Asma Guenifi, d’origine algérienne, est diplômée en psychologie clinique, auteure de plusieurs recherches sur les profils psychologiques des islamistes radicaux. Une vocation qui est venue car elle fut touchée dans sa « chair » durant la période des attaques islamistes en Algérie. Asma fut aussi psychologue au sein de l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT)
Militante depuis des années, cette psychologue clinicienne ancienne membre de l’association française des victimes du terrorisme (AFVT), vole aujourd’hui de ses propres ailes en lançant dans la continuité de son parcours, le centre Phoenix qui fait la parenthèse entre deux vies, celle de l’école des beaux-arts où elle dessinait les corps nus et celle où les islamistes assassinaient les femmes non voilées. Son projet étant de mettre en place un institut de psycho traumatisme et de résilience (CPPR). Un lieu de soins et de recherche appelé « Phoenix ». Le centre existe sur le plan juridique mais elle attend toujours des subventions pour sa mise en place matérielle. UFFP l’a rencontrée pour vous.Récit de notre entretien
Entretien avec UFFP
Parlez-nous de votre parcours qui est d’ailleurs assez dense
Je suis née et grandie à Alger. En 1994, j’étais en première année de préparation à l’école des beaux-arts, un univers qui était pour moi comme une bouchée d’oxygène, un lieu de liberté d’expression extraordinaire au moment où les bombes, les kidnappings et les assassinats faisaient rage. La peur de mourir dans des conditions atroces me tétanisait. Avec mes copines nous nous demandions avec angoisse comment allons-nous mourir si les islamistes nous kidnappent ?
Le temps que j’ai passé dans cette école était salutaire pour moi, comme une deuxième vie, je pouvais rêver à un autre avenir que celui de se faire tuer ou d’assister à la mort d’un de mes proches. j’y apprenais à dessiner des corps nus tandis qu’à l’extérieur, les filles qui refusaient de porter le voile étaient assassinées.
Mars 1994, un lundi matin, je ne vais pas à l’ école à cause d’un petit problème de santé ! En fin de matinée j’apprends l’assassinat du directeur de l’école des beaux-arts et de son fils mon ami Rabah. Le choc etait tel que je n’arrivais ni à pleurer ni à me révolter. Ils ont été assassinés parce qu’ils étaient amoureux de l’art, de la vie et de l’amour ! Mon « paradis » que je croyais à l’abri de la horde des assassins vient d’être détruit ; plusieurs étudiants et étudiantes avaient peur de revenir à l’école. Les enseignants nous disaient de ne pas céder à la peur, de continuer à dessiner comme une manière de lutter contre les fascistes. J’étais meurtrie mais je refuse de céder et avec tous les autres camarades de cette école on a repris les cours. Un slogan est resté gravé dans ma mémoire : ART EST RESISTANCE.
Vous avez choisi de faire de la lutte contre l’intégrisme votre combat ? Parlez-nous de la genèse de ce combat, qu’est-ce qui vous amenée à vous y intéresser ?
Le 6 juin 1994, une autre tragédie me frappe. Au retour d’une visite chez mes grands parents 4 terroristes attendaient en bas de chez moi . J’étais en compagnie de ma mère et de mes deux frères dont Hichem, l’ainé. L’un des terroristes l’appelle de son prénom et vide son arme sur lui.
Pourquoi mon frère, ce jeune de 20ans, passionné de musique l’ont-ils tué ? Je me suis posé cette question mille fois, jusqu’à ce que je comprenne que les islamistes avaient un projet politique et sociétal aux antipodes de la démocratie et des libertés individuelles. Toutes celles et ceux qui le rejetait étaient condamnés à mort.
Ce jour-là c’est comme si je venais d’être tuée avec mon frère, ce frère auquel je livrais mes angoisses et mes peurs. Il tentait alors de me rassurer et pour m’apaiser il me jouait avec sa guitare une chanson et je m’endormais.
Peu de temps après ma vie a encore basculé. J’avais 19 ans. Mes parents avaient décidé de partir en Europe nous mettre à l’abri pour un temps. Un policier avait dit à mon père qu’il est impossible d’assurer notre protection, et qu’il vaut mieux quitter l’Algérie.
J’arrive donc en France avec mes parents. Après des études secondaires, j’ai rejoint l’université et, sans aucune hésitation, choisi d’étudier la psychologie. Ce choix m’a sauvé, car j’avais besoin de comprendre ce tsunami psychique qui m’a envahi et m’a métamorphosée. Après avoir étudié le traumatisme psychique, j’avais compris que je n’étais pas « folle » mais que j’avais des symptômes post traumatiques qui se soignent chez un psy !
