Solidarité internationale : chantage moral, business de la charité ou utopie du mieux vivre ?
Serge Halimi, Directeur du Monde Diplomatique, Julien Lauprêtre Président du Secours Populaire français, José Kagabo professeur et Directeur de recherches à l’EHESS Paris et Bernard Hours anthropologue à l’Institut de recherches et de développement, étaient réunis le temps d’une conférence ce mois d’avril passé, dans le cercle des amis du Monde diplomatique. Un colloque en comité restreint afin de converser sur l’état et faire le bilan de la Solidarité internationale dans le Monde et aussi en France. Un vaste et passionnant sujet, d’autant que la solidarité internationale est devenue une valeur bien galvaudée et paradoxalement est aussi en perte de vitesse. Face à une crise économique et sociale endémique, l’hermétisme est à son apogée.
Et l’humanisme désintéressé a quant à lui de plus en plus de mal à se frayer un chemin qui soit « sain » tant dans ses objectifs que ses mobiles. Les Etats se retirent et l’aide publique au développement rétrécit comme peau de chagrin. Pourtant le Monde a besoin de l’autre et de son empathie. Apôtres et détracteurs étaient donc là pour deviser de la question.
Serge Halimi « un basculement de la charité publique à la charité privée » !
Les questions relatives à l’aide sociale sont au centre de nombreux débats politiques en France.
Le Monde diplomatique du mois de mai a prévu toute une série d’ interventions autour de personnalités dont Bernard Hours sur la thématique de la Solidarité Internationale.
Toutefois, l’Assistance aux personnes en détresse serait a priori rendue plus « populaire » car ces dernières années prise en charge par des collectivités de volontaires qui par leur engagement sont aujourd’hui, les seuls pourvoyeurs de solidarité dans une conjoncture extrêmement frileuse. Car on assiste de plus en plus au retrait des Etats, alors que l’aide publique au développement est non seulement insuffisante mais en constante diminution. Dans ces conditions précaires, le travail des ONGs et des individus généreux est rendu aléatoire mais reste la seule voie d’espoir pour les moins nantis.
Pourtant cet engagement irrite et a aussi ses détracteurs ; pour beaucoup de sceptiques il y aurait une confusion croissante entretenue entre solidarité et charité, favorisant la perception d’un chantage moral permanent. Pour Serge Halimi, il n’est pas étonnant donc de penser que cela puisse affirmer le sentiment d’une pression permanente contre l’indifférence ! Une pression morale qui avec le temps, a mis en place un marché caritatif. Mais pour mieux « s’aimer » et partager, cela signifie t-il pas aussi remplir le vide et prendre la place que les Etats ont délaissée ? Téléthon et philanthropie des riches y mènent bon train. Un véritable business de la charité amenant des relents corporatistes est en train de germer et de fleurir dans nos sociétés
Un basculement de la charité publique à une sorte de charité privée qui doit énormément sa survie à l’émergence du libéralisme pur et dur. Or dans ce monde de plus en plus libéral et égoïste, pourvoyeur d’un gâchis sans nom, la place des moins nantis est de moins en moins prise en compte.
Beaucoup iraient même jusqu’à rejeter les politiques sociales en faveur des catégories vulnérables, comme s’il ne fallait pas aider les pauvres en leur faisant la charité. Car au fond est ce que ces politiques sont rentables, combien coutent elles et marchent elles à terme ?
L’Assistanat, pour ou contre ?
Pour beaucoup de politiques et discours médiatiques, aider les pauvres condamnerait à l’assistanat et saperaient les fondements des familles traditionnelles. Pour les libéraux aux USA, du temps de Reagan, la guerre à la pauvreté détruit en réalité deux ennemis non désignés comme tel : la cellule familiale et l’équilibre des finances publiques.
