Nous avons vécu des semaines épouvantables, la Nation française a été endeuillée, également la tunisienne, la malienne, la libanaise, l’égyptienne, russe, nigérienne et la liste est longue de ces pays endeuillés face à la nébuleuse terroriste. Bruxelles est en état d’alerte maximale, et le quotidien des civils et notamment des tous petits, n’est pas une mince affaire. Comment continuer à vivre normalement face à une situation hors normes ?
Pour les populations, les civiles, les adultes et surtout les enfants, bien vivre et faire face à ces « situations exceptionnelles « n’est pas chose aisée. Il n’y a réellement pas de stratégie de faire face adéquate, et pour se faire et tenter de trouver « les bons mots et l’attitude » adéquate pour nos enfants, il est souvent important d’être conseillé et accompagné.
Nous avons approché Evelyne Josse spécialiste de la question. Psychothérapeute qui a beaucoup travaillé notamment dans la traumatologie de guerre et dans des situations « d’urgence », pour justement essayer de comprendre comment les enfants, « ‘nos enfants » en ces temps incertains, vivent l’actualité et réagissent. Quelle attitude avoir avec eux sans les brusquer ou les vulnérabiliser davantage. Nos enfants vivent des choses qui ne sont pas du fait de la norme et la violence quotidienne si elle n’est pas représentée dans nos médias, peut également se rencontrer dans nos quotidiens. Toutes ces situations ont une forte portée psychologique et bien des parents face à la douleur sont démunis. Le terrorisme et le deuil sont des « univers » particuliers et il convient d’avoir la bonne posture pour ne pas fragiliser davantage les enfants.
Entretien avec Evelyne Josse
Parlez nous du coping et des stratégies de faire à mettre en place pour un enfant vivant une situation de terrorisme?
Les adultes doivent se rappeler que les enfants ne vivent pas et ne comprennent pas les événements de la même manière qu’eux-mêmes. Il est donc important qu’ils écoutent leurs enfants pour comprendre la manière dont ils appréhendent les faits qui viennent de se dérouler afin de répondre de manière adaptée à leurs besoins et à leurs interrogations. C’est la meilleure réponse que je puisse vous donner. Les stratégies à mettre en place dépendent directement du besoin des enfants et pour connaître ces besoins, il faut écouter les enfants.
Il est important aussi de savoir que les réactions des enfants sont fortement influencées par la réaction de leur entourage direct ainsi que par le niveau de détresse et de désorganisation que les événements entraînent dans leur univers. Confrontés à une situation tragique, les enfants et les adolescents se tournent instinctivement vers les adultes qui les entourent et s’identifient immédiatement à leurs attitudes et réactions. Leur comportement est donc souvent calqué sur le leur et profondément influencé par ce qu’ils pressentent de leurs attentes. Ce qui veut dire que pour aider ses enfants, il faut parfois commencer par s’aider soi-même.
Bien entendu, les adultes ont le droit d’être tristes et ils ont le droit d’être tristes devant leurs enfants. En s’autorisant à être tristes, les adultes autorisent leurs enfants de l’être aussi. C’est une forme de permission qu’ils donnent à leur progéniture de reconnaître leurs propres émotions et de les exprimer. Inutile qu’ils taisent leurs émotions pour protéger leurs enfants ; les enfants ressentent le malaise de leurs parents. Ne pas leurs en signifier la cause, c’est courir le risque que les enfants s’attribuent l’origine de cette souffrance. Les adultes ont le droit d’être tristes et d’être tristes devant leurs enfants car il n’y a pas davantage de raison de se cacher pour pleurer que de se cacher pour rire… Les adultes ont le droit d’être tristes mais ils doivent en expliquer la raison aux enfants avec des mots simples adaptés à leur âge et à leur maturité. Outre les explications concernant l’objet de leur tristesse, ils doivent préciser que cette tristesse est transitoire et non pas un état permanent. Ils doivent ajouter que leurs enfants ne peuvent rien faire pour apaiser cette tristesse. Ils n’en sont pas responsables. Pas plus dans sa genèse que dans sa résolution. Et si les adultes ne peuvent en expliquer la raison immédiatement car ils sont débordés émotionnellement, il est important qu’ils disent « Je suis malheureux, je suis triste. Cela est en lien avec les attentats. Je ne suis pas capable d’en parler maintenant mais dès que je le pourrai, j’en parlerai avec toi ».
