez Chakchouk a été nommé Sous-Directeur général pour la Communication et l’Information au sein de l’UNESCO. Ancien commissaire à la Commission de la gouvernance de l’Internet (2014-2016) et Président-Directeur général de l’Agence tunisienne sur Internet (2011-2015), il était depuis 2015 Président-Directeur général de la Poste tunisienne.
Né à Sousse en 1975, cet ingénieur en télécommunications diplômé de l’Ecole nationale des ingénieurs de Tunis a obtenu un doctorat en télécommunications et mathématiques appliquées de l’Université de Paris 5 (Descartes). En 1998, il rejoint le Centre d’études et recherches en télécommunications (Cert), relevant du ministère des Communications. En 2010, il sera nommé conseiller du ministre de la Communication, avant de prendre la tête de l’ATI au lendemain de la révolution de janvier 2011.
Par Fériel Berraies Guigny
Après un parcours exemplaire au sein de l’administration tunisienne, Moez Chakchouk nous a confié lors de notre entretien, qu’il caressait depuis un certain temps, l’envie d’une carrière à l’international. Sa candidature ayant été retenue, il fait partie de la nouvelle team nommée par La directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay, qui compte quatre nouveaux membres dans l’équipe de direction de l’organisation, dont notre compatriote Moez Chakchouk au poste de sous-directeur général pour la Communication et l’Information. Moez Chakchouk a accepté de répondre à nos questions in aparté, avant la prise de ses fonctions officielles. Un échange à cœur ouvert s’en est suivi.
Entretien avec Moez Chakchouk
Vous êtes né à Sousse Moez, enfant c’était quoi votre rêve?
Comme tous les garçons de mon âge, j’aimais les voitures, les avions et les fusées. Je rêvais de construire des fusées qui pouvaient aller sur la lune en 1h. J’étais passionné de sciences physiques. Friand des découvertes réalisées pendant le 19 e et 20 e siècle et par les savants de l’époque qui ont changé le monde.
Parlez-nous de votre éducation ?
J’ai fait ma scolarité à l’Ecole des sœurs de Sousse. Après le passage du concours national de la sixième année, je suis allé au Lycée des garçons de Sousse. J’ai été l’un des meilleurs élèves du Lycée jusqu’à la classe de sixième année en section mathématiques. Pour le BAC mon père avait décidé de me muter au lycée Taher Sfar qui est devenu un lycée mixte entretemps. J’ai eu mon BAC en juin 1993 et j’ai choisi d’aller étudier à l’Institut préparatoire des études d’ingénieurs de Nabeul. Après deux ans passés à Nabeul, j’ai obtenu le concours national des ingénieurs en intégrant l’Ecole Supérieure des Postes et des Télécommunications (actuellement École Supérieure des Communications – Sup’Com). En juillet 1998, j’ai obtenu le diplôme d’ingénieur en télécommunications spécialité Réseaux Informatiques. J’ai ensuite continué mes études de troisième cycle en travaillant en parallèle . J’ai obtenu un diplôme d’Etudes Approfondies en Systèmes de Communication de l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Tunis et une thèse en mathématiques appliquées de l’université Paris Descartes.
L’image de votre père, son travail, cela a compté pour vous et vous influencé dans vos choix?
Mon père travaillait dur au labo de physique et Chimie au lycée des jeunes filles de Sousse (actuellement Lycée Taher Sfar). J’étais alors impressionné par la façon avec laquelle il préparait les expériences dans le labo. Il faisait de sorte que ses élèves n’aient jamais de difficultés pendant les séances de TP. Il aimait son travail, il était consciencieux, appliqué, engagé. J’allais souvent les mercredis après-midi réaliser des expériences et l’aider dans son travail. Cela m’a marqué à vie : persévérance, efficacité, assiduité pour effectuer un travail minutieux et fait dans les délais.
Dans un de nos échanges, vous m’aviez confié, que vous aussi tout comme moi, vous eu une « période rebelle » à Tunis ? Oui à vrai dire, cela correspondait plus à la période de « la révolution » en Tunisie, il fallait alors que je me détache un peu de l’administration qui ne soutenait pas les entreprises publiques comme l’ATI à l’époque. Pour moi le challenge d’alors, était d’essayer de protéger les acquis de la Tunisie en terme d’infrastructure d’internet. Et ce, indépendamment du fait qu’elle soit une machine de censure ou pas. C’était une période où on était très dynamique et « rebelle » on pouvait se permettre de taper dans la fourmilière. De bousculer, de déranger, de remettre en question.
