Professeure et directrice du Centre de Phytothérapie et de recherche (CEPHYR), Ameena Gurib-Fakim, a été élue Fellow de l’Académie Africaine des Sciences. Elle est la première Mauricienne à accéder à la plus haute reconnaissance de l’académie.
Ameena Gurib-Fakim se bat depuis des années dans le cadre de ses recherches au travers du CEPHYR et a déjà obtenu de nombreuses reconnaissances à l’échelle internationale. Elle a aussi plusieurs projets en cours, dont la sortie d’un livre sur les arbres de l’Ile Maurice.
Ameenah Gurib-Fakim est une scientifique dans le cœur et dans l’âme, de ces role models qu’UFFP affectionne particulièrement. Nous l’avions d’ailleurs rencontrée cet hiver à Paris, au gala du Prix L’Oréal Unesco pour la recherche scientifique. Elle venait d’un voyage en Tunisie et nous racontait l’amour qu’elle avait pour ce pays et ces femmes qui se battent contre les fatalités héritées du printemps arabe.
Par Fériel Berraies Guigny
Mettre son savoir au service des êtres humains via le développement des propriétés médicales des plantes tropicales est l’engagement de toute une vie. Lauréate du prix L’Oréal Unesco 2007, Ameenah Gurib-Fakim est un exemple pour nous toutes et démontre que la voie de l’environnement durable et du progrès est possible.
Un secteur méconnu qui n’existait pas une vingtaine d’années auparavant et qui a passionné Ameena: Pour une juste reconnaissance des plantes médicinales et de leur apport dans le domaine pharmaceutique et cosmétique.
En 2009 Ameena Gurib Fakim a été récompensée par la National Economic and Social Council pour sa contribution dans la recherche. Durant la même année, elle remporte le prix du Centre Technique Agricole basé en Hollande et un prix spécial de l’Union Africaine. Elle sera faite Docteur Honoris Causa par l’Université Parisienne Pierre et Marie Curie en Novembre 2013 et a été admise à l’Ordre des Palmes Académiques par l’Etat Français.
Outre son prochain livre sur les arbres de l’Ile Maurice, elle travaille sur un autre ouvrage avec deux autres chercheurs de l’Université d’Oxford sur les bio-ressources. Les deux livres devront paraître en août 2013.
Entretien avec UFFP :
Parle-nous de ton combat pour le végétal ? Cet amour pour la recherche biologique cela a commencé quand ? Quels ont été tes principaux défis d’hier à aujourd’hui ?
Quand j’étais très jeune, j’observais mes parents cultiver la terre. Ma mère était et est toujours une passionnée de son jardin, mon papa investissait beaucoup de son temps dans l’agriculture et le fait toujours aujourd’hui à 80 ans
Les défis pour moi ont changé avec le temps… au début c’était la méconnaissance de ce merveilleux monde végétal maintenant c’est de passer ce message aux jeunes.
Je continue à le faire en faisant des travaux ‘grands public’ pour mieux faire comprendre l’importance de cette Nature si généreuse. Pour le continent africain, il y a un plus grand défi car la transmission des connaissances se fait par voie orale et presque rien n’a été documenté à ce sujet. Quand un ainé meurt, c’est une librairie qui brule !
Tu vis à l’Ile Maurice qui est en quelque sorte un laboratoire naturel ? Parle-nous de tes découvertes, de tes projets ?
J’ai commencé à Maurice dans le plus grand tâtonnement. J’étais à l’époque chimiste de formation et je voulais continuer ma passion pour la chimie organique et comme il n’y avait pas l’infrastructure voulue à Maurice, je me suis tournée vers la chimie des plantes ; ainsi je me suis retrouvée avec les plantes médicinales et ce fut une grande aventure que je vis toujours avec la même passion car on continue à découvrir et à apprendre avec les plantes indigènes et endémiques qu’on continue à découvrir dans les forêts. Je découvre le potentiel contre les maladies infectieuses, diabète et aussi cosmétique entre autre… l’avenir de l’Humanité est dans les plantes…
J’ai aidé à la création du CEPHYR – Centre de Phytothérapie et de Recherche – car c’est au travers de ce centre qu’on va vraiment ajouter la valeur à mes travaux de recherche. On s’est limité à 4 thématiques – pharma, nutrition, cosmétique et aromes.
La carrière scientifique quand on est femme cela n’est pas toujours été évident ? Tu es originaire d’Inde et musulmane de confession est ce que cela a été un frein ?
La carrière scientifique, ah non, ce n’est pas évident… j’ai appris tout ça ici à Maurice… être femme, musulmane de surcroit et relativement jeune n’aide pas… Mais heureusement qu’au niveau international les publications sont reconnues par leur qualité… ca dépasse les préjuges sur le sexe ou sur l’appartenance religieuse.
