Tout au long de sa réflexion, Abdelwahab Meddeb n’a eu de cesse de dire que l’Islamisme est la maladie de l’islam, mais également que ses germes se nourrissaient des textes religieux d’origine. Des textes qui refusent obstinément d’évoluer avec le temps et les esprits modernes.
« Face à la volonté des islamistes de bannir le mot même de laïcité, assimilée à l’incroyance, il nous faut intensifier le combat pour le restaurer et légitimer l’action conduite en son nom. Il faut lutter contre l’obscurantisme, la superstition, le fanatisme et l’exclusivisme – pour sauver la peau de l’islam » Une mise en garde qui n’a jusqu’à présent pas porté écho.
Une affirmation courageuse, voire provocatrice, d’ajouter que « L’islamisme est un fascisme que l’islam peut contrarier sinon vaincre » !
Malgré la tentation de penser que le terme « fasciste » est bien trop fort quand on parle de l’islamisme, comment ne pas prédire, pour autant, les grands dangers d’un devenir musulman atrophié ?
Pour l’auteur, l’évocation de la désolation d’Auschwitz dans sa prise de conscience s’agissant du « pré de Malédiction » a contribué à ré alimenter l’antisémitisme tout en confortant l’Islam dans sa haine du juif . Un autre raccourci dont l’Islam se serait aussi bien passé !
Si la guerre de l’intellect n’est pas par définition, l’antithèse de la foi et donc la négation de la liberté du culte de l’autre, les raccourcis dangereux et les amalgames ont bonne presse.
Mais dans cette volonté de sortir de la malédiction, la référence du pré de malédiction ne rappelle t-elle pas la lutte ancestrale entre Eros et Thanatos ? L’Homme dans sa différence culturelle et religieuse est-il nécessairement l’instrument de la négation de l’autre ?
Les thèses de Meddeb si elles soulèvent une masse de problématiques dérangent toujours autant les autorités islamiques en terre d’Occident et ailleurs. Elles mettent en lumière pourtant, la douloureuse cohabitation entre civilisation musulmane et Occident.
Pour l’écrivain franco-tunisien, assurément, l’heure n’est ni aux concessions ni à la langue de bois.
Il est plus que temps de briser le tabou coranique face à une modernité qui creuse les écarts entre les communautés. Il faut arrêter tout ce qui peut engendrer des générations en mal d’identité religieuse. Des individus mortifères, complètement désintégrés de leur tissu social. Des musulmans en terre d’Occident, qui virent à l’extrémisme.
L’Islam déconnecté de la Modernité, est dangereux. Il devient un Islam récupéré, sensationnaliste dans sa violence et son intolérance. Un Islam qui creuse les écarts entre les hommes.
L’Islam doit devenir un fait religieux Universel dans son acception. Mais est-il capable de panser ses plaies, de guérir de ses maux et de se moderniser ?
La question est de savoir, selon Meddeb, s’il est réaliste de penser qu’il doive s’innover, se muer pour le meilleur pour éviter le pire.
Seul constat affligeant pour l’heure, c’est qu’une religion au XXI est devenue un topic érigé en vrai best seller, sujet à d’abominables raccourcis, donnant place à une littérature qui manque souvent d’objectivité.
Et lorsqu’il est associé à un manque d’instruction religieuse ou « éclairée », cela peut en effet, aboutir à l’intolérance. C’est cette intolérance qui favorise l’avènement de certains courants qui condamne d’emblée la laïcité sur l’autel de l’Islam et par contrecoup, l’Islam sur l’autel de la laïcité.
Ainsi l’Islam est devenu le Cheval de Troie de bien des mouvances intellectuelles et politiques aujourd’hui. Et la frontière est si ténue que l’on peut basculer de l’un ou l’autre côté, sans réfléchir, au gré des prêches partisans que l’on gobe comme des émissions de télé-réalité. Ce n’est plus la nuance de la religion qui importe, mais le fait que des communautés entières deviennent stigmatisées. Entre les dangers de l’Extrémisme et la liberté du culte, que faut- il garder des discours ?
Alors comment faire pour « Sortir de la malédiction » et l’Islam se situe t-il vraiment entre la civilisation et la barbarie ? Si les textes même du Coran sont « périmés » qu’il faut remettre en question la sharia, une mise à jour des textes est-elle pour autant du ressort de l’humain ? L’Homme doit-il incarner ou tout au moins, réinterpréter la nouvelle pensée divine ? Avons nous ce droit ?
Il n’y a pas de recette miracle pour l’auteur ou pour le lecteur, encore moins pour le croyant, le laïc ou l’athée. L’auteur en empruntant l’image du « pré de malédiction » au présocratique Empédocle d’Agrigente, tente simplement d’éclairer sur les dangers d’un l’islamisme qui veut assassiner à tout prix le concept de laïcité, assimilé à l’incroyance. Mais à défaut de parvenir à une religion « pure » une société sans croyance et dogme est-ce pour autant envisageable ? Au nom de quoi faut-il alors lutter pour un monde meilleur ?
La réponse est peut être chez les poètes ; Jacques Prévert disait « Essayons d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple ». Si les religieux pouvaient nous donner une image « heureuse » de leur foi, ils réussiraient peut être à nous convaincre… ou à défaut à nous accepter tels que nous sommes.
Biographie de Abdelwahab Meddeb :
Ecrivain et poète tunisien d’expression française, ce spécialiste de l’Islam propose un regard critique sur un Islam rongé par l’excès d’islamisme. Ardent défenseur de la République et de la laïcité, il est également professeur de littérature comparée à l’université Paris X-Nanterre.
Il est par ailleurs, animateur de l’émission Cultures d’Islam sur France Culture. Meddeb a publié une vingtaine d’ouvrages dont les plus marquants sont « la maladie de l’Islam » (Point, 01/2005) et « l’exil occidental » (Albin Michel, 03/2005)
Fiche Technique :
Abdelwahab Meddeb, Sortir de la malédiction. L’islam entre civilisation et barbarie, Paris, Seuil, 2008, 281 p.
Résumé du livre
Le pré de malédiction désigne le lieu où agit le démon de la discorde, de la haine et du mal, selon Empédocle d’Agrigente. A partir d’interventions issues d’une radio libre de Tanger, l’auteur dénonce l’horreur des guerres à travers les cultures, les croyances, les langues et notamment celles émanant de l’islam.