C’était difficile ? oui ce n’était pas simple, car il fallait combattre le retour à la censure et en même temps, il fallait accompagner même les médias. Notamment dans des situations complexes quand certains politiciens s’exprimaient de façon incohérente dans des plateaux tv etc, le pays était instable, il fallait éviter les dérives et le chaos. Il fallait corriger recadrer avec intelligence sous peine de créer l’effet inverse. Guider les médias, ll fallait notamment accompagner les blogueurs et les activistes, car il y avait une réelle prolifération d’information, la parole étant libéré, on pouvait avoir tout et n’importe quoi.
L’administration tunisienne vous en connaissez les rouages ? Oui avec le temps et l’expérience, j’ai vraiment appris comment cela fonctionnait, l’administration chez nous. Je connais les blocages, les effets pervers, les lenteurs, les mentalités. C’était un vaste chantier. A l’époque, l’ objectif était de vraiment relever les contradictions de certains politiques et de certaines « politiques » d’autant que l’on prenait parfois des positions incohérentes, sans conviction réelle, juste histoire de critiquer, de faire le buzz, de déstabiliser. On était un peu comme les gardes « fous »de toutes ces dérives, la Tunisie traversait une grande tempête, il y avait du positif mais beaucoup de danger aussi.
Contredire mais c’est un peu la censure encore ( sourires ) ? Non contredire c’est plutôt amener les personnes à prendre conscience de leur contradiction en termes de pensée et d’action.
Mais la censure aujourd’hui en Tunisie qu’en est-elle, elle est encore là ? Pas au niveau internet et s’agissant de la liberté d’expression des médias, ils ont aujourd’hui acquis une réelle liberté.
Certes les opportunités de communiquer étaient là tout le monde pouvait enfin créer des médias, mais il n’y avait pas toujours la qualité et à force, les gens en fait s’autocensuraient eux-mêmes. Car le manque de moyens fait que parfois on fait n’importe quoi. Cela marque un manque de maturité, il faudra éduquer encore et toujours dans ces métiers. Au fond, on n’a pas fait grand-chose depuis la révolution à ce niveau-là, hormis de libérer la parole et l’expression, cela est clair. Pourtant on sait ce qu’il faut faire aujourd’hui, mais il n’a pas de réelle volonté allant dans ce sens.
Que faut-il faire d’après vous ?
Eduquer les jeunes journalistes aujourd’hui, croire davantage dans les jeunes et créer un nouvel écosystème pour les jeunes, notamment à travers le développement d’internet. Il faut continuer à accompagner les médias traditionnels afin qu’ils continuent à exister également.
Il y a tout de même un nivellement vers le bas s’agissant des niveaux académiques etc. ? Oui encore une fois, il faudra prendre le problème à bras le corps, au niveau de l’éducation, réviser le système actuel, au niveau de la mise à niveau et de la formation. C’est une vraie problématique qui ne se corrigera pas dans la facilité, cela prendra du temps et il faudra pour y parvenir, se donner les moyens !
Il y a un manque de foi et de motivation chez les jeunes aussi non ? Oui car il y a une réelle absence de mesures positives à leur égard. Si on n’encourage pas les jeunes, si on ne donne pas de l’espoir, il est certain que vous n’aurez pas l’adhésion des jeunes. C’est ce qui manque actuellement et cruellement en Tunisie.
Quel bilan du coup depuis la révolution pour vous par rapport à la jeunesse? Il y a un bilan positif pour tout ce qui concerne les libertés. On s’exprime avec facilité partout, c’est vrai. Mais cette expression-là, surtout au niveau des jeunes, n’est pas accompagnée d’un engagement patriotique réel. C’est ce qui manque aujourd’hui, il y a une certaine perte de foi et il n’y a pas cet engagement pour une « cause »
En fait les jeunes, ne croient pas à l’Etat tunisien.
