Jenny Hypocrate son combat contre la Drépanocytose
Par Fériel Berraies Guigny
Jenny Hippocrate est une femme de cœur qui rêve d’un avenir meilleur pour les enfants, surtout ceux atteints par des maladies qui les vivent presque avec fatalité. Originaire de Sainte-Marie en Martinique, mère d’un petit garçon, Taylor, atteint de la drépanocytose, Jenny Hippocrate est l’auteur de plusieurs ouvrages, témoignant de la question. Elle a aussi fondé l’initiative Drépaction, semaine d’action culturelle autour de la drépanocytone et a remporté le prix de Femme actuelle pour son engagement.
UFFP s’est entretenue avec elle
Vous êtes une femme de cœur et vos combats sont multiples? dans votre culture la femme est Poteau Mitan mais plus encore vous démontrez qu’elle ne saurait être reléguée au simple statut d’épouse au foyer?
Effectivement, mes combats sont multiples, cependant, je ne veux pas trop me disperser, c’est la raison pour laquelle, depuis quelques années, je me consacre beaucoup plus à la lutte contre la drépanocytose, cette maladie ignorée, discriminée qui tue encore beaucoup de personnes et qui est injustement appelée maladie des noires. Il faut néanmoins reconnaitre que le combat contre la drépanocytose est bariolés, car on doit se battre, non seulement contre la maladie et ses différents aspects, mais aussi l’inertie, l’immobilisme des pouvoirs publics, la désinvolture de certains qui considèrent que cette maladie est un faux problème ajoutés à cela, la phallocratie, à ce sujet, j’en aurai beaucoup à dire.
En ce qui concerne la seconde question, je pense que les 2 époux ont chacun leur place dans le foyer, en ce qui me concerne, je ne suis pas féministe, loin de tomber dans le matriarcat, nous prenons toutes les décisions importantes à 2, mon époux et moi-même. Ceci dit, mon époux préfère rester dans l’ombre, c’est son choix, il travaille à mes côtés en sous-marin, mais il est là ! J’ai un caractère fort et d’après moi, c’est une qualité, non un défaut. C’était la parenthèse, cependant, beaucoup trop de femmes sont « effacées », n’ont pas leur mot à dire et subissent, il est temps que cela change, il ne faut pas que le mot « parité » reste juste un mot.
Quand est ce vous avez décidé d’être dévouée à la cause des autres?
Mon dévouement a pris racine à l’annonce diagnostique de la maladie, mon fils Taylor en est atteint. Je n’oublierai jamais ce vendredi matin, quand la sonnerie du téléphone étrangement a retenti plus fort que d’habitude, de cette voix qui m’annonçait « je suis désolée, votre fils est atteint de la forme la plus grave de la drépanocytose, rendez- vous au point bleu, 3eme étage de l’hôpital Robert Debré ». Pendant un court instant, ma vie s’était arrêtée, j’habite au 6 eme étage et je ne cache pas que l’idée de me jeter par la fenêtre ne m’a pas effleurée. Quelques temps plus tôt, prise par d’étranges pressentiments, j’avais fait des recherches sur cette pathologie et on m’avait affirmé que ces enfants n’atteignaient pas l’âge de 5 ans, donc, je venais de donner la vie à la « mort », il fallait que cela s’arrête très rapidement, mais quand je me suis approchée du berceau mon petit garçon m’offrait son plus beau sourire et cela ne m’a pas pris une seconde pour comprendre que le grand combat de ma vie commençait. A travers Taylor, le combat s’est élargi à tous les autres malades.
La souffrance, la maladie sont vos combats, parlez nous de vos actions ? la Dépaction ,drépanocytose cette maladie qui reste parfois vécue comme une fatalité?
Un jour quelqu’un que je ne citerai pas m’a dit « Sur tes frêles épaules, tu porteras le désespoir et la haine de l’humanité ». A l’époque, j’étais très jeune et je me suis dit que jamais, je ne pourrai porter tout ce poids sur mes épaules, j’étais hyper menue, voire maigrichonne et le monde est… le monde avec tout ce qu’il comporte, cependant, je ne connaissais pas encore l’adage qui dit que l’habit ne fait pas le moine ; Je ne sais pas si je porterai toutes les misères de la terre sur mon dos, mais Dieu, qu’est ce que j’en ai portées ! même si je suis lasse aujourd’hui, mais je ne suis pas encore lassée, ma vie est désormais la vie des autres, tant pis pour mes détracteurs, c’est comme ça et ça ne sera pas autrement, la souffrance des autres me fait peur, pas la mienne.
