Guilhem Arnal
Chargé de Mission Bassin Méditerranéen Solidarité Laïque
C’est suite à l’assassinat du leader tunisien Chokri Belaid, que l’Association française solidarité laïque avait manifesté son désir de soutenir encore plus fermement le combat du peuple tunisien dans ses efforts de reconstruction et de transition sociale. Partant du principe que seule la jeunesse constituera non seulement l’avenir, mais le présent des pays qui tentent de se relever des conséquences du printemps arabe. La jeunesse représente aujourd’hui dans les pays du Sud, environ la moitié de la population et elle ne peut par conséquent être laissée de côté dans la démocratisation en cours, l’avenir sera la génération actuelle, celle qui œuvrera au rapprochement durable des deux rives de la Méditerranée.
Par Fériel Berraies Guigny
Aujourd’hui, que le fossé s’est considérablement creusé entre le Nord et le Sud sur fond de mouvances islamistes, il est plus que temps d’installer le dialogue euromed qui fait cruellement défaut. A quelques semaines du forum Social Mondial qui se tiendra en Tunisie à la fin du mois de mars, UFFP s’est entretenue avec un de ses représentants, Guilhem Arnal chargé de MissionBassin Méditerranéen Solidarité Laïque .
1) Parlez-nous de solidarité laïque ? Vous êtes très investis dans la défense des minorités en France
Solidarité Laïque est un collectif de 50 organisations de la société civile issues de différentes familles de l’économie sociale (associations, syndicats, mutuelles, fondations et coopératives), toutes liées à l’éducation, à l’action sociale, et plus largement à l’accès aux droits. Nous travaillons selon la conception de la laïcité que nous défendons : mieux vivre ensemble par-delà nos différences. Cela veut dire concrètement que nous travaillons en France ou à dans nos pays partenaires à ce que chaque frange de la société (homme, femme, jeune, enfant), au-delà de sa nationalité ou de son origine sociale ou religieuse puisse simplement jouir de ses droits fondamentaux.
En France, nous sommes travaillons par exemple sur le dispositif Vacances Insertion Familles, qui contribue à réduire les inégalités sur les temps de vacances ; nous sommes aussi membres par exemple d’Infomie, un centre de ressources sur les droits des mineurs isolés étrangers. Cette démarche se retrouve dans notre action internationale, celle d’une laïcité en action, non pas opposée à la religion, ou porteuse d’un modèle constitutionnel à la française, mais ouverte à la mise en réseau de toutes les composantes de la société autour d’un objectif commun. En tant que réseau, notre rôle est de faciliter les initiatives de nos organisations membres lorsqu’elles s’investissent dans nos programmes. C’est donc par leur intermédiaire que nous agissons sur ces questions.
2) La carte géopolitique du Nord au Sud et en pleine ébullition, avec à la clé des révoltes populaires contre les injustices sociales, quelle est votre vision sur ce qui se passe en Afrique du Nord et le monde arabe ? Nous travaillons depuis plus de 10 ans sur les questions euro-méditerranéennes à la fois sur le champ politique (Processus de Barcelone et UPM), que sur celui du développement. Nous sommes à ce jour déçus par le manque de volontarisme politique pour que l’espace méditerranéen soit un espace d’échange non pas seulement économique, mais aussi de coopération culturelle et sociale dans lequel les citoyens des 2 rives puissent y trouver une place. Sur le champ du développement, nous travaillons depuis 2002 au Maroc sur les questions de jeunesse, et depuis 1995 au Liban sur l’éducation et le handicap, et depuis 2008 en Tunisie, d’abord sur la liberté syndicale, désormais sur la réduction des inégalités sociales. A titre d’exemple, le programme Concerté Maroc que nous coordonnons travaille à la fois sur les questions de citoyenneté et d’éducation des jeunes, mais également sur leurs préoccupations économiques : formation et insertion professionnelle, création d’activités génératrices de revenus, etc. Ces problématiques rencontrées par les jeunes au Maroc se retrouvent dans la plupart des pays arabes où nous intervenons. Nous travaillons donc, avec nos partenaires locaux, à ce que cette jeunesse constitue non pas seulement l’avenir, mais le présent de ces pays. Le présent car elles représentent environ la moitié de la population de ces pays et qu’elle ne peut par conséquent être laissée de côté dans la démocratisation en cours, l’avenir car la génération actuelle sera celle qui devra travailler au rapprochement durable des deux rives de la Méditerranée.