C’est un peu le résultat du marasme actuel non ? Oui la situation est quelque peu médiocre, mais je ne pense pas qu’en adoptant cette attitude du déni de l’Etat, que les choses vont changer dans le bon sens pour autant.
Que faire alors, pas de coup de baguette magique pour autant? On sait ce qu’il faut faire, tout le monde est conscient en Tunisie et ailleurs, mais pour autant, personne ne propose de solutions !
Il ne faut pas associer l’action d’engagement pour son pays à un problème politique, c’est un mauvais résonnement. Le nationalisme et le patriotisme doit rester dans nos cœurs qu’importe la situation actuelle. Il faut vraiment faire valoir l’intérêt du pays avant nos opinions politiques ou toute autre attente pragmatique.
Les jeunes ont fait la révolution, mais ils se sont ensuite désengagés. Il n’y avait pas cet engagement fort qu’on attendait d’eux, il n’y a aujourd’hui chez eux, que la place pour la critique facile.
Un sport national de la critique ? Oui c’est tout à fait cela et bien sûr que l’on ne peut avancer dans pareille contexte. Il faut rester lucide, même si le désenchantement de la jeunesse est compréhensible, quand dans notre pays l’Etat va mal, qu’il se cherche, il est vrai qu’avoir une jeunesse désengagée, n’aidera pas non plus. Je pense que chacun de nous en tant que citoyen tunisien, pouvons donner notre part, pour faire avancer le pays. Pas besoin de s’attaquer à de gros dossiers ou de grosses problématiques. On peut faire bouger les lignes, si on le veut, rien qu’en s’orientant dans une dynamique de changement. A condition, qu’il y ait un réel engagement pour le pays.
Pour revenir à vous, vous m’avez dit un jour j’ai toujours été l’homme des dossiers difficiles » ? oui c’est un peu mon destin. Oui des missions assez difficiles, mais je suis passionné par le challenge. Et même au Sein de l’UNESCO j’espère réellement faire un peu bouger les choses.
C’est quand même un « grand machin » comme disait de Gaule sur les Nations Unies
Je suis un homme tout terrain, je m’adapte et je trouverai mes challenges. C’est important pour moi, pour rester dans la motivation. J’ai travaillé avec l’UNESCO en tant qu’expert et consultant bien avant ma nomination. Je connais l’équipe chargée de la communication et de l’information. Je suis au fait des lenteurs et de la bureaucratie en général quelque soit l’institution, j’y suis préparé. Mon plus éventuellement, serait d’apporter des actions concrètes à réaliser, des missions avec des actions bien ciblées. L’essentiel est de parvenir à faire un impact qui évoluera dans le temps. C’est difficile, car il y a des contraintes et c’est conservateur, mais il y a des jeunes à l’intérieur qui suivront. J’espère réussir au sein de ce poste et je reste dans la lucidité aussi.
Parlez-nous de votre nomination
En fait j’ai provoqué le changement, j’ai proposé ma candidature à ce poste pour 3 raisons : je ressentais le manque de travailler dans le domaine de la liberté d’expression, l’internet et ses rouages, le développement des médias, c’est mon domaine. Ensuite, j’ ai atteint en trois ans à la poste tunisienne, mes objectifs et cela m’a usé. J’ai atteint ma mission, qui consistait à redresser la barre de cette institution. Je préparais ma sortie. Mais aussi et surtout, après 20 ans à l’administration tunisienne, il fallait que m’initie à l’international. Et l’Unesco est une belle opportunité pour le faire. Cela n’exclue pas un retour ensuite, à l’administration tunisienne.
J’ai toujours été un militant de l’intérieur, pendant vingt ans j’ai œuvré pour réformer et mettre à niveau l’administration tunisienne. Pour changer la donne et aujourd’hui, je pense qu’il faut donner l’opportunité à d’autres que moi. Je ne quitte pas l’administration pour quitter définitivement la Tunisie, j’y reviendrai un jour.
Parlez-nous un peu de ce que vous allez faire au sein de l’UNESCO
Je vais travailler au sein de la direction communication et information au sein de l’Unesco, cela comporte plusieurs champs d’action comme par ex la relation avec les medias, la communication, la protection des journalistes et c. Il y a plusieurs domaines d’action dans cette direction.
Merci Moez Chakchouk et bon vent !