Discrète sur la scène politique française, George Pau-Langevin est l’une des rares élues issues de la diversité au sein de l’Assemblée nationale. Originaire de Guadeloupe, cette avocate de formation traîne un long passé de militante. Au Mrap d’abord, dont elle sera présidente, ainsi qu’au parti socialiste (PS). Député, vice-présidente du groupe socialiste chargée des questions de justice, conseillère du 20ème arrondissement de Paris, déléguée à la protection de l’enfance, elle porte plus d’un combat : défense des travailleurs immigrés, lutte contre les discriminations, pour la mémoire de l’esclavage, pour le droit à la différence… Loin des starlettes de la scène politico-médiatique, coup de projecteur sur une femme qui prêche pour la diversité avec poigne et intelligence.
Entretien :
Votre engagement ne date pas d’hier. Vous avez commencé à militer au Mrap dont vous avez occupé le poste de présidente. Comment avez-vous atterri au PS et pourquoi le PS ?
Je n’ai pas pensé au début que je pouvais faire une carrière en politique. J’ai atterri là, par le milieu associatif. Pendant 12 ans je me suis essentiellement investie au sein du Mrap. J’ai adhéré au PS en 75 mais en tant que militante de base. Au bout d’un moment, j’ai eu le sentiment de tourner en rond au Mrap. SOS racisme est arrivé, ils nous ont dit que nous étions nuls. Je me suis alors investie dans le PS. En 87, j’étais surtout préoccupée par les migrants antillais parce que j’estimais qu’ils n’étaient pas suffisamment pris en compte. J’avais beaucoup d’amis au PC, mais ils étaient plus préoccupés par les questions d’indépendances. Idée que je ne partageais pas totalement. On était en plein dans les périodes de programme commun. Le discours du PS était plus conforme à ce qui m’intéressait. Très rapidement, je me suis retrouvée dans la section de Delanoë, Vaillant. Si on s’est investie, c’était d’abord pour eux. Pour les aider et les tirer vers des questions qui m’intéressaient. Notamment les questions de lutte contre le racisme.
Femme et politique, noire et politique, deux handicaps ou deux atouts en France aujourd’hui ? Même s’il semble que la notion de diversité soit devenue très tendance, le fait est que les discriminations, en plus d’être toujours très présentes, sont en nette augmentation ? On a longtemps considéré que la lutte contre les discriminations était une prérogative de la gauche, finalement il semble que ce soit à droite qu’on a le plus de tête d’affiche Black blanc beur ?
Nous sommes dans un pays qui n’a pas inscrit la lutte contre le racisme dans ses principes. J’ai été élue dès 1989, ça n’a donc jamais été rédhibitoire même si ça a été un handicap pendant longtemps, je l’admets. Pour ce qui est de la diversité, on sent que les choses bougent de plus en plus. Ce qui me laisse penser que la politique est de moins en moins « un monde de blanc »*. Les grands partis se sont sensibilisés à la question de la diversité. Même si on voit beaucoup dans les médias Mmes Yade, Dati et Amara, leurs prérogatives sont limitées, la diversité est mieux représentée à gauche. Tous les parlementaires, de la diversité sont socialistes. Ce sont des questions de société. Dans les années 70, nous avions quelques antillais de la diversité. La masse des enfants africains, justement, étaient encore des enfants. Il faudra attendre les années 80 pour arriver à une prise de conscience collective, avec la marche des beurs, les émeutes de banlieue , pour que l’on se rende compte qu’on n’a plus à faire à des travailleurs immigrés mais à leurs enfants, français. A cette époque, il était question à droite de contester la nationalité française des enfants d’immigrés. Mais à ce moment là, personne ne se posait la question d’être français issu de la diversité. Dans les milieux antillais, comme pour les Africains, ils n’avaient pas réalisé que leur avenir été ici. Ils attendaient la retraite pour rentrer au pays. La question de l’inégalité ne se posait donc pas. Et si la discrimination est un principe qui existe dans le droit français depuis 1972, finalement il n’a pas été mis en œuvre. Avant, par exemple, on refusait des chambres d’hôtels ou on refusait de servir à des cafés des personnes parce que noires. Aujourd’hui, c’est quelque chose de très marginal. Les choses ont évolué. On parle justement de plus en plus de discrimination parce que les gens ont conscience qu’ils ont droit à l’égalité. On en parle notamment dans des situations où la discrimination n’est pas brutale. On estime que les choses n’avancent pas assez mais en même temps on place le curseur un peu plus loin. Aujourd’hui, les jeunes qui sont nés en France, à qui on a expliqué qu’ils ont les mêmes droits que tous les Français, revendiquent cette égalité. La France doit remplir la promesse d’égalité qu’elle a faite. Le combat contre les discriminations est fondamental et n’est pas près de s’arrêter.
