Par Fériel Berraies Guigny
L’embrigadement des enfants dans les conflits armés et dans les actes terroristes, est un problème crucial et malheureusement endémique dans nos sociétés. D’hier à aujourd’hui, les enfants sont souvent instrumentalisés à des fins de violence et de combats armés et ils sont sur tous les fronts quand on décide de les utiliser comme » chair à canon ».
C’est souvent des « guerres sales » où les moyens et les fins sont hautement discutables. Nous avions il y a quelques années effectué une recherche scientifique sur le sujet et aujourd’hui encore, l’actualité internationale prouve encore la pérennité de cette problématique qui restera dans la durée, car derrière ces enfants, se cachent « les adultes » et des calculs politiques et géostratégiques. Toutes les conventions internationales pourtant présentes et existantes, ne suffisent pas à les protéger, car les rouages politiques et les intérêts des chefs de guerre priment avant tout.
Aujourd’hui, les armées africaines les utilise encore et toujours pour « combattre l’ennemi » comme par ex au Mali où un gros scandale a a été levé dernièrement ( armées africaines censées apporter un renfort aux maliens) car on a découvert que les armées censées libérer le pays, utilisaient des « militaires » qui étaient parfois des enfants; pire encore dans le Monde arabe dans la croisade contre le régime Assad en Syrie, des jeunes adolescents sont envoyés à la mort au nom du djihad et des jeunes filles vierges ( d’Afrique du Nord) sont envoyées comme marchandise sexuel pour combattre aussi à leur côtés, tout en donnant « leurs corps » à double titre !
Avant de pouvoir vous parler de notre prochain livre qui sortira à la rentrée sur cette problématique de l’enfance de guerre, nous avions voulu partager avec vous, chers UFFPiens cette interview effectuée il y a quelques temps dans le cadre de notre recherche avec le congolais Emmanuel Dongala.
Flashback sur une rencontre mémorable
Congo : la Guerre des Enfants
Les enfants soldats et l’instrumentalisation dans la violence abjecte de la guerre, est le sujet du roman du congolais Emmanuel Dongala. « Johnny Mad Dog »
Paru en seconde édition au Serpent à plume ( 2008), l’écrivain livre le témoignage terrible, d’un vécu et ses souvenirs d’un survivant. Johnny Dongala, qui aujourd’hui réside aux Etats Unis est un des premiers écrivains africains à avoir écrit sur la thématique. Il fait partie de ces personnes qui ont fui le Congo dès la première guerre civile. Nous avons évoqué avec lui, sa fuite du pays, comment il a vécu le déferlante de ces hordes d’enfants impitoyables, ses péripéties pour obtenir un visa de réfugié. Aujourd’hui, son roman qui fut adapté sur les écrans par Jean Stéphane Seauvaire et produit par Matthieu Kassovitz, reste une formidable revanche du destin. Nous l’avions approché durant l’avant première de ce film, durant un passage parisien.
Emmanuel Dongala Express :
Emmanuel Dongala est né le 16 juillet 1941 à Alindao (République centrafricaine) de père congolais et de mère centrafricaine. Il est diplômé « Master of Sciences » de la Rutgers University (U.S.A.) et « Docteur ès Sciences de l’Université de Montpellier (France). Il a enseigné la chimie à la faculté des sciences de Brazzaville jusqu’à la guerre civile qui a ravagé le Congo en 1997. A Brazzaville il avait fondé en 1981 le Théâtre de l’Eclair, compagnie avec laquelle il avait monté plusieurs pièces d’auteurs congolais ou étrangers. Il avait également présidé l’Association nationale des écrivains du Congo. Il vit aujourd’hui aux États-Unis où il est professeur de chimie à Simons’ Rock Collège, dans le Massachusetts, et professeur de littérature africaine francophone à Bard College dans l’état de New York. Emmanuel Dongala est lauréat du Prix Fonlon-Nichols l’excellence littéraire 2003. La Bourse de Beaumarchais lui avait été attribuée en 1992. Le feu des origines, roman, Albin Michel, 1987, Le Serpent à Plumes, 1998, Prix Charles Oulmont – Fondation de France (1988), Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire (1988), traduit en danois, en espagnol et en norvégien Il a déjà publié, au Serpent à Plumes: Jazz et vin de palme, Les petits garçons naissent aussi des étoiles, Le Feu des origines, Un fusil dans la main, un poème dans la poche.
