Madame Assia Bensalah Alaoui, ambassadeur itinérant de S.M. Mohammed VI, a un très riche parcours. Elle est aujourd’hui une figure emblématique dans la région et milite pour un mieux vivre ensemble en Islam. Elle s’intéresse particulièrement aux questions relatives au dialogue des cultures et de l’intégration dans la Méditerranée. Elle est également très investie par rapport à la question des femmes de la région.
Bio Express :
Assia Bensalah Alaoui après un parcours littéraire et juridique et une première carrière universitaire est coprésidente de l’Office de coopération économique pour la Méditerranée et l’Orient (OCEMO). Mme Bensalah Alaoui est également vice-présidente de l’Association d’amitié Maroc-Japon (AMJ), membre du Conseil d’orientation de «l’Institut royal d’études stratégiques» (l’IRES) de Rabat, membre des conseils d’administration de la «Moroccan-British Association», de la Bibliothéca Alexandrina en Égypte, et de la Fondation Alaouite pour le développement humain en Afrique, ainsi que du Conseil consultatif international du CITpax (Centro International de Toledo para la Paz).
Par Fériel Berraies Guigny, photo de Diane Cazelles
Entretien avec UFFP :
Vous avez eu plusieurs vies dans une vie, s’agissant de votre parcours ?Oui j’ai commencé par une formation en littérature et dans une autre vie, j’étais professeur de littérature anglaise à l’Université. Ensuite, conversion vers le droit et la Science politique avec une thèse à l’époque, sur la sécurité alimentaire mondiale.
Les sujets sur la sécurité cela vous touche ?Oui j’avais orienté mes premières recherches sur la sécurité dans toutes ses formes multidimensionnelles et par conséquent, j’avais énormément travaillé sur la problématique euro-méditerranéenne dans son aspect sécuritaire, économique, social et interculturel. J’ai coprésidé aux côtés de Jean Daniel,le High level panel sur le dialogue des cultures en méditerranée. A l’époque,à l’invitation de monsieur Romano Prodi et c’est suite à cela, que nous avons abouti aux guidelines pour la Fondation Anna Lindt. J’ai continué ma carrière en tant que professeur de Droit International général.
Votre statut d’Ambassadeur itinérant ? Depuis 2006, j’ai été nommée Ambassadeur itinérant par sa Majesté le Roi du Maroc. Au-delà des missions que sa Majesté me confie, je suis très présente dans les Think Tanks car je suis dans le conseil d’administration de plusieurs d’entre eux aussi bien aux Etats Unis, qu’en Europe ou au Moyen Orient.
Les questions culturelles, font beaucoup partie de votre agenda ? Oui je travaille beaucoup sur les questions du dialogue et des cultures, compte tenu de la montée des extrémismes des deux bords. Je pense que c’est un péril commun, bien que l’on montre beaucoup du doigt l’extrémisme musulman. Cependant on oublie aussi de parler, de la xénophobie, de la montée des extrémismes durs en Europe. On oublie également de parler de l’extrémisme israélien, donc c’est vraiment un mal méditerranéen que je combats depuis très longtemps !
Comment faire face aux amalgames ? il faut développer davantage d’outils, tout un spectre de mesures, ce que d’ailleurs le Maroc essaye de faire, je dois dire avec un certain succès.
Quel est votre regard sur les effets du printemps arabe dans la région ?
Je trouve que les femmes et les jeunes hélas, n’ont pas encore récolté les fruits de leur mobilisation pour l’instant et je souhaite sincèrement, qu’ils deviennent plus des acteurs de ce changement à venir. Les Révolutions ont été d’une certaine manière confisquées par les pouvoirs en place, des pouvoirs plus conservateurs. La jeunesse a fait les révolutions car interdite de dialogue et de futur, et malheureusement, les processus électoraux ont bénéficié aux mouvances conservatrices. Et c’est de là qu’est venu le discours selon lequel les « sociétés arabes ne seraient pas prêtes » !
La post modernité en berne ?Bon, certains pays tirent leur épingle du jeu, la Tunisie et son processus naissant est très encourageant, mais il faut faire attention, cela est encore extrêmement fragile, car la problématique sécuritaire et la paupérisation guettent les citoyens tunisiens. L’Est tunisien est aussi fragilisé par l’afflux massif des réfugiés libyens qui vont peser lourdement sur le tissu socio économique tunisien et une société moyenne en émergence et qui n’a pas toujours les moyens de faire face. Le mode de vie tunisien est ouvert et plus à même de s’ouvrir à la démocratisation, mais il y a à l’heure actuelle, beaucoup de pression et il y a un risque d’implosion.
Mais l’Islamisme en Tunisie, a considérablement ralenti le processus ?Ennahda a bien joué sa partition pour l’instant je trouve, il est clair que l’exemple égyptien a servi d’épouvantail pour la Tunisie. Ils ont fait profil bas en acceptant de faire ce gouvernement de coalition où ils ont joué un rôle. Mais les laïcs tunisiens ont aussi leur fragilité, j’ai beaucoup de respect et de d’admiration pour notre ami si BejiCaidEssebsi,que je connais depuis 35 ans. Mais j’espère qu’il réussira à fédérer car il y a cette espèce d’émiettement de la société. Mais je garde bon espoir.
