Par Darine Habchi
Elles sont jeunes et pleines d’espoirs pour les futures générations, les mamans professionnelles de Sos village d’enfants, à Draria, dans la banlieue d’Alger, se dévouent quotidiennement pour élever des enfants qui ne sont pas les leurs. Une journée partagée avec l’une d’entre elles afin de découvrir cette humanité qui anime ces femmes.
Soixante ans d’existence, un peu plus de six mille mamans dans la profession à travers le monde, Sos Village d’enfants est une organisation humanitaire à part entière, regroupant mamans et enfants sous les mêmes toits. Selon Monsieur Rouot, Directeur de l’association, « Etre mère Sos c’est plus qu’une profession c’est un réel engagement ».
Il est midi et demi, ma voiture arrive devant l’enceinte de Sos Village d’enfants de la ville de Draria. Je contemple le paysage verdoyant. Dommage, il vient de pleuvoir averse, le gazon est mouillé et la terre s’est transformée en boue. Cependant, j’aperçois à porté de nez une lueur de gaité. Cette gaité est amenée par les charmantes petites maisons préfabriquées, aux couleurs verts, roses et bleues pastels, conçues pour accueillir les enfants et les mamans SOS. On se croirait volontiers dans une scène digne d’un comte des frères Grimm. Seulement là ce n’est pas Hansel et Gretel qui m’accueille mais Amine Bouzahri le Responsable Département, Recherche de fonds et Communication, qui me donne droit à une visite guidée et me mène dans l’antre d’une maisonnée couleur ciel, où nous attend porte béante, Fadela, maman professionnelle de 36 ans, originaire de Oran.
Une maman au grand cœur
Partagée entre le sourire et la réserve, la jeune femme, m’invite à entrer dans sa demeure et me confie qu’elle a toujours eu cette volonté d’aider et de s’engager pour la cause des enfants. « Ce qui différencie Fadela des autres mamans, je pense, c’est sa capacité d’adaptation », ajoute Amine Bouzahir Responsable Département, Recherche de fonds et Communication. Arrivée il y a cinq ans, cette maman SOS à tout appris sur le tas. Son visage marqué, témoigne de la souffrance mais aussi de la persévérance dont elle à fait preuve pour mener à bien son ambition. « J’ai débuté avec une lourde mission. Juste après le séisme de 2003, nous avons dû accueillir de nombreux enfants et très vite j’ai su comment stabiliser mon foyer ». En même temps que je discute avec elle, Fadela, en véritable mère attentionner, ne quitte pas des yeux ses enfants. « Elle sait leur donner l’affection et l’écoute dont ils ont besoin », confie Amine Bouzahri. « A la suite de multiples annonces de recrutement faites à la radio et la télévision, j’ai envoyé ma lettre de candidature », raconte la jeune femme. « Je savais bien que ce métier était fait pour moi, j’en était persuadé ». Difficile pour Fadela de convaincre ses parents de son nouveau choix de vie… « Au départ, les membres de ma famille étaient contre le fait que je m’en aille loin de chez eux, mais j’ai réussi à les faire changer d’avis sur la question. Je leur ai expliqué les motivations qui me poussaient à vouloir vouer une partie de ma vie aux enfants défavorisés. Ils ont finalement accepté. Une fois un ami à mon père m’a vu lors d’un reportage télévisé, je ne vous raconte pas les éloges qu’il a fait de moi auprès de mon papa. D’ailleurs, ce dernier était aux anges, et m’a confié qu’il était fier de moi et du bien que je pouvais apporter à ces enfants en difficulté», indique la jeune femme. Coupée du monde, pas tout à fait, en réalité, Fadela a droit à un mois de congé annuel et à une journée de récupération par semaine. Elle cumule ses jours de repos pour pouvoir partir d’une seule traite et pouvoir profiter pleinement de ses vacances à Oran, auprès de sa famille.