LE LIVRE : Congo, en ce moment même. Johnny, seize ans, vêtu de son treillis et de son tee-shirt incrusté de bris de verre, armé jusqu’aux dents, habité par le chien méchant qu’il veut devenir, vole, viole, pille et abat tout ce qui croise sa route. Laokolé, seize ans, poussant sa mère aux jambes fracturées dans une brouette branlante, tâchant de s’inventer l’avenir radieux que sa scolarité brillante lui promettait, s’efforce de fuir sa ville livrée aux milices d’enfants soldats. Sous les fenêtres des ambassades, des ONG, du Haut-commissariat pour les réfugiés, et sous les yeux des télévisions occidentales, des adolescents abreuvés d’imageries hollywoodiennes et d’informations mensongères jouent à la guerre : les milices combattent des ennemis baptisés » Tchétchènes « , les chefs de guerre, très à cheval sur leurs codes d’honneur, se font appeler » Rambo » ou » Giap » et s’entretuent pour un poste de radio, une corbeille de fruits ou une parole de travers.
Dans ce roman qui met en scène des adolescents à l’enfance abrégée, Dongala montre avec force comment, dans une Afrique ravagée par des guerres absurdes, un peuple tente malgré tout de survivre et de sauvegarder sa part d’humanité.
Entretien avec Emmanuel Dongala :
Votre roman « Johnny Mad Dog, transposé aux écrans aujourd’hui en France » est d’une cruelle actualité ? Oui et on peut même dire que c’est la réalité d’aujourd’hui qui a donné le pas au roman et au film. S’agissant de cette réalité, mon livre est avant tout le témoignage d’un vécu. Il y a près de dix ans déjà j’ai vécu moi-même, cette guerre civile et j’ai du fuir avec toute ma famille. Je me rappelle que sur notre chemin, nous étions affolés car nous étions sans cesse confrontés à des hordes d’enfants armés. Il y avait des barrages partout et des enfants qui n’hésitaient pas vous humilier et à vous tirer dessus pour n’importe quoi. Cette réalité je l’ai vécu en 1997-98 et j’ai vu de mes propres yeux les sévices perpétrés par ces enfants sur les populations. Je suis l’un des premiers auteurs africains à avoir écrit sur cette thématique, ce roman en est à une seconde édition, car il est sorti en 2002.
Qu’est ce qui vous a le plus choqué par rapport à ces enfants ? et bien c’est surtout l’effet de surprise, je me rappelle que la guerre civile éclate au Congo et un beau jour on se trouve assiégé par des enfants incontrôlable. Des enfants qui assiégent les rues, avec des armes sur leurs épaules, des armes parfois plus grandes qu’eux. On se dit « d’où sortent-ils ? Ils n’ont pas parents ni de famille ! Les barrages à perte de vue et ces gamins qui vous humilient devant votre femme et vos enfants. Mais c’est surtout la violence gratuite, j’ai vu un homme tué car il n’avait pas cent francs cfa !
Parlez-nous de la Crise en République Démocratique du Congo : le spectre d’une nouvelle guerre interrégionale est-il selon vous en train de se profiler ? On évoque un «holocauste tranquille» avec ce qui s’abat sur l’est du Congo : depuis le génocide rwandais, selon les estimations , il y aurait peut-être 10 millions de civils morts, femmes et filles violées en masse, enfants soldats, pillages et exactions ? Il faut à mon avis faire très attention, car c’est suivant ce même scénario que la première « guerre mondiale d’Afrique » du temps de Laurent Désiré Kabila a eu lieu. On l’appelait comme ça à cette époque, car plusieurs Nations étaient en jeu. Vous savez même aujourd’hui, on continue d’en payer le prix, car ce sont pour beaucoup les conséquences de cette première guerre qui génère cette seconde guerre. Par ailleurs, la faim, le chômage, la pauvreté, les maladies, tout cela entretien un terrain favorable. Si on parle d’un génocide silencieux ou tranquille, c’est parce que personne n’en parle, alors qu’il y a eu plus de morts au Congo qu’au Darfour par exemple. Le problème c’est qu’au Congo, cela traîne depuis des années et tout le monde est fatigué.
L’Afrique est souillée du sang de ses fils, et le scénario se répète continuellement, à qui la faute ? S’agissant du Congo, on parle d’une guerre « inutile » mais y en a t-il jamais eu d’utiles dans la région? Ce qui se passe actuellement, c’est d’abord lié au rôle du Rwanda qui joue un rôle hégémonique dans cette province du Kivu. Par ailleurs, il est de notoriété publique que Laurent Kunda est un pion du Rwanda. Et bien sûr il ne faut pas oublier tous les pays limitrophes qui ont tendance à profiter de cette situation. Notamment quand il s’agit de piller nos ressources naturelles. Et notamment l’exploitation de ces fameuses multinationales américaines ou britanniques qui s’emparent du Coltan, métal précieux que l’on retrouve dans nos téléphones portables. Personne ne veut faire face aux problématiques réelles : à savoir la responsabilité du Rwanda. Au départ, du temps du Génocide, c’était tout à faire normal de se défendre mais aujourd’hui le Rwanda a une attitude conquérante.