Des rationalisations qui sont dures à écouter et à accepter… et à l’heure actuelle, les politiques publiques sont de plus en plus tentées de durcir leur discours à l’encontre des pauvres, des chômeurs et des vieux. Pour chercher aussi à trouver auprès d’eux des profils de profiteurs et fraudeurs potentiels. Tout ceci, amenant la réduction des dépenses qui leur sont consacrées.
D’où l’utilité du travail de fond de certaines Associations comme le Secours populaire
Une ONG qui agit dans la durée dans plus de 60 pays et qui le fait avec des partenaires locaux comme au Mali, et dans un rapport d’égalité. Le Secours populaire œuvre à la sécurité alimentaire, à l’accès à l’eau et à l’énergie.
Pourtant cela ne les empêche pas aussi de se poser les bonnes questions relatives au poids de la dette des pays pauvres et la nécessité de la réduire, voire de l’alléger. Et d’autres questions récurrentes apparaissent rapidement : par exemple, la question terrible du fardeau de la kleptocratie dans certains Etats au profit direct de certains paradis fiscaux. Ou la question du choc social que provoque l’application brutale d’une politique néolibérale comme ce qui se passe en ce moment en Europe. On se doit donc d’agir sur le terrain et ne pas renoncer pour autant interpeler les politiques sur les causes qui font que l’on doive agir toujours plus sur des terrains toujours plus nombreux.
Une intervention sur le terrain qui tienne compte de tout, partant de l’intervention immédiate et locale à celle relevant de la protection générale ; et c’est ce qui caractérise le Secours populaire.
Julien Lauprêtre « nous n’exportons pas la solidarité française » !
30 ans d’engagement en France et à l’International. Le Secours Populaire Français est bien connu par ses activités locales (2 millions et demi de personnes aidées l’année dernière en France) par ses campagnes prodigieuses comme le Noel Vert, les oubliés des vacances et les pâques de la solidarité.
Une solidarité jamais assimilée
Car elle ne ressemble pas à un acte d’assistanat. Et c’est la même ligne de conduite à l’étranger « jamais nous n’avons pratiqué l’assistanat, pour Julien Lauprêtre « la maison n’exporte pas la solidarité française » !
Quand nous venons dans un pays, nous prenons en compte les besoins des populations pour voir avec elles, comment elles peuvent se sortir d’une situation délicate. S’adresser aux personnes en difficultés de la même façon en France et à l’international « comment ensemble nous pouvons vous aider pour prendre en main votre destin » ?
Quand le Secours populaire est face à des difficultés de mise en pratique de sa solidarité dans un pays donné et bien des formes alternatives d’aides peuvent également prendre place. Ce fut le cas de la Birmanie, et le travail a quand même été fait par des ongs dans les pays voisins. Car rien n’arrête le Secours Populaire Français dans sa démarche.
En Grèce des distributions alimentaires avaient été effectuées par le Secours Populaire Français et là même raisonnement, il a fallu former les équipes locales qui sont venues en France pour apprendre de l’expérience française.
Le Secours Populaire Français, jamais à court d’idées et d’initiatives, est sur un projet de mouvement « enfants copains d’abord », pour créer le lien entre toutes les enfances du Monde, pour développer des idées, pour apprendre à s’aimer « au lieu d’apprendre à se tuer » explique Julien Lauprêtre.
Un Centre de Vacances dans le Nord de la France s’apprête à accueillir des enfants venus de trente pays étrangers : des enfants qui souffrent de la faim, des guerres, des enfants qui ont subi des catastrophes ; pour dire à tous ces enfants « aimez-vous les uns et les autres et apprenez à vous connaitre » et gardez le contact. Ces dernières années, des enfants palestiniens et israéliens ont aussi été recueillis par le Secours Populaire Français qui voulaient les séparer « mais les enfants ont demandé à être ensemble » explique Julien Lauprêtre. Ils ont joué au foot ensemble, ils ont fait des sorties ensemble et ils continuent aujourd’hui de correspondre entre eux, conclut Julien Lauprêtre.
Cette année il y aura encore une fois des enfants israéliens, palestiniens, syriens, libanais, tous viennent pour apprendre à s’aimer.