Après quelques semaines, je suis retournée en Algérie pour un stage avec les victimes du terrorisme dans une des régions les plus meurtries. Ce stage m’a permis de découvrir ma limite en tant que psychologue et en tant qu’individu. D’où ma détermination d’approfondir mes études et de travailler, en parallèle, avec les victimes du terrorisme.
J’ai débuté mes recherches sur le profil psychologique des terroristes. Qui sont ces individus ? Je savais qu’on ne nait pas terroriste mais qu’on le devient ; reste à découvrir pourquoi et comment. Mon étude se base sur le profil des salafistes djihadistes engagés dans le terrorisme. Le résultat démontre qu’ils n’ont pas un seul profil mais plusieurs. l’un des profils révèle le désir de devenir un « héros » en tuant les mécréants et en sacrifiant sa vie pour Dieu. Qu’elle belle cause ! Leur instrumentalisation mentale s’inscrit dans cette fragilité psychologique et dans cette envie salutaire d’exister en épousant cette cause avant d’aller au paradis. Des passages à l’acte se produisaient ici et là comme celui de Merrah mais j’avoue n’avoir jamais imaginé un seul instant un massacre tel que celui de Charlie Hebdo, Nice où du Bataclan!
Le phénomène « d’emprise » de nos jeunes que ce soit dans les banlieues en France et en Europe ou dans nos pays d’origine, prend de plus en plus d’ampleur, à quoi attribuez-vous cela ?
En effet, ce phénomène d’emprise ou d’embrigadement s’étend de plus en plus en Europe et il ne va pas s’arrêter de sitôt. Dans les banlieues, la mal vie, le chômage et surtout le racisme favorisent cette emprise. Les jeunes issus de l’immigration sont généralement des individus fragiles psychologiquement, sans conscience politique et avec un passé plus ou moins relatif à la délinquance. Ils sont en quête d’un environnement idéal où l’injustice n’existerait pas. Rejetant l’action politique, syndicale ou associative ils croient avoir trouvé la voie juste auprès des Salafistes qui squattent les mosquées et les réseaux sociaux. On assiste alors, et de plus en plus, à une religiosité anormalement excessive, premier pas vers l’irréparable quand, ensuite, on demande à ces jeunes de combattre pour Allah, de passer à l’acte. Dès lors, les recruteurs pour le Djihad jouent sur du velours.
J’attribue cela en premier lieu à la présence militaire française dans les pays musulmans pour combattre le terrorisme. Cette présence est perçue par la masse des jeunes musulmans comme une agression contre les musulmans en général selon la propagande salafiste. Ensuite, à la politique antisociale du pouvoir, (politique qui touche d’ailleurs l’ensemble des Français de la classe laborieuse) et en second lieu, à la diffusion massive et agressive de la doctrine salafiste et à l’activisme impuni de ses militants. Certes, cette doctrine commence à être combattue par les pouvoirs publics mais ils ont pris tardivement conscience de son danger. Ce n’est que récemment qu’ils commencent à saisir que l’islamisme salafiste n’est pas une opinion mais un délit au même titre que le racisme ou l’antisémitisme. N’est-il pas trop tard ?
Aujourd’hui « toute une communauté » en fait les frais au profit de certains mouvements populistes et partis politiques, créant un risque de scission entre les français, un risque justifié selon vous ?
J’attribue ce risque aux mouvements et partis populistes qui ont inscrits dans leur programme la marginalisation d’une communauté, en l’occurrence celle des musulmans. Pendant ce temps les grandes formations traditionnelles républicaines de gauche comme de droite se meurent, ouvrant ainsi une large brèche à l’extrême droite qui favorise la scission entre les français sur une base communautariste voire raciste. Un pays qui ne donne plus à sa jeunesse issue de l’immigration les outils pour rêver et produire il ne reste plus à cette jeunesse isolée que les extrêmes pour tenter d’exister. Plus grave, un jeune sans travail, sans avenir, avec des rêves brisés fait vite le choix d’être « élu » pour une mission « dictée par Dieu ».
Les polémiques du genre Charlie Hebdo etc. ne risquent-elles pas d’écarter les citoyens français des vrais enjeux et problèmes de société que vous vivons « tous « au quotidien ?
En effet, la polémique genre « Je suis Charlie » a divisé les français sur une base identitaire. L’intitulé « Je suis Charlie » a semé la pagaille dans les consciences. Une forte propension de citoyens de culture judéo-chrétienne s’identifiait à l’hebdo tandis qu’une autre, dont de nombreux musulmans, le refusait tout en condamnant l’acte terroriste. L’autre polémique (depuis le terrorisme) concerne la place de l’Islam en France. Les racistes organisés exigent de mettre l’Islam hors la loi ; autrement dit bouter les musulmans hors de France mais sans le dire clairement. De leur côté les laïques font dans l’angélisme en refusant de combattre l’islamisme salafiste au motif qu’il s’agit d’un mouvement strictement culturel. Par exemple, le port du voile fait partie légitimement de « la culture musulmane » refusant à ce jour d’admettre qu’il est la preuve tangible d’une soumission à l’homme féodal et non à Dieu. Mais dans l’ensemble je ne crois pas que les citoyens se soient écartés des vrais enjeux et problèmes de société toujours en débat.