Les adultes ont aussi le droit d’avoir peur. Comme pour la tristesse, les adultes ont le droit d’avoir peur mais si cette peur est intense, ils devraient demander de l’aide, par exemple auprès d’un psychologue, pour ne pas transmettre leur propre peur à leurs enfants. D’autant que si l’état de tristesse est généralement transitoire, la peur s’avère souvent plus persistante.
Il est important qu’ils reconnaissent que c’est normal d’avoir peur au vu des circonstances mais ils doivent également pouvoir rassurer leurs enfants et ramener le risque d’être touché par un attentat à sa juste valeur. Ils peuvent, par exemple, expliquer que le risque que cela arrive est très faible et que tout est mis en place pour assurer la sécurité des citoyens, que cette sécurité a été renforcée, etc. Les enfants entendent également parler des accidents de voiture, de trains, d’avions ; ils entendent parler de cancers, etc. La mort peut frapper à tout moment. C’est une réalité et il ne faut pas la nier. Il est important de reconnaître qu’il existe une part de notre existence qui ne peut être maîtrisée et les adultes, par un comportement confiant et rassurant, doivent montrer à l’enfant qu’il est tout à fait possible de vivre avec cette donnée. Prendre conscience de cela et l’accepter fait partie du fait de grandir.
Si les adultes sentent qu’ils vacillent et qu’ils ne parviennent pas à dépasser leur tristesse et leur peur, ils devraient rencontrer un psychologue pour les aider à recouvrer leur équilibre mental et pouvoir ainsi offrir à leurs enfants le soutien dont ils ont besoin.
Dans le cas d’un choc du à un ESPT comment gérer la situation?
Pour parler d’état de stress post-traumatique, il faut que l’enfant ait été victime ou témoin des attentats. Dans ces cas-là, le mieux est probablement de recourir aux services d’un psychologue. La méthode qui semble donner les meilleurs résultats est l’EMDR. EMDR est l’acronyme de « Eye Movement desensitization and reprocessing », en français « désensibilisation et retraitement par le mouvement des yeux ». L’appellation « EMDR » a été conservée même si la méthode ne se limite plus désormais à l’utilisation des mouvements oculaires. Cette approche psychothérapeutique a été découverte fortuitement aux Etats-Unis en 1987 par Francine Shapiro. Son efficacité a été scientifiquement prouvée depuis 1989 par de nombreuses études contrôlées. Depuis 2013, l’Organisation Mondiale de la Santé la préconise pour le traitement des troubles psychotraumatiques chez l’enfant et l’adulte.
Quel langage aborder avec l’enfant?
Les adultes doivent utiliser des mots simples, des mots de tous les jours, des mots adaptés en fonction de l’âge, de la maturité et du questionnement de l’enfant.
Comment a ton géré le quotidien sur Bruxelles pour expliquer aux enfants?
Les parents ont parlé à leurs enfants. Les instituteurs aussi. Les uns et les autres sont parfois maladroits dans leurs propos. Ils sont eux-mêmes choqués par les événements et apeurés par rapport à la situation. A l’avenir, il faudrait penser à informer les instituteurs et les professeurs sur la manière la plus appropriée pour aborder le terrorisme avec les enfants et les adolescents.
Quelles représentations ont les enfants de la terreur?
Il est difficile de répondre à cette question. Cela dépend de leur âge, de leur maturité, de leur expérience… Ils peuvent être perturbés par les faits tragiques relayés par les médias ou par la peur qu’ils ressentent dans leur entourage. Comme leur pensée et leur compréhension du monde sont fortement imprégnées d’imaginaire, ils sont aussi susceptibles d’interpréter péjorativement des événements sans gravité ou des situations sans danger. A nouveau, c’est important de leur parler, de voir de quoi ils ont peur et pourquoi.
Comment expliquer ou préparer l’enfant?
Il est important d’écouter les enfants et de les encourager à exprimer leurs craintes, leurs émotions et leurs réflexions. Les adultes sont parfois réticents à évoquer des situations douloureuses de crainte d’angoisser leurs enfants et d’induire des troubles chez eux. La meilleure façon de les aider à surmonter leurs peurs et leurs angoisses est de les encourager à les exprimer.
