Chronique : L’Autre consommateur
Par Ezzedine El Mestiri, Fondateur du Nouveau et de l’Autre consommateur
C’est un phénomène qui prend de l’ampleur depuis une petite dizaine d’années. L’acquisition de terres dans les pays du Sud par des pays du Nord. Déposséder des paysans pauvres de leur terre, c’est une nouvelle forme de domination teintée d’un cynisme et d’une vision à court terme… Avec des lourdes implications sur la sécurité alimentaire dans le monde.
Chaque 17 avril, les paysans du monde entier fêtent la journée internationale des luttes paysannes en mémoire d’un certain 17 avril 1996 quand dix-neuf paysans du mouvement sans terre du Brésil étaient assassinés par des tueurs à la solde de grands propriétaires terriens.
Partout dans le monde, les paysans – qui composent plus de la moitié de la population mondiale- subissent la pression des multinationales de l’agroalimentaire et des gouvernements complices. Il est de plus en plus difficile pour un paysan de posséder sa terre. Et encore plus difficile de contrôler ses semences.
« Comme la terre, l’eau et les ressources minérales, les semences font partie des biens publics qui doivent demeurer entre les mains des peuples », rappelle l’organisation paysanne internationale Via Campesina qui a appelé le 17 avril 2014 à une journée internationale de lutte pour la défense des semences paysannes.
Posséder sa terre, cultiver librement ses semences, survivre… C’est le cri de ces paysans qui indiquent que « Les semences possèdent une place fondamentale dans la lutte pour la souveraineté alimentaire. Des semences dépendent les récoltes qui nourrissent les peuples du monde, et à chaque cycle, se reposent les questions par qui et comment cette nourriture est produite. Les semences transmettent aussi la vision, le savoir, les pratiques et la culture des communautés paysannes. Depuis plus de 100 ans, nos semences sont attaquées par le capitalisme, qui cherche à les privatiser et les standardiser au profit de l’agriculture industrielle. »
En France, nous assistons à travers des mouvements sociaux à la création d’un Collectif citoyen contre les accaparements de terres. Rappelons que ces dix dernières années, au moins 220 millions d’hectares de terres, près de 4 fois la taille de la France métropolitaine, auraient fait l’objet d’accaparements à travers la planète. Les organisations membres du Collectif appellent à un meilleur encadrement juridique de l’activité des entreprises et à un renforcement des droits fonciers des communautés paysannes. Cette ruée sur les terres agricoles n’est pas un épiphénomène. Il s’agit bien d’une tendance destinée à durer.
11 pays sont concernés, la majorité en Afrique orientale et en Asie du Sud-Est, représentant 70 % de la surface totale des terres acquises dans ces transactions d’investissement foncier agricole. La moitié des terres concernées est déjà sous culture, ce qui montre que les acquéreurs comptent bien entrer en compétition et en concurrence avec les petits exploitants agricoles. Selon Land Matrix, la plus grande base de données en la matière au monde où sont répertoriées les transactions foncières en Afrique, depuis l’année 2000, près de 5 % des terres agricoles de l’Afrique ont été achetées ou louées par les investisseurs.
Agro-carburants du Nord sur les terres du Sud
Agro-carburants contre cultures vivrières : le Nord contribue-t-il à la famine ? En se fixant un objectif vertueux de 10 % d’agro-carburant dans les transports d’ici 2020, les Européens sont-ils aussi en train d’affamer la planète. La question se pose car pour faire pousser le jatropha, la plante qui permet la production de ce nouveau carburant propre, il faut trouver de nouvelles terres. Les pays riches les achètent en Afrique, en Asie ou en Europe de l’Est, la plupart du temps au détriment des cultures vivrières, ce qui contribue à la flambée des prix de l’alimentation locale et l’appauvrissement des paysans.
Depuis 2007, la ruée vers les terres s’est accélérée, nourrie par la crise pétrolière, qui a boosté le développement industriel des agro-carburants, et la crise des matières premières, ce qui a poussé à sécuriser les ressources en protéines animales et en céréales en les produisant sur toujours plus de terres. Résultat : d’après l’association Oxfam, 227 millions d’hectares de terres auraient ainsi été vendus ou loués depuis 2001 dans les pays en voie de développement, soit l’équivalent en surface de l’Europe de l’Ouest ! La moitié d’entre elles seraient situées en Afrique. En Ethiopie, les officiels justifiaient la vente ou la location de quelque 4 millions d’hectares à des investisseurs étrangers, d’Inde, de Chine, du Royaume-Uni, par l’espoir de voir se développer dans leur pays une agriculture plus moderne.
Les principaux acquéreurs sont de gros investisseurs privés étrangers, essentiellement européens comme dans le nord du Sénégal, de grandes multinationales, telles que la New Forest Compagny en Ouganda. Mais les élites locales, qui profitent du laxisme et des largesses que leur accordent les autorités nationales, ne sont pas en reste.
Déposséder des paysans pauvres de leur terre, c’est une nouvelle forme de domination teintée d’un cynisme et d’une vision à court terme.
Voilà une nouvelle préoccupation pour notre monde : comment moraliser et réguler cette course effrénée à l’acquisition facile de terres dans les pays pauvres. La communauté internationale découvre enfin l’ampleur de ce problème et ne cesse depuis d’exiger l’adoption au plus vite des standards internationaux contraignants sur la gestion des ressources naturelles. Et c’est ainsi que le comité de sécurité alimentaire mondiale de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) vient d’approuver toute une série de directives pour une meilleure gouvernance des régimes fonciers applicables aux terres. L’objectif est d’encadrer les flux d’achat, de droit ou d’obtention de terres à travers le monde en mettant à la disposition des Etats et gouvernements des indications et des informations sur les pratiques acceptées au niveau international.