Salimata Wade
Lauréate HARUBUNTU entreprenariat
Thématique : alimentation locale et thérapeutique – Sénégal
UFFP a le plaisir de vous parler d’une belle histoire au féminin. S’entretenant avec Salimata Wade du Sénégal, nouvellement lauréate du Prix Harubuntu 2012 à Dakar. Un parcours exemplaire, et une bataille qui vaut la peine d’être menée et pour cause. Avec une personnalité comme la sienne, on ne peut qu’augurer que l’Afrique au féminin, s’en sorte victorieuse.
Femme de caractère, passionnée et intègre, Salimata Wade a un combat bien à elle. La Thérapie par l’alimentation, dans un siécle où les pratiques alimentaires mettent en péril les citoyens de toutes les générations. Mais ce que l’on retiendra aussi, c’est le tempérament derrière le combat et le projet.
Une femme comme UFFP aime, qui n’a pas peur de dire, redire voire contredire dans l’éthique, les paradigmes qui continuent d’enfermer notre Continent et de censurer entre autres, les femmes et leurs actions. Pourtant, Salimata Wade s’est écartée du lot des HARUBUNTU winners, et vous comprendrez pourquoi.
Entretien avec Salimata Wade :
Vous avez poussé une gueulante lors du diner gala Africités pourquoi?
Je trouve qu’il y a une incohérence criante entre le sujet d’Africités à l’honneur pour l’édition Dakar 2012 et la réalité, la matérialité de l’organisation. Le thème du développement local sous toutes ses formes et par toutes ses portes d’entrée possible est sous jacent à travers l’intitulé « Construire l’Afrique à partir de ses territoires ».
En tant que membre du Comité Scientifique, j’ai eu à faire une présentation et des recommandations dans le panel des chercheurs, pour une approche sémantique large du concept de territoire, pour intégrer la variété des identités, des ressources spécifiques de tous ordres -liées aux infinies combinaisons qui naissent de la rencontre entre des espaces et des sociétés. Cette insistance sur l’identité comme facteur de plus value et comme moteur du développement a donc été vaine,
d’autant que ma présentation a plaidé pour la nécessité d’une (meilleure) valorisation des produits locaux, de produits du terroir.
Le système politique semble toujours aussi intégralement extraverti, dans les concepts qu’il utilise, dans ses approches, dans sa culture politique et dans sa culture tout court. Est-il actuellement capable de porter, susciter le développement local ? le Menu, la vaisselle, la déco de la salle, toute la cérémonie de gala (comme celle d’ouverture d’ailleurs) en font douter.
Nous sommes encore toute étonnée que le comité d’organisation local d’Africités ait eu l’audace de donner une chance à la lauréate Entreprise d’Harubuntu 2012, d’entreprendre, de montrer à quoi peut
ressembler une proposition gastronomique locale. En effet, nous avons eu l’opportunité de cuisiner et de régaler plus d’une centaine de convives de prestige d’Africités lors de la soirée organisée par la
mairie à l’Hôtel de Ville le 4 décembre. Les convives ont plébiscité le menu que nous leur avons offert, ce qui nous a permis d’avoir la démonstration que si notre cuisine n’est pas mieux connue et appréciée, si nous n’avons pas réussi à en faire l’ambassadeur de notre culture et de notre économie, le vecteur d’une image positive de nous-mêmes Africains, c’est que nous ne lui en avons pas donné
l’occasion. Il est plus que temps de protester et réclamer le droit d’affirmer nos identités, surtout dans une manifestation magnifiant le développement local.
Parlez nous de votre initiative? en quoi l’alimentation serait thérapeutique?
La Compagnie du Bien Manger a comme centres d’intérêt la mise au point de cuisines gastronomiques africaines, ouvertes sur le reste du monde.
Au passage, nous fixons les traditions culinaires, et , d’autre part, nous créons de nouvelles recettes, pour proposer de nouvelles saveurs à partir des produits locaux cuisinés autrement, et de nouveaux
formats plus adaptés au mode de vie citadin qui au Sénégal concerne déjà plus de la moitié de la population et attire les habitants des campagnes qui rêvent d’adopter les habitudes (alimentaires entre
autres, mais aussi vestimentaires, etc.) des urbains ; et bien au-delà tous les modèles véhiculés par les médias et qui viennent des pays occidentaux et de plus en plus aussi d’autres régions émergentes comme l’Amérique latine, la Chine, l’Inde…
Nous appliquons le conseil d’Hippocrate : « que ton aliment soit ton médicament ». Il n’est pas nécessaire de recourir à l’alicament, c’est-à-dire le « médicament introduit dans les aliments, » ce qui consisterait à encore consommer les produits de l’industrie pharmaceutique à longueur de journée.
La diététique thérapeutique est celle qui au-delà de la prévention a la visée de guérir ou en tout cas de stopper l’évolution de maladies ou d’en atténuer les conséquences. La cuisine diététique thérapeutique que pratique en partie La Compagnie du Bien Manger est une façon d’appliquer les prescriptions médicales en matière de « régimes alimentaires » jusque dans l’assiette des malades. Nous privilégions les produits locaux, en tenant compte des cultures alimentaires et des
contraintes socio-économiques
En Afrique on est plutôt dans une dynamique de survivologie et mal bouffe faute de moyens, comment votre programme pourrait s’inscrire dans un contexte de déprivation?