Bien entendu, parler ne signifie pas dire tout ce que l’on sait, rapporter tout ce qui se dit dans les médias. Il est absolument inutile de donner des détails sordides, de parler du sang et des corps disloqués ou d’étaler les craintes d’un nouvel attentat. Les informations doivent être triées en fonction de l’âge. On simplifiera pour les petits qui ne peuvent pas tout saisir et on sera plus explicite avec les adolescents qui n’auront pas été épargnés par les informations diffusées dans les médias.
On pose souvent la question : « A partir de quel âge doit-on parler aux enfants de ce qui s’est passé, du terrorisme, des attentats ? ». En réalité, il n’y a pas d’âge pour aborder ces sujets. Si un enfant pose une question, il est nécessaire de lui répondre quel que soit son âge.
Bien sûr, les adultes n’ont pas de réponse à toutes les questions. Sur la mort et sur le fait que des personnes soient capables de commettre de tels actes au nom de leurs croyances, il n’y a pas de réponses toutes faites. Il est important de reconnaître que sur certains sujets, il n’existe pas de vérité universelle et que les adultes ne connaissent pas tout. Ils peuvent dire : « Voilà ce que moi j’en pense. ». Ils peuvent, évidemment, exposer les opinions défendues par d’autres.
Après avoir débattu du sujet des attentats, il est essentiel de revenir à la réalité quotidienne, de ramener l’enfant à la routine quotidienne rassurante : il est l’heure de dîner, de faire les devoir, etc.
Il est important de parler des attentats mais il ne faut jamais forcer les enfants qui refusent de parler ou d’entendre parler des événements et qui le manifestent clairement, par exemple en se bouchant les oreilles dès que le mot « attentat » est prononcé. Refuser d’affronter le sujet est un moyen pour eux de se défendre contre les émotions violentes. D’autres enfants peuvent paraître tout à fait indifférents au drame. Les adultes ne doivent pas se laisser piéger par cette apparente insouciance et doivent rester attentif aux signes qui pourraient signaler de l’angoisse tels que cauchemars, énurésie nocturne, peur de quitter le domicile ou les parents, etc. Pour ces enfants-là, il faudra se montrer présent et ouvert lorsqu’ils seront prêts à poser des questions.
Donc, nous l’avons dit, avec la majorité des enfants, il est important de parler du terrorisme et des attentats mais que dire ? Dire que les terroristes sont des méchants ? Cela suppose une vision dichotomique du monde divisé entre bons et méchants. La réalité est plus complexe que cela. De plus, ce langage rappelle celui des BD et des dessins animés. Dans les cartoons, les méchants sont reconnaissables, ils sont vêtus de noir, ils sont laids, ils ont le regard mauvais. C’est induire les enfants en erreur. Dire que ce sont des monstres ? Les monstres sont des créatures imaginaires. Ils n’existent pas. Pendant des années, les adultes rassurent leurs enfants qui voient des monstres dans les placards ou sous les lits en leur disant que les monstres n’existent pas. C’est insensé de leur dire subitement que les monstres existent. Dire que les terroristes sont des fous ? La folie, c’est une pathologie, et dire que les terroristes sont des fous, c’est insultant pour les malades qui souffrent d’un trouble mental. Alors que dire ? Dire la vérité, dire que les terroristes tuent au nom de leur religion mais que leur religion ne dit pas de tuer. Dire qu’ils n’ont rien compris à leur religion. Dire qu’ils veulent que tout le monde vit, croit et pense comme eux. Et ce sera la même explication qu’on soit chrétien, juif, athée ou musulman.
Quelle prise en charge, par ex dans le cas du petit enfant de 5 ans ayant survécu au Bataclan à l’instar des parents?
Il faut éviter de médicaliser ou de psychiatriser les signes de détresse des enfants qui sont troublés suite aux images qu’ils ont vues à la télévision et les rassurer par notre comportement et par les discussions que l’on peut avoir avec eux. Pour les enfants qui ont été des victimes directes de ces attentats, je pense qu’il est judicieux de leur offrir une aide psychologique spécialisée.
Quelles différences entre une situation de violence chronique et un acte isolé violent pour l’enfant? quelles ressources?