Entre nous soit dit… je n’ai pas été promue président de l’Université de Maurice pour ces raisons… mais je ne baisse pas les bras car il y a toujours une vie après. Les préjugés cela a été une raison de plus qui m’a poussée vers le privé ou j’ai les coudées franches et je peux me permettre de faire beaucoup plus en toute liberté!
Cette non promotion a été un ‘blessing in disguise’… je suis encore plus productive maintenant que je n’ai plus de contraintes administratives!!
Parle-nous de ton aventure avec le prix l’Oréal Unesco, quel bilan en tires-tu ? Tu as aussi obtenu d’autres prix et types de reconnaissance ; dans ton quotidien qu’est ce que cela t’a apporté ?
Le Prix l’Oréal Unesco a été le plus grand prix que j’ai eu et c’était aussi le premier prix! Évidemment ça a eu un impact très important. ce prix renforce la crédibilité de mes travaux de recherche qui n’étaient pas bien vus… on ne peut pas prendre au sérieux une personne qui travaille sur les mauvaises herbes! ce prix aide à ouvrir les portes notamment dans la recherche de financement. J’ai eu aussi les prix de l’Union Africaine et le Prix du Centre Technique Agricole (CTA) base à Wageningen en Hollande. J’ai aussi eu des prix à échelle nationale. Je viens aussi d’apprendre par courrier que je serai faite Docteur Honoris causa par l’Université de Pierre et Marie Curie en Nov. 2013… J’ai aussi été admise à l’Ordre des Palmes Académiques par l’Etat Français.
Quelles sont les principales difficultés pour les femmes qui se lancent comme toi dans des carrières scientifiques de haut niveau ? Comment changer les mentalités ? Le regard ?
Déjà avant de parler des carrières de haut niveau, il faut regarder l’éducation de la fille en matière scientifique. Dans plusieurs pays d’Afrique on n’encourage pas les filles vers les filières scientifiques. Heureusement pour moi à Maurice, j’ai eu deux chances : mon papa qui m’a toujours encouragée à faire des études secondaires et tertiaires – malgré que c’était payant et que la priorité n’était pas à l’époque d’éduquer la fille et mais peu après l’éducation est devenue gratuite à Maurice pour tout le monde. Alors du coup l’accès à l’éducation n’était plus un problème.
Une fois dans la filière scientifique, on retrouve les filles seulement à un niveau de ‘middle management’ car elles ‘disparaissent’ au fil des années avec la pression de la famille entre autres, qui fait qu’il y a très peu de femmes dans les filières scientifiques à un haut niveau!
Changer les mentalités veut aussi dire travailler avec des femmes comme ‘role model’ mais surtout encadrer les jeunes femmes qui se mettront dans cette filière. C’est dur car on attend à ce qu’elle soit une femme, mère et femme de carrière en même temps…
Aussi il ne faut pas oublier qu’une femme scientifique… mère a aussi un autre désavantage… tout ce qui ne va pas bien avec la famille est forcément son problème car elle passe trop de temps sur elle-même et sa carrière.
J’ai toujours mis dans ma petite tête que JAMAIS je ne baisserai les bras. Je me suis faite une culture d’excellence dans tout ce que fais et c’est ce besoin de faire les choses bien qui me fait courir… Je vis chaque jour comme si c’était le dernier… je fais un bilan tous les soirs pour voir comment on peut faire mieux. Il y a trop de choses à faire pour dépenser une bonne énergie à se morfondre…
Du Nord au Sud les femmes subissent les profondes mutations économiques, politiques et religieuses quel serait le remède à tout cela ?
Les femmes doivent avant tout s’éduquer… et éduquer leur famille. Mon père me disait tout le temps – éduquer un homme c’est éduquer un individu. Mais éduquer une fille c’est éduquer la famille et la société. Le monde musulman connait un grand défi. Celui de ne plus éduquer la fille (au moins dans quelques pays seulement..) il faut se battre pour ce droit… l’éducation est un droit!
Tu es allée en Tunisie, quelle fut ta première réaction ? Les femmes et leur combat quelles leçons en as-tu tirées ?
J’étais en Tunisie en 2008. Ce qui m’a d’abord frappé dans le pays (sans parler de la beauté de son paysage…Sidi Bou Saïd…Carthage etc..) c’est la liberté des femmes à s’exprimer, leur présence dans les débats et la vie publique. En tant que femme je me sentais en sécurité de marcher la nuit sans problème. Tout ceci pour moi était un symbole de l’évolution de ce pays arabe au niveau du respect de la femme. Bien sûr depuis, avec l’avènement du printemps arabe, je suis l’actualité et j’ai froid dans le dos… Personnellement je crains fort que cette liberté ne soit compromise en partie. Les pères fondateurs de la Tunisie moderne avaient une vision pour ce pays et ils avaient vus juste en considérant que le développement du pays ne pouvait se faire sans les femmes ! L ’empowerment de la femme est ‘prévu’ dans le Saint Coran… Khadija était bel et bien femme d’affaires !!! Alors ces raccourcis qui tentent de réduire la femme tunisienne n’ont aucune légitimité.
