Par Fériel Berraies Guigny
photos Diane Cazelles pour UFFP
Professionnel dans le secteur de l’habillement et principalement dans la lingerie haut de gamme, Samir Ben Abdallah était désireux depuis un certain temps de créer une initiative qui puisse réunir les talents et la créativité tunisienne en même temps que d’insuffler un rythme nouveau à la filière textile tunisienne mise à mal par la grave crise économique que traverse son partenaire depuis toujours : l’Europe.
Les conditions n’étaient pourtant pas optimales, avec les conséquences néfastes de l’après révolution qui est venue fragiliser la filière et en l’absence d’une Fashion Week qui, outre les créateurs mette en avant l’ensemble du secteur textile du pays. Président de la chambre syndicale des fabricants de lingerie depuis 2006, il est l’initiateur et le fondateur du Festival de mode de Tunis. UFFP l’a rencontré pour vous.
Samir Ben Abdallah
Entretien :
Depuis 2006 vous avez fait pas mal d’initiatives ? Oui on a fait pas mal d’évènements dont le premier salon de la lingerie en 2010 ; juste avant la révolution et c’était un véritable défi, il y a eu une cinquantaine d’exposants. J’ai voulu pérenniser ce salon mais avec la révolution et ce qui s’est passé après, on n’a pas pu le faire. J’ai temporisé pour la lingerie. J’ai donc voulu enchainer en octobre dernier avec ce festival de la mode qui englobe tous les secteurs de l’habillement et pas seulement la lingerie.
Gros défi ? Oui depuis cinq mois je n’ai pas arrêté de travailler sur ce projet pour tout organiser et amener les gens. Je voulais mettre en étroite synergie les professionnels de l’habillement ; on n’est pas une initiative qui fait de l’évènementiel. Etant dans la fédération internationale du textile, je l’ai fait dans le dessein de « rebooster » le secteur. Je me démarque de la Fashion Week de Tunis qui n’a fait que reprendre la patente pour faire de l’évènementiel ; Je me suis dit qu’il fallait faire autre chose, pour prendre nos problèmes à bras le corps et organiser quelque chose. Le dessein n’était pas de gagner de l’argent, loin de là, on a perdu de l’argent au contraire mais c’est un investissement pour le futur.
La conjoncture est peu clémente ? Une usine qui a des commandes et qui tourne bien, tous les problèmes sociaux, ils passent après. Nous avons un problème de charge de nos capacités productives et ces problèmes ne peuvent être résolus qu’en valorisant la filière et en faisant des collections et du produit fini.
Faire de la création et du produit fini, un pas vers la solution à la crise actuelle du secteur ? Absolument, il faut de la créativité pour donner envie aux clients d’acheter chez nous, plutôt que d’aller ailleurs.
La révolution et la crise ça n’a pas aidé le secteur ? Les deux cumulés ont fait beaucoup de mal aux entreprises qui n’ont pas su ou voulu s’adapter à la nouvelle situation qui est de faire du produit fini, de la création. Il faut arrêter la sous-traitance tunisienne qui a atteint ses limites car la main d’œuvre tunisienne n’est plus aussi compétitive. Il y a des pays qui sont moins chers que nous, il faut donc se remettre en question !
Si nous ne nous adaptons pas on sera laminé ? Oui c’est vraiment à craindre, il faut passer à autre chose, le talent est là et il faut savoir le valoriser. Ce festival-là, il va permettre, je l’espère, de mieux vendre nos capacités et nos talents pour être à la hauteur.
Le développement durable dans tout ça ? C’est très important, mais malheureusement on est aussi face à un facteur économique, qui fait que les petites mains soient aussi compétitives et il faut qu’elles soient accessibles et qu’elles puissent se vendre. Cette équation-là est très importante, on va essayer de la compenser par de la matière première qui soit de qualité et bon marché afin de compenser le cout de la main d’œuvre tunisienne qui ne cesse d’augmenter. Il faut trouver des solutions pour valoriser cette filière et nous permettre de fonctionner normalement.
Et l’éthique dans la création ? C’est très important car maintenant la plupart de nos clients accordent beaucoup d’importance à cette variable. Et nous devons nous y conformer, choix des manières naturelles, dimension sociale dans le travail, patrimoine et savoir-faire, préoccupations écologiques.
Les médias étrangers étaient là…
Vos objectifs ? Pérenniser ce festival et surtout dire haut et fort que la Tunisie va bien, que les gens travaillent, il faut déconstruire ce que les médias disent, le pays est stable et il fait beau ! Quand il y a du volume, des commandes que les entreprises fonctionnent, toute la machine économique est enclenchée. Mais pour la Tunisie, il faut aussi trouver des nouveaux marchés, car la crise économique en Europe ne va pas se résorber très rapidement. Les Etats Unis pourraient être une alternative, un nouveau débouché, mais l’absence d’un Accord de libre-échange avec les Etats Unis freine la donne. Nos produits pour cette destination sont handicapés on est obligés de payer 18 % de droits de douane. Contrairement au Maroc et à l’Egypte. L’Afrique c’est aussi un marché intéressant, c’est un gros marché.
Samir Ben Abdallah en présence de la directrice Artistique Neziha Nemri
Et les femmes dans tout ça ? C’est la base de tout, la femme artisane a son importance. Derrière les machines à coudre ce sont des femmes, et nous espérons continuer d’attirer cette main d’œuvre en leur donnant un vrai métier. Mais il y a certaines jeunes filles qui ne veulent plus travailler et ça c’est quelque chose de tout à fait nouveau qui est inquiétant.