La déshumanisation joue un rôle important dans les violences exercées par les terroristes. La déshumanisation, c’est le processus psychologique par lequel un individu perçoit et traite ses semblables comme s’il n’appartenait pas au genre humain.
Beaucoup de chercheurs,de cliniciens se sont intéressés à ce sujet, suite aux diverses activités terroristes qui ont bouleversé la région.
UFFP s’est entretenue avec la psychologue belge Evelyn JOSSE à ce sujet
ENTRETIEN:
Les islamistes radicaux déshumanisent les non-musulmans. Ce sont des singes, des porcs ou bien encore des chiens. A leurs yeux, les musulmans qui dévient des principes d’un Islam rigoriste ne valent d’ailleurs guère mieux que les mécréants.
La déshumanisation crée un fossé émotionnel entre les terroristes et la société occidentale qu’il méprise. Dépouillé de son statut d’être humain, l’Autre, l’occidental, le mécréant ne suscite pas d’émotions telles que l’amour ou la pitié. Son sort n’émeut pas. Sa souffrance ne déclenche aucun désir de porter secours.
On entend souvent dire que les terroristes manquent d’empathie. Je ne le crois pas. L’empathie, c’est le mécanisme par lequel un individu perçoit avec justesse la façon de percevoir la réalité d’une autre personne, ses valeurs, ses croyances, ses pensées, ses émotions, etc. Je pense que la dynamique déshumanisante corrompt l’empathie sans la gommer. Un terroriste n’est efficace à horrifier ou terrifier ses victimes qu’à la condition de comprendre leur manière de penser, d’anticiper leurs réactions et de percevoir leurs émotions. L’empathie permet de ressentir les émotions de l’autre mais il serait faux de croire qu’elle conduit systématiquement à adopter un comportement bienveillant. C’est la compassion qui induit une réponse motivationnelle visant à améliorer son bien-être et à remédier à sa souffrance. L’empathie, quant à elle, se limite à percevoir ses émotions sans nécessairement les éprouver et sans être forcément poussé à agir. Pour passer à l’acte terroriste, il faut impérativement avoir perdu sa compassion à l’égard des personnes que l’on agresse.
La déshumanisation et la perte de compassion affaiblissent l’autocensure morale et lèvent des interdits. En effet, les principes de moralité ne s’appliquent pas à des êtres privés de qualités morales, en marge de l’humanité. L’Autre n’est pas un alter ego ; il est un parasite à éliminer, un insecte à écraser, du bétail à égorger, une cible à atteindre, etc. Aux yeux du terroriste, les souffrances et la mort qu’il inflige aux victimes est le fruit d’une violence « réparatrice ». Il agit au nom d’une cause, noble et légitime, mêlant idéologie spirituelle et revendications identitaires. En raison de la grandeur de sa mission, il ne juge pas ses actes selon les critères moraux ou légaux habituels. Sa tâche est transcendante, ce qui efface ses scrupules moraux et le préserve de la culpabilité. Non seulement le terrorisme ne cause pas de préjudice moral à ses auteurs mais il leur procure un bénéfice. Tuer en vue de défendre la cause d’Allah, c’est non seulement sauver le monde, le purifier et le régénérer mais c’est aussi acheter son paradis.
Devenir terroriste nécessite une transformation profonde du rapport à soi et aux autres. Se désaffilier du groupe d’appartenance qui l’a vu naître, rompre avec les modalités de comportement, de points de vue, de valeurs, de sociabilités individuelles, familiales et collectives et s’émanciper des principes fondamentaux introjectés depuis l’enfance, n’est pas un processus spontané. Il nécessite que l’individu soit soumis à des procédés psychologiques et psychosociaux. C’est ce qu’on appelle l’endoctrinement. L’endoctrinement menant à la radicalisation est un processus progressif. S’il prend le plus souvent plusieurs années, nous assistons aujourd’hui à des radicalisations rapides, en quelques mois. Il est important de distinguer islamisation et radicalité. Je dirais que devenir un islamiste radical avec un projet politique et religieux prend du temps. Par contre, devenir un radicalisé peut aller très vite. J’appelle « radicalisé » un jeune à qui l’Islam n’offre qu’un prétexte à la recherche d’une cause à même de soutenir sa révolte. Ceux que j’appelle les radicalisés n’ont pas de formation politique et connaissent peu et mal l’Islam. Ils éprouvent juste une haine par rapport à la société occidentale. Evidemment, ces jeunes radicalisés entrent en contact avec des islamistes radicaux, de plus en plus souvent par les réseaux sociaux, et ces islamistes radicaux instrumentalisent la révolte de ces jeunes.
C’est par l’endoctrinement que l’individu apprend à cibler une communauté et à la déshumaniser. Progressivement, l’idéologie, la doctrine, les principes, les valeurs et les règles imposées par le discours de l’islam radical entraîne une modification de la personnalité de l’individu, de sa vie affective, cognitive, relationnelle, morale et sociale. Simultanément, la propagande s’emploie à diaboliser le monde occidental, le disant corrompu, dirigé par des sociétés secrètes, hostile à l’Islam, méprisant les Musulmans ; elle prête aux Occidentaux des agissements abjects et lui impute des actes abominables, par exemple, la mort de nombreux enfants innocents sous les bombardements en Syrie. Ces violences sont parfois inventées ou exagérées pour justifier l’extrême sévérité des représailles.
Pour les terroristes qui se sont rendus coupables de délits et de crimes avant leur embrigadement, la délinquance et le banditisme ont ouvert les voies de la déshumanisation et du désengagement social. Les victimes de leurs méfaits n’étaient déjà plus pour eux des alter egos animés de sentiments et d’émotions. Réduites à un moyen d’assouvir des pulsions et des désirs, elles pouvaient être volées, spoliées ou agressées sans préjudice moral.
Comment expliquer que les terroristes puissent commettre des actes qui tuent des femmes et des enfants?
Dans le terrorisme, tout comme dans la torture, les guerres et les génocides, la déshumanisation ne cible pas un sujet singulier mais son groupe d’appartenance. Au travers de quelques individus, ce que les terroristes souhaitent atteindre, c’est une communauté. Ceci explique qu’ils puissent tuer des enfants et des femmes, des personnes âgées, des malades, des handicapés, etc. Les terroristes ne s’attaquent pas à des frères humains, ils exterminent de la vermine. Plus l’Autre est perçu comme éloigné des valeurs et des principes du groupe d’affiliation, plus il est aisé de lui infliger des dommages, y compris de le soumettre à des actes jugés en d’autres circonstances inacceptables, contre-nature et inhumains comme égorger des civils ou tuer des enfants.