Et les femmes ? Les évènements qui se sont passés en Tunisie et en Egypte ont porté un petit coup de froid pour les femmes même au Maroc ! Mais leurs droits sont reconnus ici, et c’est confirmé avec la première Constitution de juillet 2011 qui ne vise pas moins que la parité. On fait tout de même des progrès même sur le terrain, puisque maintenant, il y a une commission sur la parité ; et le signe le plus encourageant dans ce domaine, c’est que cela est pris en charge maintenant par le Ministère des finances qui publie la budgétisation de l’évolution du genre. Et c’est concret, car cela s’intègre dans la problématique du développement global. Evidemment, cela ne va pas aussi vite que nous le souhaitons, cela va en dents de scie et cela varie considérablement d’un secteur à l’autre, mais c’est une mesure concrète qui va faire la différence avec la commission genre qui va veiller au contrôle de la mise en œuvre.
La problématique de l’éducation ?Elle est toute aussi fondamentale, après ces révolutions le Maroc a mis sur pied également des enseignements, une politique d’alphabétisation, une formation des juges… Le plus difficile au fond, c’est de faire évoluer les mentalités.
La problématique tunisienne vous a beaucoup touchée ?Oui je suis tombée de très haut, je suis allée plusieurs fois en Tunisie et j’ai vu des femmes actives comme Emna Mnif, une femme remarquable et j’ai été très déçue de découvrir qu’il y avait un retard si fort chez les femmes rurales et l’analphabétisme. Evidemment, la communication de l’ancien président faisait que l’on ne voyait pas tout cela au début. Cela caractérise toutes nos sociétés, ce décalage. Mais cela reste pour nous un défi commun. Il y a beaucoup à faire pour les femmes du Maghreb pour avoir à la fois plus de liberté, de lisibilité. Au Maroc, on a un leadership qui y croit, sa Majesté en a fait un cheval de bataille. Même le parti islamiste ne peut aller trop loin, car sa Majesté veille sur ces questions de droits de l’Homme et des femmes en particulier.
Le leadership fait la différence pour les femmes ? Oui au Maroc, absolument. On a eu certes une petite régression sur le nombre des femmes Ministre mais depuis le dernier remaniement, on a beaucoup plus de femmes Ministres au gouvernement. Et on a de plus en plus de femmes dans le Parlement. Et ce qui est très encourageant, c’est que l’on a des femmes qui ne sont pas élues seulement sur la liste nationale, ou par les femmes. Elles sont élues par le suffrage universel et ont été en compétition avec des hommes. Quatre femmes l’ont remporté, c’est encourageant mais je crois que le temps et l’évolution resteront des facteurs fondamentaux et constitutifs de l’évolution à condition de rester mobilisé, de ne rien laisser passer et de combattre tous les conservatismes.
Le grand avantage de l’empowerment des femmes ? Eh bien oui, car c’est extrêmement emblématique de la démocratie. Mais il faut que cet élan vienne de nos sociétés, il ne faut pas qu’on nous coupe l’herbe sous les pieds. Les sociétés occidentales, et nos amis de là bas,je le leur dis, « attention, ne nous donnez pas le baiser de la mort , ne tuez pas notre légitimité » car elle doit venir du terrain et du travail remarquable des femmes sur le terrain dans tous les domaines. Elles dirigent des ONGS, elles militent pour le droit des femmes. Elles prennent la tête de cette légitimité que ces femmes veulent se voir reconnaitre et notre chance encore une fois,c’est que nous avons la rencontre de ces deux légitimités celle du travail du travail grassroot des femmes et celle du Roi, commandeur des croyants et descendants du prophète «il dit que les femmes ont les mêmes droits » !
Un Islam respectueux des droits de l’Homme,c’est ce qui a préservé le Maroc de l’hiver arabe ?Ce qui a préservé le MAROC , c’est la très grande anticipation. Toutes les réformes nécessaires avaient été anticipées, durant les années 90 on avait fait la réforme des droits de l’homme, l’INDH pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion, les grandes infrastructures pour donner un coup de pouce à l’économie et sortir les gens de la pauvreté et mettre l’économie au diapason. Une démocratisation où l’on a lâché du lest avec l’arrivée de sa Majesté le Roi Mohamed IV au pouvoir.
Autre sujet, le Tourisme au Maroc ?
L’après printemps arabe a eu unimpact sur le tourisme du pays,mais on a beaucoup moins souffert que d’autres pays. Et puis il y a eu la maladresse de la liste du Quai d’Orsay qui incluait sans raisons ni nuances le Maroc.Et l’otage français exécuté en Kabylie a fait le reste. Mais il y a tout de même des distinguos à faire. Au Maroc on a énormément de français installés chez nous et qui sont pas inquiétés. Oui la menace terroriste on doit la prendre au sérieux, mais on fait tout ce qu’il faut pour la contrecarrer. Mais il ne faut pas oublier la crise profonde en Europe et par conséquent les français ont moins de moyens et vont voyager en France.
Que dire aux femmes tunisiennes ?bravo et continuez. Je suis tout à fait confiante ;la Tunisie a tout le potentiel pour triompher de cette déstabilisation et je souhaite qu’elle triomphe de l’instabilité qui l’entoure.Il faudra que les acteurs politiques se mobilisent et se concertent. Je souhaite à Nidaa Tounes tout le succès possible !
pourquoi personne ne s’est jamais intéressé a ce que dit une aussi formidable que vous madame Assia. si seulement je pourrais vous rencontrer
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