Titouan Lamazou est né au Maroc, il a vécu un morceau de son adolescence en Tunisie puis est revenu en Terre d’Occident. Très vite il se lasse de la société occidentale et de ces excès. Artiste nomade, voyageur dans l’âme et le corps, il se savait voué à une toute autre destiné. Celle du voyage et de la découverte à la rencontre des peuples et des cultures du Monde.
A 17 ans, il intègre l’Ecole Nationale des Beaux-Arts, mais change d’orientation pour s’embarquer sur différents bateaux. De Marseille, aux Baléares, aux Canaries, il tombera amoureux du monde maritime et de la compétition. Incroyablement doué, il apprendra à faire glisser les voiliers sur l’eau en compagnie d’Yvon Fauconnier, puis d’Eric Tabarly. En quelques années, il se dessine un joli palmarès : deuxième du BOC Challenge en 1986, podiums dans plusieurs transats en 1988 et 1989.
Premier du Vendée Globe, course autour du monde sans escale, et aussi Champion de course au large sur la période 1986-1990. Passionné de voyages en tous genres, il fait aussi d’autres traversées, au Groenland, avec Jean-Louis Etienne, ou dans le désert marocain. Durant ses traversées ou ses voyages, Lamazou remplit des carnets, de croquis, de dessins, ou de notes.
Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de son album en deux tomes, livre événement « Zoé Zoé » qui a donné vie à son Exposition « Femmes du Monde » au Musée de l’Homme, palais de Chaillot à Paris. Une Exposition et un projet qui a été rendu possible grâce au Mécénat de l’Oréal Fondation et de l’UNESCO.
Zoé Zoé est un langage poétique du beau, un parcours à travers le Monde de six ans qui lui a permis de poser un regard sur ces femmes courageuses. Battantes, combattantes face à l’adversité de leurs destinées, elles ont toutes cette incroyable état de grâce et de beauté.
Femmes multiples aux mille visages, aux histoires toutes singulières, sublimées par le talent d’un pinceau ou d’un cliché. De Kaboul,à Sao Paulo, des camps de réfugiés du Tchad, à Istanbul, de Los Angeles à Addis Abbeba, tout un monde d’Elles au pluriel. Titouan l’artiste, les déshabille en mettant à nu leur âme, il les aime dans leur différence et leur combat avec ce respect de l’artiste devant le beau de l’humain. Cette dernière œuvre résume aussi l’incroyable versatilité d’un artiste qui joue sur plusieurs registres : dessin, peinture, photographie, récit et vidéo, avec cette vision de sociologue, et de poète érudit, qui comme un petit garçon ne cesse de redécouvrir la femme avec des yeux émerveillés, à chaque fois qu’il l’approche.
Entretien avec l’artiste explorateur :
Qui est Titouan Lamazou ? C’est moi, c’est la façon dont je me définis. Les personnes qui m’approchent me posent souvent la question de savoir si je suis un voyageur, un nomade, un artiste. Ces mises en case me mettent mal à l’aise, c’est la grande spécialité nationale en France !
A la base « Titouan » était un surnom que l’on me donnait au Maroc où je suis né, avec le temps cela est devenu officiel. Les marocains à l’époque confondaient « petit antoine » et la ville de Tétouan. Mes parents ont gardé ce petit nom qui a survécu aux années. J’ai vécu très peu au Maroc, mais j’y suis retourné souvent et d’ailleurs mes premiers livres étaient consacrés au Maroc. J’ai un certain attachement pour cette région, et je me sens en phase, notamment avec le concept des identités meurtrières de Maalouf. Il y a toujours un petit déchirement quand on est né quelque part ailleurs, on est toujours à la recherche de ses racines, quand elles sont inconnues surtout si elles sont multiples. Je pense que c’est le propre de cette région d’Afrique du Nord qui est un pont entre les civilisations, les cultures et les religions.
Avez-vous une vision orientaliste du monde arabe ? Non je n’ai pas ce regard d’occidental qui réduit à des clichés, comme celle de la belle odalisque d’orient. On phantasme beaucoup en occident sur les thématiques du Harem, des femmes sensuelles et lascives que l’on voudrait approcher. Mais franchement pour moi « c’est un tissu de conneries » qui du reste n’est pas très innocent, notamment dans la cervelle du petit garçon que j’ai été (sourires). Ce monde inconnu a été extrêmement magnifié, du reste, mais la réalité est autre.