Le tout consommé et l’industriel tue notre planète pourtant il est difficile de freiner pour autant la marche inexorable vers une certaine destruction de nos acquis ; quels conseils donnerais tu pour être un ou une citoyenne éco-solidaire ?
Les modes de communication de nos jours nous dictent une forme de vie (au quotidien) rapide… consommatrice et où les roles models sont parfois très loin de nous mais virtuellement très proches… Chaque culture, chaque civilisation a apporté sa pierre à l’édifice que nous avons aujourd’hui… le monde arabe nous a apporté beaucoup au niveau scientifique, le monde amérindien nous a donne des leçons au niveau du respect de la Nature et sur le fait reconnaitre que l’Homme fait partie de notre environnement. Il y a des leçons à tirer de ces cultures anciennes et qu’on a au fil des annexes reléguées aux oubliettes. De plus en plus les scientifiques se rendent compte que les pratiques anciennes, ancestrales vécues par nos ainés et ancêtres doivent remonter à la surface pour nous aider à faire face aux effets du changement climatique entre autre … alors revient à nouveau la thématique que j’ai élaborée sur la Documentation des données traditionnelles… qui nous aidera surement à continuer a vivre sur cette planète… alors OUI au respect des cultures, traditions et à la différence des autres pour nous enrichir et survivre sur cette terre…
L’Entrepreneuriat social et humain c’est aussi une autre façon de voir l’entrepreneuriat tu en penses quoi ?
Toute forme de mesures d’entreprenariat qui aiderait à améliorer le quotidien ou la condition humaine doit être bienvenue… il y avait dans le temps le Projet Grameen. Je ne vais pas entrer dans les détails de ce qui n’a pas marché… mais si on a changé le quotidien de quelques personnes pourquoi pas. Ça me fait penser à une petite histoire… un garçon avec son père marchait sur la plage… Le garçon ramassait des Etoiles de mer et les renvoyaient à la mer. Son père lui dit de les laisser car il y en a tellement…Le garçon lui dit peut importe au moins j’ai aidé à faire une différence pour celles que j’ai jeté à la mer….
Parle-nous de ta propre expérience, as-tu des anecdotes à ce sujet ? Notre regrettée Wangari Maathai mais également des Vandana Shiva démontrent que c’est une voie à prendre ?
Mon histoire va dans le même sens. Quand j’ai commencé à travailler au recensement des recettes traditionnelles, j’étais la risée de tout le monde. Même à ce jour je qualifie mon travail de ‘low level research’… c’était ainsi que mes collègues parlaient de mes travaux de recherche… j’ai persévéré car je voyais le potentiel de ce travail dans le temps mais il n’était pas évident de convaincre… On arrive à convaincre uniquement quand on n’accepte pas la médiocrité mais qu’on essaye toujours de viser l’excellence!
Beaucoup de Maisons comme Terre de Femmes Yves Rocher ou Cartier ou l’Oréal encouragent les projets durables selon toi est-ce le début d’une réelle prise de conscience ou simple effet de mode?
Je ne crois pas que ce soit l’effet de mode. Il y a une prise de conscience planétaire sur tout ce qui se passe au niveau de l’environnement. Au contraire il devrait y avoir un foisonnement de projets durables pour laisser des acquis à nos enfants ; comme disait quelqu’un – la terre a été laissée en emprunt pour nos enfants. !
Penses-tu qu’un monde féminin donc paritaire serait le début de la démocratie ?
Il est vrai qu’on n’a pas fait de cadeau a la femme au niveau de la parité. Les tendances mondiales nous montrent que l’évolution d’une société plus saine passe nécessairement par l’octroi de mêmes droits autant à la femme qu’aà l’homme. Avant tout autre chose – la femme doit être respectée au niveau de ses droits!
La femme joue un rôle TRES important au niveau de la famille – socle qui détermine la santé même de notre société. Bien souvent on a une tendance à occulter cette position de la femme dans la famille. C’est déjà un rôle très important! au-delà de ça, il faut tenir en compte que la femme représente 52% de la masse humaine sur cette terre et si on veut avancer les conditions de la famille, la société et le peuple d’un pays, la contribution de la femme ne peut être reléguée a une place moindre… c’est là où le bas blesse. Oui plus de Malala pour son aspect courage et de foncer vers ce que l’on pense être juste pour la fille/femme et plus de medias comme UFFP pour faire valoir ces droits pour un demain meilleur !
Merci Ameena