Contrairement aux idées reçues, l’Afrique, actuellement, souffre à la fois de malnutrition par carences et par excès, de sous alimentation qui n’a pu encore être éradiquée et d’obésité croissante. Ce sont desparadoxes apparents, car cela peut facilement s’expliquer. La malbouffe résultant des propositions d’offres inappropriées de l’agro-industrie et de la mode du fast food, les couches les plus pauvres peuvent accéder à une partie de cette offre quand elle est de très faible prix comparativement à des produits frais. Même si une partie seulement de l’alimentation devient basée sur ces « calories
creuses », cela aggrave notablement une population dont une part encore significative n’atteint pas la ration calorique prescrite par les normes internationales (OMS) ou l’atteint avec des produits pauvres d’un point de vue nutritionnel. Si l’obèse nord américain surconsomme des protéines, progressivement, à mesure que cette maladie va concerner les couches défavorisées, l’obèse sénégalais sera statistiquement vraisemblablement carencé.
Une des stratégies de La Compagnie du Bien Manger est de passer par la « bataille du goût », pour faire aimer une nouvelle cuisine qui fasse reprendre goût aux produits locaux et aux produits frais en général, en attendant que les propositions de l’industrie alimentaire s’améliorent ; et également pour garder le patrimoine des saveurs des cuisines du terroir, en l’enrichissant sans cesse pour la faire aimer à des consommateurs qui deviendront de plus en plus exigeants à mesure qu’ils auront l’occasion de tester une offre alimentaire diversifiée et que leur niveau de vie s’élèvera (scenario souhaité de développement).
Comment avoir les bonnes habitudes, votre menu et méthode d’approche?
Les habitudes ne sont « bonnes » que lorsqu’elles correspondent à ce qui convient le mieux à chacun. Les généralités sont vraiment à adapter, et les besoins particuliers à prendre en compte pour fixer
ses habitudes. Par ailleurs, une personne ne peut considérer qu’elle a de « bonnes », habitudes, c’est à dire véritablement appropriées qu’une fois qu’elle a pu acquérir un minimum de connaissances sur le corps humain et ses besoins en termes d’alimentation, en relation avec d’autres fonctions :
les aliments (groupes et leurs caractéristiqueset fonctions, leurs répartitions possibles selon les catégories d’individus : sexe, âge, mensurations, niveaux d’activité, statut médical, etc.)) ;
les cultures prenant aussi en compte le niveau socio-économique,
les cuisines, les croyances, etc.
Par ailleurs, une habitude n’est pas invariablement « bonne » : il faut être capable de la modifier en fonction de l’évolution de nos besoins, de l’environnement.
La méthode de La Compagnie du Bien Manger part des habitudes des personnes, pour les analyser et les mettre en relation avec les besoins effectifs, et en redéfinir de nouvelles, les plus respectueuses possibles des goûts et moyens personnels (budget, logistique), du contexte socioculturel, et adaptables à une grande variété de situations réelles qui font la vie. Il faut que l’effort à faire pour le changement soit minime, permette de garder une bonne sociabilité, de constater ses gains en termes de santé, de bien être, d’équilibre général.
L’objectif de La Compagnie du Bien Manger est atteint quand une personne, un groupe, sont satisfaits, ont acquis de nouvelles connaissances et habitudes, savent se prendre en main et sont même capables d’aider leurs communautés à faire le même type d’évolution, de progrès.
Votre expérience Harubuntu?
Une expérience déconcertante, inattendue de concentré de bonnes surprises. C’est l’expérience de rencontres hors du commun, de gens qui incarnent chacun les valeurs d’Harubuntu., des candidats aux évaluateurs. C’est une occasion d’énorme réconfort quand on se sent vraiment seul(e) au quotidien.
Je pense aussi que les lauréats ont quelque chose à faire pour faire qu’Harubuntu reste un moteur, un idéal qui fasse avancer en révélant année après année tout ce que les expériences qui tentent de le mettre en actes peuvent apporter au crédit d’une tentative de créer un «mouvement », une «dynamique », qui au-delà des personnes primées, porte l’énergie du changement vers un monde souhaité au sein d’une société donnée. Dans ce sens, pour moi, Harubuntu revêt dans mon esprit une qualité que je mets dans l’adjectif « prospectif ». Est prospectif ce qui réfute le sort subi, le destin accepté, l’épreuve prévue et juste évitée ou dont les solutions ont été pensées. Même le qualificatif de « prévoyant » est moindre que celui de « prospectif»’ dans le sens que ce dernier concerne le choix du futur que nous nous choisissons, la vision que nous avons de nous mêmes une fois que
nous aurons changé le monde et du monde que nous aurons participé à changer. C’est augmenter les futurs possibles et permettre parmi eux de choisir un des futurs souhaités. Pour moi Harubuntu, c’est un cadre de promotion de projets de prospective en actes, incarnés par des hommes et des femmes, illustrés par leurs entreprises, animés par les valeurs Harubuntu, qui sont leurs dénominateurs communs et dont la famille Harubuntu croit que l’universalité serait un facteur de progrès pour notre monde en crises en recherche de repères, de modèles et de types de projets nouveaux, porteurs de changements au bénéfice de l’Afrique et de l’Humanité. Et si quelque chose de ce qui sortira notre humanité en panne de l’ornière venait de l’Afrique…
Harubuntu m’a rassurée. Je ne suis pas seule à vouloir, à croire, à faire, déterminée à réussir par devers la pesanteur présente, le pessimisme et la quasi résignation.