Parlez nous de vos souvenirs D’Afrique du Nord J’ai des souvenirs sur le Maroc qui sont assez récents, puisque j’ai fais trois livres sur les berbères du Haut Atlas. S’agissant de la Tunisie, j’ y suis revenu très récemment, car il se trouve que ma fille est fiancée à un maroco-tunisien. Mais j’ai aussi vécu quelques années en Tunisie, du temps où mes parents étaient expat. Mon père travaillait pour Elf Aquitaine, et j ai fais mes études au Lycée de la Marsa, de 10 à 14 ans. J’avais pour le peuple tunisien, une grande empathie sociale, et j’étais différent des autres camarades de classe. A l’époque, j’étais un
Rebelle et il y avait en moi, une colère, car je ne supportais pas le regard et le comportement des occidentaux dans ce pays. Je faisais ma petite révolution de fils de bourgeois. Aujourd’hui, après toutes ces années, j’ai trouvé une Tunisie profondément changée. C’est fou ce que le souvenir peut parfois suggérer des choses qui n’ont jamais existé. Nos souvenirs ont en fait ce qu’on en veut !
J’ai senti un pays qui s’est modernisé qui a grandi, mais j’ai aussi senti un grand changement au niveau de l’environnement, les choses ont perdu leur aspect purifié, à cause des constructions, de l’urbanisation. La société a aussi changé, je l’ai trouvée marquée, en Tunisie comme ailleurs, la vie s’est durcie et les frontières se sont fermées. Moi qui voyage depuis l’âge de 17 ans, je constate dans le monde entier une certaine régression de l’humanité, même si l’on a la liberté et qu’on a plus rien à lui opposer en comparaison.
Quel regard portez vous sur la femme arabe ? Je n’aime pas en règle général réduire une femme à son appartenance géographique ou culturelle ou religieuse. Je vois la femme dans son humanité, cela peut être fatma, khadija ou une autre. J’ai rencontré des femmes dont j’ai fais les portraits, de Palestine, à la Mauritanie, à l’Afghanistan etc…
Néanmoins dans ma vision d’artiste, je pense que s’agissant de la femme orientale, comme dans le reste du monde, il se passe quelque chose dans la mondialisation qui fait qu’il y a véritablement, une prise de conscience féminine. La femme est au cœur du système social .
Mais il y a également des effets pervers liés à la mondialisation et parmi eux, la perte d’identité masculine, si je puis dire. Dans les pays pauvres et dits sensibles, ce phénomène est encore plus mis en avant. Bien sûr « c’est une explication à deux balles » mais on sent que l’homme a perdu la place qu’il avait auparavant dans la famille.
Ce phénomène on le retrouve par ex beaucoup à Gaza. Ceci est bien sûr lié au conflit qui perdure depuis des décennies. Et cela procure un véritable retour de bâton sur la condition de la femme palestinienne qui s’est considérablement détériorée. La paupérisation, l’humiliation, les effets de la mondialisation, font que ces femmes deviennent de « vraies petits machos » elles doivent reprendre le flambeau de l’homme qui a déserté sa place. On retrouve ce phénomène aussi en Mauritanie.
Quand je demande à ces femmes ce qu’elles pensent des hommes d’aujourd’hui, elles me répondent « … ils sont égarés… ». Les femmes n’ont pas ce luxe.
Mais en régle général, dans ces sociétés, la consommation de masse, engendrée par la Mondialisation a vicié les rapports traditionnels à la famille et à l’autorité parentale. Le paradoxe est que l’ouverture et la modernité de notre civilisation ont produit l’effet inverse sur une humanité qui est en train de régresser.
Vous aimez le désert et la mer, deux paradoxes naturels ? J’aime bien les personnes issues de la mer et j’aime les gens du Sud. Car ils sont proches de « l’origine de notre espèce » et moi je les rejoins. Ce sont les peuples qui ont une vie migrante et nomade. Dans les déserts et les océans nous ne cessons de voyager et de découvrir et nous avons aussi nos attaches malgré l’absence de sédentarisation. Ce sont les religions monothéistes qui ont amené la notion d’attache et de propriété, ce sont les calamités qui se sont abattues sur l’humanité car cela a généré les conflits, les divisions et la recherche du pouvoir et du profit. Nous sommes à l’origine des êtres nomades, et nous ne sommes pas atypiques, c’est bien le reste du Monde qui s’est sédentarisé, qui l’est !