3) Parlez-nous du programme Soyons actifs en collaboration avec 15 organisations tunisiennes ?
Il s’agit d’un programme qui intervient dans une période clef pour la Tunisie : l’élaboration d’une nouvelle constitution. La société civile, qui est mobilisée depuis le départ de Ben Ali, souhaite prendre une part active dans les avancées démocratiques. Cependant, les organisations qui la représentent sont, à part les historiques (LTDH, Afturd, ATFD, UGTT…) très jeunes et manquent d’expérience. Le programme Soyons Actifs/Actives a été construit avec ces organisations selon une logique collective, où chaque organisation tunisienne, mais aussi française (parmi les organisations membres de Solidarité Laïque) peut partager ses compétences et ses idées. Chaque organisation est par conséquent actrice du programme et non simplement bénéficiaire. La phase pilote du programme lancée en fin d’année 2012 s’attache à accompagner des diagnostics participatifs dans 5 régions du pays (Bizerte, Gafsa, Grand Tunis, Kasserine, Sidi Bouzid) initiés par nos partenaires tunisiens sur les thématiques de l’éducation formelle et informelle, la formation professionnelle ou la citoyenneté. Ces diagnostics devraient permettre aux organisations de consolider leur base sociale, mais aussi de renforcer leurs relations avec les autres acteurs de développement de leurs territoires. Ils constitueront la base pour que ces organisations puissent ensuite construire des projets répondant à l’intérêt général. Parallèlement, le programme renforce les capacités de ces membres, tant tunisiens que français en proposant un certain nombre de formations, de séminaires, de visites d’échanges.
4) Comment votre organisation peut aider la Tunisie dans cette période de transition ?
Nous ne parlons pas d’aide mais de partenariat car nous envisageons les échanges entre sociétés civiles des 2 rives comme une logique de solidarité transnationale, visant à rapprocher les citoyens autour d’enjeux communs. C’est d’ailleurs ce que les organisations tunisiennes ont demandé à Solidarité Laïque lorsque nous avons initié la phase d’élaboration du programme : être franc sur les attentes de chacun et envisager la relation sur un long terme avec des bénéfices partagés. Par exemple, les membres de Solidarité Laïque sont très intéressés par la jeunesse et les capacités d’innovation des associations tunisiennes, celles-ci demandent des échanges d’expériences sur la gouvernance d’une association, ses relations aux partis politiques, aux élus. Notre rôle est d’articuler ces demandes et de contribuer à faire émerger des projets à la fois impactant pour les bénéficiaires mais aussi permettant le dialogue, la concertation entre organisations de la société civile, mais aussi avec les collectivités et les pouvoirs publics.
7) Le savoir vivre ensemble Nord Sud, c ‘est pas un peu tard ? vous travaillez en symbiose avec la ligue tunisienne des droits de l’homme ? Suite à l’assassinat de Chokri Belaid quelle a été votre position ?
Au contraire, ce n’est plus que jamais d’actualité ! Dans quelques jours se tiendra le Forum Social Mondial à Tunis, il démontrera à nouveau la nécessité de construire des coalitions internationales pour faire évoluer les politiques en matière de défense et d’accès aux droits humains. Sans cela, pas d’état de droit possible. C’est bien cela que nous avons rappelé suite à l’assassinat de Chokri Belaid, à savoir notre solidarité, sans non plus s’immiscer dans la vie politique tunisienne.
8) En Conclusion quels conseils à la société civile tunisienne à l’heure de ces remous douloureux ?
Nous n’avons aucune leçon à prodiguer à la société civile tunisienne qui démontre, depuis le démarrage de la révolution, son énergie et son amour de la Tunisie. Nous souhaitons simplement les accompagner dans cette période de foisonnements politiques et sociaux pour qu’ils puissent jouer pleinement leur rôle dans la transition démocratique du pays, et tisser une solidarité durable de société civile à société civile forte des erreurs du passé, pour écrire une nouvelle page de notre histoire commune.