Parlez-nous du projet Phénix ? que Propose le centre aujourd’hui ? Quels sont vos acquis et vos défis actuels ?
Dans la continuité de mon parcours, le centre Phoenix est un mixte entre mes deux vies, celle de l’école des beaux-arts où je dessinais les corps nus et celle où les islamistes assassinaient les femmes non voilées. Un moment un peu schizophrénique, mais salvateur que celui de côtoyer autre chose que la mort ! L’art.
J’ai décidé de mettre en place un institut de psycho traumatisme et de résilience (CPPR). Un lieu de soins et de recherche que j’ai appelé « Phoenix ». Le centre existe sur le plan juridique et j’attends des subventions pour sa mise en place matérielle.
Quand le centre ouvrira ses portes, nous l’espérons dans un proche avenir, Il se proposera de recevoir des adolescents et adultes victimes de terrorisme, de guerre, de violences causées par autrui ou de violences qui se sont produites dans la famille. D’accompagner les personnes à retrouver une vie quotidienne avec des liens sociaux. De favoriser l’accès aux soins et leur continuité. Le centre placera la victime au cœur de son action.
Je pense que pour être un « bon » professionnel de la santé psychique il faut être toujours en mouvement dans la recherche et le partage des expériences et du savoir-faire avec nos confrères dans le monde, pour consolider nos acquis et améliorer notre pratique clinicienne. Notre défi sera d’apporter une aide efficace aux patients en développant des actions innovantes de prise en charge, en participant à des actions de recherche pour développer et innover dans le champ de la thérapeutique sur le traumatisme.
Etant donné que nous ne sommes pas tous égaux face à la parole, le centre proposera des outils thérapeutiques. Par exemple, les ateliers d’art-thérapies et les thérapies par le corps et le mouvement afin que chaque patient puisse choisir son outil pour purger son traumatisme et se reconstruire. Les dispositifs déployés prendront en compte les expériences et apports des personnes qui ont souffert de violences.
Les pouvoirs publics prennent ils la mesure du travail « de reconstruction » à faire après les attentats survenus en France ?
J’ai l’impression que les pouvoirs publics n’ont pas encore saisis l’ampleur des dégâts psychologiques sur les victimes directes et indirectes des derniers attentats. L’année dernière François Hollande avait mandaté des personnes pour faire un état des lieux sur la prise en charge des victimes. Cette étude a préconisée la mise en place d’un centre comme celui de Phoenix. Mais, malgré ce constat et malgré nos demandes de subventions et de concertation avec les institutions concernées c’est le silence. Quand Le traumatisme psychique n’est pas pris en charge dès le début il peut provoquer des dégâts irréversibles et cela peut couter très cher à la société.
Quels sont les besoins les plus récurrents que vous rencontrez auprès des victimes ? il y a manifestement un « avant « et un « après » mais le « après » est-il bien compris ?
en psychothérapie le besoin immédiat des victimes est d’essayer de comprendre leur nouvel état psychologique après le tsunami traumatique. Elles découvrent que leur vie psychique a désormais un avant et un après ! Entre les deux, elles essayent de donner un sens à leur vécu et tentent de faire le deuil de la vie d’avant. Par contre, si la victime a perdu un être cher, par exemple dans un attentat, le travail est plus douloureux et plus long.
La vie psychique n’a pas de temporalité, chaque patient à une vie psychique différente. Donc le « après » traumatisme est difficile à établir, l’élaboration a un temps psychique indéfini.
Le « après » le traumatisme est donc différent pour chaque personne. Si on parle, 2ans après, des victimes du 13 novembre, il est encore trop tôt pour certains de dire que le sens a était trouvé.
De quels moyens disposez-vous aujourd’hui pour faire face ?
Aucun. Nous attendons toujours une réponse favorable à nos multiples demandes d’une subvention y compris auprès de fonds privés. Pour l’instant, je reçois mes patients dans un petit cabinet loué. Une petite équipe de psychologues bénévoles m’entoure. Malgré le manque de moyens, nous essayons d’accompagner correctement les victimes vers le chemin de la résilience. Ce qui me désole est que les patients paient eux-mêmes la consultation faute de leur prise en charge financière.