Vous aimez l’extrême ; est ce une quête personnelle de l’absolu ? le voyage vous permet il de vous retrouver ?
C’est vrai ce que vous dites, car bizarrement comme artiste, je fonctionne ainsi. Je suis très éloigné de toute forme de spiritualité, mais je reste universaliste dans l’âme et malgré ces torts et travers, profondément imprégné de la culture occidentale. Dans mon raisonnement, cette culture est en moi, et je n’essaye plus de la combattre, j’essaye aujourd’hui de la comprendre. Le voyage est ma vie. Mais il a été vicié par l’industrie du tourisme qui en a fait une véritable arnaque financière. Quand on pense voyage on pense à vacances, et ce raccourci est grossier. Pour moi, voyager c’est vital, c’est être en mouvement. Dans mon exposition sur les Femmes, j’ai voyagé et le fait de les dessiner me permet de mieux les comprendre et de mieux comprendre mes relations avec elles. Dans les religions monothéistes, arrivé à l’âge d’homme, il y a une séparation d’avec la petite fille, devenue femme. C’est une grande violence, quand la petite fille et le petit garçon deviennent des étrangers. Je voudrais retrouver ce regard des femmes que j’avais quand j’étais enfant.
Comment expliquez vous cet incroyable don de touche à tout ? Je ne me définis pas comme cela, disons qu’il y a eu plusieurs tranches dans ma vie où j ai fais pas mal de chose, du bateau, aujourd’hui de la photo et de la peinture. J’ai constaté qu’au cours de la vie « certains sens prenaient le dessus sur d’autres » dans mon cas « j’ai des oreilles de casseroles » et un odorat extrêmement peu développé. Je me suis rattrapé avec le toucher et la vue. Dans ce projet « Zoé Zoé/ Femmes du Monde » qui traite de l’infini diversité des femmes sur notre planète et de leurs points communs ? D’une certaine façon j’ai essayé d’utiliser tout ce qui me tombait sous la main, du crayon de papier au dernier programme informatique, pour rendre visible cette diversité.
Comment l’idée de la Thématique « Zoé Zoé » a germé pour finir en Expo ? Les deux tomes sont liés à la mémoire de ma mère. Le petit garçon pense toujours que sa mère est éternelle. Et l’absence est un véritable déchirement. Parti de ce choc, ma fille qui s’appelle Zoé m’a donné l’idée de cette Expo.Pourtant dans cet ouvrage, il n’y aucune trace de ma fille ou de ma mère. Mais dans le passé il y avait eu un joli petit dessin, que j’avais fait de Zoé aux Marquises, quand elle était toute petite. J’avais fabriqué un petit lit où je l’avais mise afin qu’elle ne fasse pas « bouffer par les crabes de cocotier » et j’avais mis un petit insigne : Z.O.E dans un rond. Aujourd’hui elle a 24 ans, mais ce signe continue à la suivre partout et toujours. Le titre de l’expo est bien Femmes du Monde, mais j’ai averti le lecteur et le spectateur que du moment où il allait lire « Zoé Zoé » il allait rentrer dans mon monde à moi. C’est juste une invitation vers toutes ces femmes rencontrées dans ma vie.
Vous avez été nommé « Artiste de la paix » par l’UNESCO ? Oui car je me suis rapproché de l’ONU, notamment par le fait que j’ai traversé des pays dits « sensibles » comme le Soudan et l’Afghanistan par ex. L’UNESCO étant l’agence culturelle de cette instance, j’ai bénéficié de leur aide. Par ailleurs, il y a une Convention signée en 1979 par 125 pays et qui relève de l’Utopie mais qu’ils essayent de faire appliquer. Il s’agit de l’égalité des genres, bien qu’inscrite dans la constitution des 125 pays signataires, aucun à ce jour ne la respecte. Mon travail, a inspiré l’UNESCO qui trouvait que c’était une belle illustration de leur volonté de faire appliquer cette Convention. Le seul combat pour moi, même s’il relève de l’Utopie est celui de l’ONU, je ne crois pas à l’Europe. L’Organisation des Nations Unies devrait changer de dénominatif, je la verrais plus comme « l’Organisation des peuples sur la Terre » là c’est un combat qui vaut encore la peine de mener. C’est un très vieux rêve mais j’y crois encore.