Bochra Bel Hadj Hamida est avocate, mais aussi députée et Présidente de la commission libertés individuelles et égalité. C’est une championne et ardente défenderesse des Droits des Femmes en Tunisie. Militante de la première heure, c’est elle qui a porté haut et fort la voix des femmes notamment s’agissant de la la loi sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Députée du « Bloc national », constitué d’anciens de Nidaa Tounes, son intérêt pour les femmes ne date pas aujourd’hui, elle est membre de la Commission des affaires de la femme à l’Assemblée.
A rappeler par ailleurs, que la juriste tunisienne avait fondé la section tunisienne d’Amnesty international et a été aussi cofondatrice de l’ Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), qu’elle a présidé de 1994 à 1998. Tout un parcours et un engagement sans failles, qu’UFFP soutient depuis le début.
Entretien :
Le paysage politique a beaucoup changé, cela fait sept ans depuis le printemps arabe et le projet sociétal rêvé n’est pas abouti qu’ en pensez-vous?
si on parle de choix cultuels du statut des femmes des choix sociétaux et du caractère et notamment de sa civilité, je pense que nous avons beaucoup avancé par les choix législatifs déjà depuis 2011 malgré les résistances et la mobilisation des courants et des lobbys internes et externes contre ces choix .
La constitution tunisienne a été une occasion pour susciter de grands débats sur ces choix et qui pour une fois ont largement dépassé les milieux intellectuels et l’élite pour toucher une grande partie de la société toutes classes et régions confondues.
Des questions fondamentales ont été abordées comme la question de la charia comme source de législation et qui a rencontré une grande résistance et qui a fini par être écartée.
La question de l’égalité des femmes a également beaucoup remué les consciences ?
Le statut des femmes notamment la question de l’égalité a aussi été au centre des polémiques et a provoqué de grandes actions. Rappelons-nous des grandes manifestations dans les rues et des pressions au sein même de l’assemblée nationale constituante. En effet dans le premier projet il a été proposé de prévoir la « complémentarité entre femme et homme « ce qui met la femme systémiquement dans une position d’infériorité par rapport à ce dernier .Cette proposition a été écartée au profit de l’égalité entre citoyens et citoyennes.
Qu’en est-il de facto pour les femmes, pour la femme tunisienne, si l’on devait faire un bilan depuis ces sept dernières années?
Le bilan est forcément positif vu tous les acquis dés 2011 à commencer par la levée des réserves sur la CEDAW !
En 2014 la constitution est venue répondre aux revendications des femmes en leur en proclamant » l’égalité entre les citoyens et citoyennes »
Mais aussi en imposant différentes obligations parmi lesquelles :
Celle de » à protéger les droits acquis de la femme et de veiller à les consolider et à les promouvoir .Il est aussi tenu de garantir » l’égalité des chances entre l’homme et la femme pour l’accès aux diverses responsabilités et dans tous les domaines ». On » s’emploie également à consacrer la parité entre la femme et l’homme dans les assemblées élues « et à » prendre les mesures nécessaires en vue d’éliminer la violence contre la femme. »
Le parlement a voté des lois dans le sens de l’égalité et l’élimination des discriminations et violences à l’égard des femmes notamment le droit des enfants de voyager avec leurs enfants sans autorisation préalable du père.
Sans oublier, la loi contre la traite des humains et enfin la grande consécration ce 26 juillet 2017 puisqu’on a voté la loi intégrale pour la lutte contre les violences contre les femmes !
Qu’en est-il de la question de l’héritage ?
le 13 août 2017 le Président de la république a amorcé une question considérée jusque là comme sujet tabou à savoir l’égalité dans l’héritage, il a demandé au gouvernement le retrait de la circulaire empêchant les femmes tunisiennes musulmanes de se marier avec des non musulmans et a annoncé la création d’une commission pour préparer des réformes quant à l’égalité et les libertés individuelles.
Il est donc clair que la Tunisie est engagée irrévocablement sur la voie de l’égale citoyenneté entre hommes et femmes ; d’autant que la parité sur les listes électorales a permis aux femmes d’être représentées au parlement à concurrence de 34 pour cent. La parité horizontale et verticale prévue par loi électorale relative aux municipales permettra une plus grande représentation sur le plan local.
Comment la tunisienne se positionne telle aujourd’hui, par rapport à ses sœurs maghrébines d’Algérie, du Maroc de Libye?
il est difficile d’évaluer la situation en Lybie; par contre pour l’Algérie et le Maroc même si sur le plan législatif la Tunisie a été depuis l’indépendance en avance par rapport aux pays voisins il n’en demeure pas moins que de grands progrès ont été enregistrés et des réformes entamées dans les deux pays grâce à la volonté politique et la mobilisation de la société civile surtout au Maroc .Par ailleurs l’augmentation du nombre des femmes aux parlements respectifs ne peut que favoriser l’engagement de ces deux pays dans la voie de l’égalité .