Mes actions s’articulent autour de celle de mon association, l’APIPD( association pour l’information et la prévention de la drépanocytose), comme son nom l’indique, toute mon équipe et moi-même nous nous battons contre cette saloperie et tout ce que j’ai mentionné plus haut.
Parlons de DREPACTION, cette semaine de solidarité autour de la drépanocytose et le concert au ZENITH, quelle galère ! il nous faut à chaque fois mendier pour avoir un peu de subsides afin de financer le concert, même si le producteur et les artistes restent des bénévoles, il y a tout le reste à financer, le Zénith nous est offert à un tarif préférentiel. La drépanocytose n’intéresse personne pourtant nous sommes tous concernés ! très souvent les porteurs sains s’ignorent porteurs et c’est à la venue d’un enfant malade dans la famille, qu’on le découvre. Non, cela n’arrive pas qu’aux autres, la drépanocytose c’est plus de 150 millions de personnes concernées à travers le monde, tout cela pour dire qu’il y a toujours un drépano tout près de nous.
Une fatalité pour certains, un combat pour d’autres, j’en suis l’exemple, mais il est vrai que beaucoup de malades et de familles se calfeutrent dans le déni, ce qui rend les choses plus difficiles pour les combattants de cette maladie qui ont besoin de la voix des malades pour faire écho au cri lancé, surtout contre nos responsables politiques.
Quelles attentes avez-vous par rapport à la société civile mais également les institutions et les gouvernants?
Je n’attends rien de nos gouvernants en tant qu’humains, je veux seulement qu’ils prennent leur responsabilité, la santé fait partie des priorités du gouvernement, on ne demande pas l’aumône mais un dû, pourquoi, y a-t-il des malades qui sont relégués au second voire au troisième rang ? la devise de la république est spoliée, souillée, « liberté, égalité fraternité » est une maxime galvaudée ! d’autant plus que la drépanocytose est la quatrième priorité de santé publique, ça beaucoup l’ignorent.
Quelles sont les actions en cours et futures? Quel message adresser à cette planète ethnique qu’UFFP rêve de laisser à ces enfants?
Les actions sont toujours les mêmes, nous avons des projets, par exemple, la création d’une fondation de la drépanocytose. Cela va être très difficile, mais encore une fois, mon équipe et moi-même sommes disposées à relever ce défi. Je ne suis pas un messager, je laisse parler les cœurs et je sais que même l’individu le plus mauvais a une part de bonté en lui, malgré tous les obstacles, c’est drôle, mais je crois en l’être humain. Donc, si tous nous nous mettons ensemble à marcher côte à côte et non pas face à face, au lieu d’être des messagers, nous pourrions être tous, « la solution » ! n’est-ce pas ?
UFFP rêve d’une planète éthique, mais qui a dit que les rêves ne deviennent jamais des réalités, pas moi en tout cas.
Aujourd’hui l’éthique est une solution, mais le combat est long et douloureux parfois solitaire, que voudriez vous dire à ceux ou celles qui voudraient s’y engager?
Eh, oui, le combat est solitaire et pourquoi ? parce que nous ne savons pas fédérer, ça c’est tout un travail à faire. Il y a beaucoup qui font des choses formidables dans leur coin que les autres l’ignorent, si toutes ces forces se réunissaient ensembles, ma foi, on pourrait déplacer les montagnes, ne rêvons pas, même si je ne suis pas défaitiste, à mon avis on n’est pas à l’aube d’une once de solidarité commune, quel gâchis !
En ce qui concerne l’engagement, il y a de la place pour tout le monde, d’ailleurs ce serait l’idéal que tout le monde s’y mette et surtout pas besoin de faire la course au succès, ni « au faire voir et valoir », car la drépanocytose, pendant cela a pris déjà un raccourci et gagne du terrain. Il faut la stopper et toutes les énergies et les forces vives doivent lui faire bloc. Cette maladie tue encore trop de personnes dans le monde. Pour le succès, il faut s’engager sur une autre voie, pas celle de la lutte contre cette cochonnerie.
Humanisme, partage, tolérance, des valeurs qu’il nous faut cultiver, pourtant difficiles à porter dans un monde très individualiste?
Individualiste, haineux, jaloux, méfiants, hypocrites, des mots que j’emploie qui ne devraient pas figurés dans le dictionnaire, j’ai honte en les prononçant, mais… Hippocrate ne rime pas avec hypocrite.