Une vraie vie de famille
Je découvre où vivent les enfants. Il s’agit d’un cadre chaleureux souligné par une décoration enfantine, des stickers collés partout, des peluches, des cadres entreposés, le tout se mariant très bien à la magie des meubles orientaux du salon. Je suis plongée dans un univers extraordinaire. La froideur du temps, laisse place à un inconditionnel réchauffement des cœurs. Il fait bon vivre dans cette petite maison. Elle semble posséder une âme, elle respire et les enfants m’accueillent avec le sourire. Chourouk et Mallak, dix ans, sont de vraies jumelles, elles ne se ressemblent pas physiquement mais sont très proches l’une de l’autre. Entre elles c’est fusionnel. Fort heureusement, dans leur malheur, le destin ne les a pas séparées. Tout en aidant Fadela, leur maman à préparer le déjeuner, Mallak nous explique qu’elles sont arrivées, sa sœur et elle depuis trois ans. « Chourouk et moi nous sentons ici comme chez nous, nous avons chacune notre chambre et nous nous entendons très bien avec tous nos frères et sœurs de Sos Village d’enfants », confie d’un air enjoué, la petite fille. Cependant, les problèmes antérieurs des enfants sont passés sous silence, personne ne replonge dans les décombres de sa mémoire pour me raconter sa tragédie. D’ailleurs, il m’est strictement interdit de les questionner à propos de leurs vies passées ni de leur demander les raisons pour lesquelles ils se sont retrouvés à Sos Village d’enfants. Le déjeuner est prêt aujourd’hui se sera spaghetti à la bolognaise, œufs, salade composée, fromage et yaourts en guise de dessert. « Comme vous pouvez le constater les plats sont équilibrés. A la fin de chaque semaine chaque maman prépare le menu hebdomadaire et le remet à l’administration. Il doit être riche et varié », explique Amine Bouzahri. Touts les enfants présents, s’installent à table, « ceux qui sont au collège restent manger à la cantine. En effet, le trajet est trop long et ne leur permet pas de venir s’attabler avec nous le midi », précise Fadela. La maman s’occupe de dix enfants, âgés de trois à quatorze ans. Aujourd’hui, je n’en rencontre que quatre : Chourouk, Mallak, Wassil sans oublier Sid Ali.
A chacun son rôle
Elever dix enfants seule n’est pas une mince affaire, c’est pourquoi Sos village d’enfants à créer le poste de tata Sos. Je fais alors la connaissance de Karima. Elle est là debout, avec son foulard sur la tête et sa longue robe d’intérieur. Pendant que Fadela discute avec moi et se prépare pour raccompagner les enfants à l’école, l’autre jeune femme veille à ce que les ceux-ci ne manquent de rien. « Quotidiennement, elle prête main forte à la maman dans ses tâches ménagères et s’occupe des bambins lorsque Fadela est absente », indique Amine Bouzahri. Quand la maman Sos s’en va en course par exemple Karima, la tata, prend le relai. « Son rôle est d’encadré et d’assister la maman dans le bon déroulement de la vie familiale », ajoute Amine Bouzahri. Karima a rejoint la cellule familiale, il y a deux ans. Comme Fadela elle a décidé de mettre sa vie privée en stand by pour s’investir pleinement dans sa nouvelle passion. Très discrète mais pas moins souriante et accueillante, j’ai en face de moi une jeune femme habitée par une pure ambition humanitaire. Quand je lui demande les motivations qu’ils l’ont amenées vers Sos village d’enfants, je m’attends à ne pas avoir de réponse, mais je suis surprise de l’entendre prendre la parole et de m’expliquer : « J aime les enfants et je suis là pour les aider à grandir et à s’épanouir. Ici je me sens enfin utile ». Comme la plupart des femmes ici, j’ai entendu diverses annonces de recrutement de la part de Sos village d’enfants. Après mure réflexion, je me suis enfin décider à appeler, j’ai eu droit à des entretiens avec les membres administratifs de l’association et j’ai été acceptée pour assister la maman dans son quotidien », indique la jeune femme. Au départ, Karima, rentrais tous les soirs chez elle mais pour des raisons d’organisation, l’association