On pense bien sûr à Obama, à cette Amérique profonde regardée avec condescendance en France, jugée puritaine, raciste, mais qui a quand même élue un président noir. En France, terre des Droits de l’Homme, où l’égalité entre les hommes est inscrite dans les textes depuis des siècles, on du mal à imaginer un président, voire une présidente noire. N’a-t-on pas raté le coche à un moment ou l’autre ?
On doit regarder avec modestie ce qui s’est passé aux Etats-Unis. Quand j’ai commencé à militer au Mrap, nos modèles, nos luttes étaient orientées vers les USA. On soutenait les Black Panther. En 30 ans, le chemin parcouru est énorme. On n’a pas gagné ce combat en France parce que nous ne l’avons pas mené. Il a fallu que les minorités fassent l’expérience que même si ce pays était injuste avec eux, c’est leur pays. Il a fallu qu’ils prennent conscience que leur avenir était ici pour qu’ils se battent. Alors que les noirs américains, même si le pays était injuste avec eux, il restait leur pays. Les progrès que l’on a constatés depuis quelques années se situent à ce niveau. Le problème n’est pas que dans la politique mais dans la société en général où nous avons des élites mono couleur. C’est pourquoi aujourd’hui nous portons l’accent sur l’accès aux grandes écoles. C’est là que se fabrique les élites. Quand on ne sort pas de grandes écoles, que l’on n’a pas de réseaux, c’est plus difficile. Prenons un jeune, BTS commerce, famille de commerçant installé, il fera très vite carrière. Un autre jeune, même parcours, sans relation, finira vendeur en grande surface. Nous sommes dans un pays où l’Education nationale fait le maximum pour aider les gens à s’en sortir. Mais après, dans l’accès à l’emploi, les difficultés sont importantes. C’est pareil dans les médias. Quand j’observe l’organigramme de France culture aujourd’hui, il y a des noms de la diversité qui sont animateurs. Ça a réellement bougé. Dans le reste de la société également. En politique, ça a commencé par les conseils municipaux. Les maires se sont rendu compte qu’ils n’étaient plus représentatifs, qu’ils ne comprenaient pas ce qu’il se passait dans leur quartier. En 2004, dans les conseils généraux, on a fait place aux gens de la diversité. Ce qui est intéressant aujourd’hui c’est de voir des personnes issues de la diversité à des postes de conseillers généraux, élues comme un député, à un scrutin uninominal. Si on peut faire élire des conseillers généraux, demain on pourra faire élire des députés. On a fini par comprendre que ce n’était pas un handicap. Ce qui peut freiner tout ça, c’est qu’à partir d’un certain stade, de militant un peu protégé parce qu’on fait partie d’une population qui peut inspirer une sorte de compassion, on devient concurrent, et là c’est plus embêtant.
Comment voyez-vous l’évolution des femmes dans la société française, en politique et en en Outre-mer ? La lutte continue ?