Nous sommes loin d’une situation de violence chronique comme les connaissent les pays en guerre civile.
Dans ce cas précis, quelle aide lui apporter?
D’un enfant à l’autre la langue est la même certes, mais le coping, la résilience?
Les enfants sont différents, par l’âge, par la maturité, par l’expérience et bien entendu, par le caractère. Certains sont plus anxieux que d’autres et ceux-là auront peut-être besoin de davantage d’aide. Leur coping sera sans doute plus évitant. Ils seront, par exemple, plus enclin à éviter les situations qui leur semblent dangereuses. Le processus de résilience sera plus ou moins court, plus ou moins long mais le processus est grosso modo le même.
Quels sont les programmes qui peuvent l’aider à reprendre le cours normal de sa vie?
Maintenir la vie quotidienne, le travail, l’apprentissage scolaire par exemple est une manière d’assurer une stabilité au développement des enfants. Il s’agit également de leur offrir un espace où ils peuvent se concentrer à l’écart des préoccupations des adultes, des tensions familiales, de l’agitation, voire du chaos. Retrouver une routine quotidienne aide les enfants à récupérer d’événements dramatiques et à s’adapter aux nouvelles situations. La stabilité offerte par la famille et par l’école permet d’annihiler l’impression de chaos et de défaillance qu’ils ont du monde des adultes. Réinstaurer les habitudes propres à la vie familiale ou scolaire contribue à créer un sentiment de continuité et de sécurité. Se lever, se coucher et manger à heures régulières, participer aux activités scolaires et fréquenter des compagnons de jeux sont des activités réconfortantes pour les enfants.
Bio Expresse:
Evelyne Josse est psychologue clinicienne diplômée de l’Université Libre de Bruxelles. Formée à l’hypnothérapie éricksonienne, à l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), à la thérapie brève et à l’EFT (Emotionnal Freedom Techniques), elle pratique en tant que psychothérapeute en privé. Elle est également expert en hypnose judiciaire auprès de la justice belge, superviseur de psychothérapeutes, formatrice en psychotraumatologie à l’Institut Français d’EMDR et à l’Institut Belge de Victimologie (IBV), chargée de cours à l’Université de Metz (France), membre du comité scientifique de l’IBV, responsable du comité « Communication » et vice-présidente de l’association EMDR-Belgique. Avec Oliver Perrot, elle a fondé l’Ecole Belge d’Hypnose et de Thérapies Brèves au sein de laquelle elle enseigne l’hypnose aux thérapeutes.
Elle a travaillé pour différentes ONG (« Partage avec les enfants du Tiers Monde », « Avenir des Peuples des Forêts Tropicales », les sections belge et suisse de « Médecins Sans Frontières », « Médecins du Monde-France ») et est consultante en psychologie humanitaire. Elle a développé une expertise dans la prise en charge des populations victimes de violence (notamment de violences sexuelles et sexospécifiques) ainsi que du personnel expatrié victime d’un incident critique. Passionnée d’ULM 3 axes (type avion), elle a mis sur pied avec Thierry Moreau de Melen, un pilote, le programme ASAB (Anti-Stress Aéronautique Brussels)
Auparavant, elle a exercé dans des hôpitaux universitaires auprès d’adultes atteints du VIH/SIDA et auprès des enfants malades du cancer. Elle a également été assistante en faculté de Psychologie à l’Université Libre de Bruxelles.
Elle est l’auteur des ouvrages suivants :
– Le pouvoir des histoires thérapeutiques. L’hypnose éricksonienne dans la guérison des traumatismes psychiques » paru en 2007 aux éditions La Méridienne/Desclée De Brouwer
– « Le traumatisme psychique chez le nourrisson, l’enfant et l’adolescent », édité chez De Boeck Université en 2011 dans la collection « Le point sur »
– « Interventions en santé mentale dans les violences de masse », écrit en collaboration avec Vincent Dubois, paru en 2009 aux éditions De boeck
– » Le traumatisme psychique chez l’adulte », sorti en mai 2014, chez De boeck, dans la collection Ouvertures Psychologiques.
Elle écrit actuellement un ouvrage sur les traumatismes psychiques de la guerre 14-18 et sur l’Histoire du traumatisme.