L’après printemps arabe a amené dans certains pays de la région sauf pour le cas de la Tunisie, l’hiver pour les femmes, combien de femmes comptons nous aujourd’hui dans les sphères de décision, en politique ?
En Tunisie on ne peut pas parler de régression le printemps tunisien n’a nullement nui au statut des femmes malgré les craintes, les tentations au début de la révolution .Au contraire c’est une opportunité pour les femmes pour être actrices du changement. Jamais notre pays n’a vu autant de femmes mobilisées pour leurs droits des centaines de milliers étaient dans la rue à revendiquer leurs droits dont celui d’être dans les sphères de décision.
Et comme je l’ai dit au niveau du pouvoir législatif il y de grandes avancées grâce à la loi, malheureusement au niveau des instances non élues et postes de décisions la représentation demeure très limitée et incohérente et en contradiction avec les choix de la Tunisie indépendante et avec les déclarations publiques et aux promesses électorales des partis politiques toutes tendances confondues .
Le wahhabisme, l’islamisme, a défiguré le visage de la Tunisie au féminin, on pensait naïvement que la religion pouvait résoudre les injustices sociales?
Le wahhâbisme est rejeté par la majeure partie de la société tunisienne mais l’islamisme a une base populaire qui n’est pas majoritaire et je pense que les tunisiens ont compris que les injustices sociales la lutte contre la corruption ne passent pas par l’islam politique mais par des choix et surtout par nouveau modèle de développement tunisien fondé sur la justice et la bonne gouvernance.
Quel est le constat d’aujourd’hui? Une jeunesse en perdition que l’on perd soit au profit du jihad, l’immigration clandestine, au chômage
Une jeunesse déçue, révoltée parce que marginalisée ,non écoutée aussi bien dans l’espace privé que l’espace public en plus du système éducatif archaïque et qui demeure le point noir de la Tunisie . Mais cela ne veut pas dire que tous les jeunes sont dans une des situations que vous avez cité .il ya des jeunes actifs dans la société civile ;des jeunes qui sont dans l’initiative et la créativité notamment économique ,culturel et engagés dans le changement profond pour une nouvelle Tunisie libre et juste .
La femme n’a eu de cesse de se battre et vous en faites partie, pa rlez vous de cette nouvelle loi sur les violences à l’encontre des femmes? La parité l’égalité enfin consolidée et pour de bon ?
Bien sûr surtout que cette loi prévoit la prévention contre les violences par la diffusion de la culture de légalité et le respect des droits humains mais aussi sort la question des violences de la sphère privée. C’est en fait un sujet public du ressort de l’Etat lequel en plus de la prévention et de la répression est appelé à prendre en charge les femmes victimes de violences et assurer leur protection.
Qu’en est-il du mariage avec un non musulman et la question de l’héritage, beaucoup sont sceptiques et disent que ce sont des manœuvres politiques pour les prochaines élections?
La circulaire est déjà abrogée ; quant aux autres questions dont l’héritage elles sont du ressort de la commission dont j’ai parlé plus haut et qui a déjà commencé le travail et qui doit rendre le rapport dans six mois .Juger avant ce délai est du domaine du procès d’intention.
Un million de femmes tunisiennes se sentent trahies cependant, les promesses n’ont pas été tenues? Le voile en recrudescence, l’image de la Tunisie au féminin change, quels sont les dangers actuels selon vous?
Je n’ai pas une information précise sur toutes ces femmes ce que je sais c’est qu’une bonne partie des femmes ont eu peur pour leur statut à cause de l’alliance Nida et Ennahdha ,la réalité a démontré que les alliances, les changements politiques ont toujours suscité ce type de sentiment et que le statut des femmes est le maillon faible des changements politiques mais aussi l’histoire a aussi montré que ce petit pays qu’est la Tunisie a toujours été plus grand que toutes ces circonstances et conjonctures. Et que les femmes ont en fait une opportunité pour obtenir plus de droits et rendre les droits acquis irréversibles.
Que voulez vous dire à vos soeurs du monde arabe, qui elles aussi sont sous le joug d’un islamisme rampant et rétrograde?
La situation de nos sœurs dans le monde arabe est plus compliqué que cela et ce qui est clair c’est que le point commun entre toutes les femmes dans le monde c’est la persistance du patriarcat .Donc je souhaite qu’elles se mobilisent pour mettre fin à ce système pour qu’elles vivent librement dans la dignité.
Comment pérenniser la Tunisie au féminin?
Par l’obstination, le travail ,la persévérance et surtout la solidarité
Merci Bochra Bel Hadj Hamida !