49 Tunisiennes ont fait leur entrée dans l’assemblée constituante qui doit établir les bases de la nouvelle Tunisie post Ben Ali. Elles représentent 22,25% des élus. Mais quelles valeurs défendront-elles ? La plupart étant issues du parti islamiste Ennahda, elles ne représentent aucunement cette autre frange de la population laïque et modérée qui reste majoritaire dans le pays.
Pour beaucoup de femmes démocrates, ce scénario est un miroir aux alouettes, car en Tunisie il n’y a aucun principe de séparation entre le religieux et la politique et Ennahda ne semble pas prête à accepter l’idée que l’islam ne soit pas source de droit. Un ballet incessant de vérités et contrevérités à l’égard des femmes tunisiennes qui ont peur de voir leurs droits voler en éclats. Si Ennahda revenait sur ses déclarations, le parti risquerait de perdre toute crédibilité car les islamistes se sont engagés à respecter l’opposition et l’alternance politique. Ce n’est pas dans leurs intérêts de faire une constitution anti-démocratique et de s’attaquer aux droits des femmes, toutefois entre discours, la loi et son implémentation, il y a de grosses marges. Et les exactions dont sont victimes les populations civiles et les femmes opposantes qui veulent faire entendre leurs voix, confortent cette inquiétude.
UFFP s’est entretenue avec Soukeina Bouraoui, à la tête de CAWTAR centre de recherches et d’études sur la femme arabe, pour voir si dans les chiffres, il y avait une régression pour les femmes depuis le printemps arabe. Malheureusement nous n’avons pas pu aller au fond des choses ( Cawtar étant apolitique et dans une orientation de recherche pour promouvoir l’entrepreneuriat féminin arabe uniquement) , mais voici déjà une impression générale.
Soukeina Bouraoui : Bio
Née en Tunisie, Soukaina Bouraoui a été professeur de droit pendant 30 ans, se spécialisant en droit pénal et contractuelle à l’Université de Tunis. Elle est la fondatrice et directrice de la recherche, de documentation et d’information national Centre des femmes (CREDIF) en Tunisie, une ONG qui travaille avec le gouvernement tunisien et l’Organisation des Nations Unies et est le directeur exécutif du CAWTAR, le Centre de la Femme Arabe pour la Formation et la Recherche , depuis 1999. Elle siège également au conseil d’administration de plusieurs organisations telles que l’Association tunisienne de droit pénal, de l’Association internationale de droit économique et de l’Association internationale de droit comparé de l’environnement.
Soukaina Bouraoui Directrice Exécutive de CAWTAR
Entretien express avec UFFP:
1 Depuis le printemps arabe, la place de la femme arabe est en question dans la sphère entrepreneuriale? Des avancées ou un recul ?
Il est actuellement difficile de répondre sans chiffres et sans nouvelles études.
Mais vu l’état général de l’économie des pays du printemps arabe, les choses sont plus difficiles qu’avant et cela est indéniable, si nous prenons cela selon une perspective « chiffres » bien sûr. Pour ce qui est du social, oui il y a des risques de régression à venir.
2 Quelles mesures incitatives pour pérenniser les acquis de certaines ( Tunisie, Maroc, Egypte) et changer les mentalités rigoristes pour d’autres ( Golfe et Moyen Orient) ?
Je pense qu’un gros travail doit se faire encore et surtout aujourd’hui concernant la liberté de la presse. Par ailleurs, pour travailler « les mentalités » à l’égard des femmes et pour éviter que les jeunes se fassent enrôler dans des mouvances conservatrices, il est important de donner la place à la culture qui est très importante dans une société ; le cinéma, le sport à tous les coins de la rue, c’est crucial!
S’agissant de l’éducation également, il faut un contrôle de conformité des programmes pédagogiques et des établissements d’éducation. Il y a depuis quelques années, un net appauvrissement des programmes scolaires et c’est ce vide qui pourrait contribuer à ce que l’on perde notre jeunesse ou qu’elle se fasse enrôler dans des voies peu recommandables.
3 On est face à des mouvances très conservatrices, le travail de CAWTAR n est il pas rendu encore plus difficile?
Pour le moment non, car Cawtar travaille depuis toujours dans des environnements conservateurs autre que le Maghreb ,tel le Yémen ou l’Arabie saoudite, donc cette problématique ne se pose pas et au contraire, les institutions officielles et non officielles sont demandeuses de connaissance scientifique et de statistiques que Cawtar leur propose au travers de ses études. Tant qu’on reste dans le chiffre, nous n’indisposons personne.
4 La Tunisie était un modèle pour les femmes en terme de participation dans la vie publique économique sociale et entrepreneuriale?
Oui elle l’a été, mais elle l’est encore, car encore une fois, si l’on se base du point de vue chiffres, ils n’ont pas beaucoup changé. On constate d’ailleurs qu’il y a plus de femmes à l’Assemblée Constituante même si elles ne sont pas représentatives de l’intégralité de la population féminine tunisienne par contre, il est vrai qu’il y a moins de femmes au rang de Ministres ou Ministres et de femmes Ambassadeurs. Il est évident que sur cet aspect, il y a une nette régression.
5 Le Maroc sur le chemin de l’ancienne Tunisie?
IL N Y A PAS D ANCIENNE Tunisie et le Maroc a ses propres contradictions et lourdeurs sociales.
Mais c’est vrai que sur le plan des législations et de la l’administration publique beaucoup est fait dans ce pays, c’est depuis la Moudawana notamment et c’est une volonté politique affirmée.
6 quelle lecture proposer aux femmes du monde dans des régions en transition?
Elles résistent, se battent pour la dignité et donnent l’exemple à suivre en Tunisie et en Egypte notamment. D’ailleurs, beaucoup d’hommes le reconnaissent et le disent plus qu’ avant, il convient de le préciser et là ce n’est pas du chiffre. Les femmes sont résilientes et créatives, elles utilisent les nouveaux moyens de communication, tel qu’internet pour se faire entendre. Elles tentent de démontrer qu’elles peuvent garder leur identité arabo-musulmane surtout dans des sociétés conservatrices tout en étant à la pointe des nouvelles technologies.
Mais le petit coup de pouce supplémentaire, manque il faudrait qu’elles s’initient plus au réseautage dans la société civile et au regard des divers partis politiques, il leur faudrait plus de solidarité entre elles.