L’Idée de faire se rencontrer les enfants entre eux pour leur apprendre à s’entraider, pour échanger, pour collecter pour tous les autres enfants en souffrance, c’est réellement la raison d’être du Secours populaire qui est désireux de « mondialiser la solidarité » !
Avocats des pauvres, aiguillon des pouvoirs publics, le Secours populaire aura la même ligne de conduite quel que soit le pouvoir en place.
Bernard Hours « la solidarité n’est pas incontournable, elle est incontournée » !
On a l’impression aujourd’hui, que le Monde est assailli de mots d’ordres, de leçon de morale sur le devoir d’assistance face à une misère humaine toujours plus grandissante. Un leitmotiv qui peut en agacer plus d’un dans une conjoncture économique de plus en plus désastreuse, on se trouve parfois forcé et contraint à répondre alors que l’on est peu convaincu ou que les moyens ne sont pas au rendez-vous. Comment vivre justement cette part de chantage moral en société qui fait que l’on culpabilise pour obliger les gens à donner. Un commerce assez lucratif pour certaines institutions même si au départ animé par de bonnes intentions. Pour Bernard Hours, il s’agit de fausses causes. La solidarité est incontournée pour Bernard Hours, car il faut avant tout l’interroger de manière assez radicale. Derrière le mot solidarité « il y a beaucoup de gaz et pas seulement du méthane, notamment dans les ONG « médiatiques » qui se gargarisent pour dire que la solidarité serait une solution à la misère du Monde » !
Quand on parle de solidarité internationale il faut penser que c’est une affaire globale et se questionner aussi sur la dépendance que produit la globalisation. Tout le monde est lié au destin de tout le Monde. Mais que reste-t-il de la Nation quand on pense à la solidarité internationale ? On est en face d’un marché violent qui produit de l’exclusion et en même temps on n’a jamais autant entendu parler de solidarité ! Le paradoxe est que justement les logiques économiques et financières dans lesquelles nous sommes vont contribuer encore et toujours à l’exclusion ; et les incantations pour devenir plus partageur sont faites pour cacher justement la violence du système économique dans lequel nous sommes. Quelque part, un comptoir moral est développé et les ONGS en sont les premiers acteurs. Des acteurs qui tiennent parfois un discours univoque laudatif, c’est tout à fait normal de défendre son association mais ça l’est moins de défendre « sa boutique » au détriment des autres ! On est en présence depuis la mise en orbite de la chaine humanitaire vers les années 80, de productions de marchandises morales. La solidarité aujourd’hui est devenue une marchandise morale car elle est en vente et il y a un marché et de la concurrence entre les ONGS.
Ce sont des questions à déterrer sinon on reste dans l’émotionnel, et l’émotionnel est rarement la solution surtout si derrière il y a de la politique !
A ce propos, le Président du Secours Populaire parle de cœur mais sans dimension politique pour autant. Donc les marchandises morales existent depuis le mailing que l’on met dans sa boite jusqu’aux abonnements à la solidarité que l’on vend à la Gare Saint Lazare ou à la Fnac. Les ONGS sont aujourd’hui bel et bien des Entreprises de moralité.
Il s’est donc crée une gouvernance globale qui contribue au blanchiment des exactions du capitalisme en conclut Bernard Hours : « donner de l’eau aux pompiers quand la maison brule c’est bien, sauf que cette communauté morale que l’on construit est imaginaire et futile et sert à projeter une société civile mondiale qui éclipse la brutalité quotidienne de l’exploitation que subissent les gens : le chômage, la précarité, etc.
Tout cela s’insère dans le marché moral qui a sa part de marché tout court. Quand on consomme le marché moral et même s’il est légitime, nous ne sommes jamais bien loin de la toxicité politique et sociale
Et cet élan de moralité via le marché de la solidarité permet de s’indigner à peu de frais ; d’autant que quand on s’indigne on ne se révolte pas !