lui a demandé de séjourner à temps plein dans la maison. « Heureusement, je n’ai aucune attache ni obligation familial. Ma mère a éprouvé beaucoup de mal à me laisser partir, mais aujourd’hui elle l’accepte », ajoute la jeune femme. Il existe une réelle cohésion entre la mère et la tante. Ensemble elles ont su instaurer un climat harmonieux. « Nous nous entendons à merveille et nous complétons parfaitement », confie Karima. Dans la maison, impossible de chômer et comme chaque membre d’une famille génétique, les enfants de Fadela ont tous des tâches à réaliser « Je tente de responsabiliser chaque enfant à la vie en communauté. Chacun apporte sa pierre à l’édifice. Par exemple, la plus grande, Habiba, quatorze ans, m’aide le matin à préparer les plus petits avant de les emmener à la crèche », indique Fadela. Une réelle organisation et le rôle de la maman SOS est bel est bien de tisser des liens entre les membres qui constituent la famille. « Malgré quelques difficultés, j’amène les enfants à accepter les différences des autres, c’est important, si nous voulons qu’ils baignent dans une atmosphère de tolérance », ajoute t-elle. Cependant, comme dans toute famille reconstituée ou non il arrive qu’il y ait quelques discordes ou malentendus.
Gérer les difficultés du quotidien
Les enfants éprouvent parfois une certaine jalousie, lorsqu’une nouvelle personne vient intégrer la famille d’accueil. « Chaque cas est différents, chaque enfant apporte avec lui son lot de peine. Avant d’être aussi épanouis comme vous le voyez, ils arrivent complètement éteints, ils ne veulent pas se mélanger et découvrir la vie en communauté. Ils ont besoin d’une longue période d’adaptation », indique Amine Bouzahri. Tout le staff de Sos village d’enfants, mais aussi et surtout la maman, se doit de préparer psychologiquement les enfants à cette nouvelle arrivée », ajoute le jeune homme. Quand un problème lié à l’enfant survient et que la maman Sos, ne peut le régler seule, l’administration de Sos village d’enfants fait alors appel à la mère biologique. « En général, de cette manière, nous travaillons main dans la main et tout finit par rentrer dans l’ordre », indique Fadela. « Les mamans professionnelles et les mamans biologiques travaillent en complémentarité. Elles gardent toujours contact par téléphone. D’ailleurs les mamans biologiques ont droit à une visite par mois, pour conserver le lien familial et s’assurer que leurs enfants se portent bien», ajoute Amine. Au fil du temps, les enfants s’habituent à cette nouvelle organisation familiale. « Ici, chaque enfant arrive avec son lot de problème. Au début il est difficile de leur faire prendre de nouvelles habitudes mais au fil du temps, avec beaucoup de persévérance et d’écoute, nous parvenons à leur donner l’envie d’adopter ce nouveau système », explique Fadela. De la patience, Dieu seul sait combien il en faut et la jeune femme n’en désemplit pas. Certes accueillir un enfant dans une famille reconstituée n’est pas une mince affaire mais au bout de quelques mois les choses rentrent dans l’ordre. Après, ces différentes rencontres, il est l’heure pour tout ce joli monde de retourner en cours. Fadela, s’assure qu’ils aient bien terminés de manger avant de m’inviter à venir découvrir l’école primaire qui se trouve un peu plus loin. Les enfants nous devancent, ils prennent le bus qui mène au chemin du savoir. Le temps pour la maman Sos de régler quelques détails avant de sortir, je monte dans la voiture d’Amine. La route n’est pas longue et au bout de cinq minutes, nous voilà devant l’école primaire, Boudjamâa Tamim à Draria. Il est 13h30, nous sommes en retard, tous les enfants sont déjà rentrés en classe. Tampis Fadela, devra reporter à plus tard sa discussion hebdomadaire avec les professeurs. « Je tiens vivement à me tenir au courant du niveau de mes enfants afin de trouver la façon de traiter leurs lacunes », explique la jeune femme. Ma visite s’achève, il est temps pour moi de dire au revoir à tout ce joli monde et de repartir.