Je suis de très près la lutte des femmes. Les femmes ont beaucoup progressé. En 1982, la tentative de l’Assemblée nationale d’instaurer un quota de 25 % de femmes pour la constitution des listes de candidats a été cassée par le Conseil constitutionnel. On a reposé la question plus tard en partant d’un autre fondement, la parité. La loi est passée. Cela n’empêche pas que l’on ne compte pas beaucoup de femmes dans l’Assemblée. Mais, dans les conseils généraux on a une égalité homme/femme. Dans les postes à responsabilité, on n’imagine plus qu’il n’y ait pas du tout de femmes. Aujourd’hui, nous avons des femmes responsables de la sécurité, des postes que l’on disait très masculins. Avec des femmes qui exercent leur mission avec autant de poigne que les hommes. Récemment, une loi a été proposée pour instaurer, dans les grandes sociétés cotées en bourses, l’égalité homme/femme. La lutte continue c’est certain. Il le faut. Mais du chemin a été fait. Aujourd’hui, plutôt que les femmes de, les maîtresses de, les femmes existent par elles-mêmes !
Dans les DOM-TOM, les femmes sont autonomes depuis longtemps. C’est une des conséquences de l’esclavage. Les femmes antillaises ont toujours travaillé parce que les hommes ne donnaient pas suffisamment ou n’étaient pas concernés. D’ailleurs, la migration antillaise est surtout composée de femmes. Aujourd’hui encore, c’est une migration où le chef de famille est très souvent une femme. Des femmes qui jouent un peu tous les rôles avec parfois un mode d’éducation très autoritaire. C’est la grande différence avec l’Outre-mer, nous sommes face à des femmes, chef de famille qui assume de nombreuses responsabilités, seules, avec toutes les difficultés d’accès à l’emploi que l’on trouve encore là-bas.
Avez-vous été surprise par le « Non » au référendum pour l’indépendance en Guyane et en Martinique ? Vous l’avez compris ?
Oui parce que la question de l’indépendance n’est pas celle qui a été pas posée l’année dernière durant les émeutes. C’était un mouvement social très grave où la question posée était celle du respect, de l’égalité des chances, de l’exploitation par les classes possédantes mais pas celle du statut. Du coup, la réaction de la France était assez inappropriée : si vous n’êtes pas content donc vous voulez l’autonomie ? C’est toujours la même chose.
Que pensez-vous avoir apporté, à votre échelle, à la politique française, la société française ? Pensez-vous être une « femme d’influence » ?
Je me définis plutôt comme une femme engagée. Peut-être même, je n’ose pas dire le mot intellectuel, trop présomptueux, mais je me sens plutôt comme quelqu’un qui réfléchi et s’engage, essaie d’agir pour faire avancer les idées auxquelles elle croit. Il y a quelques temps encore, la question de la diversité dérangeait, aujourd’hui on l’impression que tout le monde se bat autour de la question. Il y a des choses qui bougent.
Un message pour les femmes de demain ?
*Allusion à une ITW donné au Monde en 1998 où elle déclare qu’en France « la politique est un monde de blanc ».
BIOGRAPHIE
Née le 19 octobre 1948 à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe.
1975 : Elle rejoint les bases du parti socialiste
1984-87 : Président du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples
1989 : Directrice adjointe l’Agence nationale de promotion et d’insertion des travailleurs d’outre-mer (ANT), qu’elle dirige de 1997 à 2001.
2001- 2007 : Conseillère du maire de Paris Bertrand Delanoë pour la vie associative et déléguée générale à l’Outre-mer.
Elle est l’initiatrice du changement de nom de la rue Richepanse (général qui rétablit l’esclavage en Guadeloupe en 1802) en rue du Chevalier Saint-Georges, dans le Ier arrondissement de Paris. Elle a été décorée de l’ordre de la Légion d’honneur en mars 2002.
17 juin 2007 : Elle est élue députée de la 21e circonscription. Vice-présidente du groupe socialiste, radical et citoyen, elle est chargée des questions d’immigration et de co-développement entre 2007 et 2009.
2007 : Responsable pour l’opposition du projet de loi de septembre 2007 relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. Elle combat la mesure relative aux tests ADN dans le cadre du regroupement familial et saisit, avec ses collègues du groupe socialiste, le Conseil Constitutionnel au sujet des statistiques ethniques. Lequel prononce la censure au motif que « si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race ».
2008 : Elle dépose une proposition de loi visant à lutter contre les discriminations liées à l’origine, réelles ou supposées, et est membre des missions d’information sur les centres de rétention et sur les questions mémorielles.