Le conflit au Rwanda semble avoir des prolongements dans toute la région, on trouve des poches de conflits dans les pays limitrophes, on parle de contamination « transfrontalière » avec la région du Nord Kivu, quel est votre sentiment? Nous payons le prix des conséquences du génocide rwandais. Aujourd’hui la main mise du Rwanda sur la province orientale, le Nord Kivu a engendré cette situation de conflit. L’Occident refuse de voir la réalité, car il y a trop d’intérêts en jeu. L’ONU promet d’envoyer 3000 soldats supplémentaires, mais ce n’est pas cela qui va régler le problème !
Le fond du problème est politique et il faut d’abord le régler.
De toute façon la mission au Congo est la plus grande mission de soldats onusiens au Monde, en envoyer davantage ne servira à rien. Il faut reconnaître le Rwanda derrière Kunda et l’armée génocidaire hutu du Congo qui de temps en temps fait des incursions au Rwanda, doit être stoppée.
Beaucoup de dirigeants africains, attendent la vision et les conseils d’Obama, cela suffira t-il ? Obama pour faire quelque chose pour l’Afrique doit avoir une vision claire de ce que l’Afrique et les Africains veulent, hors nous sommes loin du compte !
Comment corriger les erreurs du passé ? «la fin de la carte blanche au Rwanda pour s’ingérer au Congo», et «le lancement d’un processus politique pour démocratiser le Rwanda» selon vous ? Il faut arrêter l’ingérence Rwandaise et désarmer les milices pro hutus qui sont à la frontière du Rwanda. Et le Congo lui-même, c’est à dire son gouvernement qui est corrompu et qui doit mieux contrôler son armée, qui n’en est plus une, puisqu’elle fait partie aussi du problème avec ses pillages et ses exactions !
S’agissant des enfants soldats, qui est la thématique de votre roman, comment stopper le fléau face à des gouvernants et des chefs de guerre qui continuent à recruter malgré les conventions internationales pour la protection de l’enfance? Tant que l’Etat est en faillite, il n’y aura jamais de démocratie et on s’attendra à ce que l’on continue de recruter des enfants comme soldats. Tant qu’il y a une guerre, un processus de désembrigadement est impossible. Pour ces enfants, le premier contact avec une femme s’est fait avec le viol, avec les adultes, s’est fait dans la violence. Pour ces enfants il n’y a aucun modèle de référence ou de respect à suivre. Les réinsérer, restera une mission impossible. Il y a beaucoup de programmes d ONG et de l’ONU qui se chargent de les désembrigader. Mais on omet souvent la dimension « magique » ; souvent quand on recrute les enfants ont leur fait subir des « rites » il faut donc aussi délier la magie de la réalité. Il faut leur montrer que les pouvoirs magiques peuvent être défaits, il faut prendre cela en compte. Sur le terrain, une cérémonie inverse pour défaire le pouvoir magique, cela marche aussi.
La Communauté internationale peut-elle aider ? Cela n’est possible que si l’Etat est en bonne marche, elle peut aider en collaboration avec la famille, la communauté, le pays, la société civile. Bien sur l’argent est nécessaire mais il faut d’abord la sécurité dans le pays, sinon aucun programme ne tiendra le coup. La paix est la seule garante pour inculquer une culture de la paix à ces enfants. La société civile a un rôle très important, elle est dans sa réalité elle n’a pas de calculs politiciens et aura le langage nécessaire pour réinsérer ces enfants qui appartiennent à son tissu social.
Et l’Afrique ? Il faut avant tout arrêter la dénégation des Etats et des Chefs de guerre. Il faut la regarder et l’accepter cette réalité. Tant qu’il y aura la misère, il y aura le dialogue du fusil et de la machette. Il faut combattre la pauvreté, c’est un début d’espoir pour ces enfants. Je pense que la paix sociale, l’éducation et la participation plus accrue des femmes par rapport à ce problème, détermineront le reste.
Quel avenir pour les enfants perdus ? D’abord les conséquences sont graves pour la Nation, car dans des pays où pendant cinq ans, les enfants ne sont pas allés à l’école et c’est le cas au Libéria ou au Sierra Léone on assiste à des générations non instruites et c’est dramatique. On se retrouve avec le gap d’une génération !
Culture de la paix en Afrique et ces Etats en guerre, réalité envisageable ? La guerre est la négation de la paix, et même si aujourd’hui pour certains pays d’Afrique, la paix est une réalité difficilement envisageable, elle reste la condition sine qua none pour s’en sortir. Et les enfants de l’Afrique sont son futur !