José Kagabo « soyons plusieurs gouttes de rivière pour créer l’Océan de solidarité » !
Une ONG ne peut en général pas faire de politique, mais le Secours Populaire Français fait partie de ces ONGS qui ont aussi une vision politique des rapports mondiaux au sens civique du terme. Et la solidarité est plus qu’un risque rêvé.
Pour José Kagabo « rêver c’est prendre un risque » tout comme vivre et c’est un risque assumé par le chercheur franco rwandais qui a insisté suite au discours de Bernard Hours, sur l’importance de la part émotionnelle et du cœur dans la solidarité. Mais vivre c’est un risque et un jour cela aussi peut s’arrêter.
Quand Julien Lauprêtre dit « une goutte d’eau dans l’Océan » il faut toujours partir du principe que les rivières finissent par grandir et vont ensuite se jeter dans la mer. Et la mer se jette dans l’Océan. Et il résume par cette analogie l’action du Secours Populaire Français « soyons plusieurs gouttes de rivières pour créer cet océan de solidarité » !
La pensée rationnelle se confond dans l’émotionnel, mais pour José Kagabo ayant intervenu sur le terrain tout de suite après le génocide au Rwanda aux côtés du Secours Populaire français, il n’y a pas d’équivoque « était ce de l’émotion ou du rêve que cette intervention après le génocide » peu importe ; en tous les cas, l’aide de l’ONG pour aider les orphelins et les veuves à se reconstruire est une preuve de la solidarité en action. Le but ultime était de reconstituer des familles brisées, avec des familles d’enfants qui aujourd’hui sont devenus des adultes, des parents. Ils ont grandi, et ont fait des enfants, ils travaillent.
Cette génération d’enfant a pu se mettre en mouvement avec une autre Association de femmes âgées. Ce que le Secours Populaire à soutenir dans les années 90 et 2000 a germé puisque ces enfants aujourd’hui adultes ont créé des coopératives, des clubs sportifs etc.
Ce sont des jeunes qui sont en contact aujourd’hui encore avec des jeunes de France, des jeunes qui font des études d’éducation sportive et qui, l’été prochain se sont promis de construire un terrain de foot, et de basket.
Le Secours Populaire Français met en mouvement les communautés entre elles et cela transcende toutes les époques idéologiques et historiques. La vie est mouvement. S’il faut lutter idéologiquement, ok !! Mais on ne peut créer de faux débats de donneurs de leçon intellectuelle « si l’on ne met pas la main à la pâte » ? C’est ainsi que l’on pourra peut-être rêver de ce monde que nous voulons tous
Conclusion
La Solidarité ne résout pas tout, mais elle est irremplaçable. C’est le constat qu’il convient de retenir à la lueur de tous ces débats sur cette thématique qui reste passionnante pour tous les acteurs engagés sur le terrain et sur la toile comme UFFP. Aimez-vous les uns les autres, rêve Julien Lauprêtre Président du Secours Populaire français ! Et même si pour s’aider on n’est pas obligés de s’aimer, on doit et on peut semer « du bon grain » avec des activités de solidarité et de partage. Et cela c’est indéniable, qu’importe les sceptiques.
Malheureusement, cela ne règle pas tout, mais dans nos sociétés, c’est une valeur à laquelle il faut s’accrocher, c’est un phénomène incontournable et qui peut contribuer à cimenter les fissures de la fracture sociale internationale que nous subissons.
Aujourd’hui que la misère humaine est globalisée et que la planète vacille, il est important d’avoir ses gardes fous et ne pas oublier les règles les plus élémentaires de l’humanisme, de l’empathie et du savoir mieux vivre ensemble. C’est le volet moral et démocratique d’une gouvernance globale auquel nous sommes confrontés au quotidien. Tout cela répond à la nécessité de masquer les exactions et la violence quotidienne sur laquelle fonctionne l’économie de marché, qui doivent être couverts et blanchis par une effervescence émotionnelle de la morale de nos sociétés.