Fatma Bouvet de la Maisonneuve, est Franco Tunisienne . Elle est Médecin psychiatre et addictologue. Responsable de la consultation d’alcoologie pour femmes à l’hôpital Sainte Anne à Paris. Elle exerce également la psychiatrie en libéral. Conseillère au CESE en tant que personnalité associée, elle est administratrice du Club du 21e siècle.
Membre du Think Tank l’Observatoir( e) des futures. Elle a obtenu le Prix : Réussite au féminin, parmi neuf femmes au parcours d’excellence ( France Euro Méditerranée 2011)
Parmi ses publications :
Les femmes face à l’alcool, Résister et s’en sortir Ed Odile Jacob
Le Choix des femmes, Ed Odile Jacob
Ouvrages collectifs : Secrets de psy Ed Odile Jacob, Pouvoir(e)s Ed Eyrolles, Alcool et troubles mentaux , Elsevier-Masson, D’ailleurs et d’ici, Philippe Rey
Parents et enfants en souffrance : dyslexie, phobie scolaire, précocité, maladies somatiques , paru le 22 Octobre 14, Ed Odile Jacob.
UFFP l’a rencontrée pour vous suite à la sortie de son dernier ouvrage « Parents et enfants en souffrance » :
Fatma Bouvet de la Maisonneuve
Parlez-nous un peu de votre parcours :
Je suis médecin psychiatre et addictologue; j’ai fait mes études de médecine à la faculté de médecine de Tunis, jusqu’à ma deuxième année de psychiatrie, là je suis venue à Paris pour terminer ma spécialité et pour en me former à l’addictologie grâce à une diplôme universitaire. J’exerce aujourd’hui une double activité hospitalière ( je suis responsable d’une consultation d’alcoologie pour femmes à l’hôpital Sainte Anne à Paris ) et une activité libérale de psychiatre générale.
Votre intérêt est pour la psychologie de l’enfant pourquoi ?
Il faut d’abord préciser que je suis psychiatre pour adultes et que c’est d’abord le sort réservé aux mères d’enfants en souffrance qui m’a intéressé. je ne suis donc pas spécialisée dans les troubles de l’enfant. Puis en allant plus loin, j’ai vu les dégâts sur la famille entière et j’ai alors mené mon « enquête » avec les parents sur ce qui se passe lorsque leur enfant est en souffrance. Ce qui m’intéresse en général dans mon métier c’est le lien entre l’expression intime d’un problème et son expression sociale collective. Depuis de nombreuses années, nous entendons des critiques à l’encontre du corps soignant et du corps enseignant, elles sont exprimées par des parents, entre eux, ou avec nous psychiatres. Mais cela reste confiné dans un espace clos. Et nous avions l’impression que cette insatisfaction ne s’exprimait pas publiquement , que cela restait tabou. J’ai été chercher ce qui aurait pu attirer l’attention des responsables sur le plan collectif. Eh bien, ces critiques s’expriment bien à travers des études et des rapports que je cite dans mon livre , qui sont récurrents mais qui n’ont suscité aucune mesure probante. J’ai alors décidé de mettre des histoires derrières ces constats sociologiques pour dire : « regardez, là il y a un problème, il s’exprime à travers des chiffres, mais nous, soignants, rencontrons des femmes et des hommes qui incarnent ces chiffres et la souffrance est trop grande pour ne pas en tenir compte. » En effet, les premières préoccupations des parents sont la santé et la scolarité de leurs enfants.
Ce livre est nait d’un besoin et lequel ?
Ce livre devait au début n’être qu’un cri de colère des mères qui sont systématiquement accusées d’être à l’origine des troubles ou maladies graves de leurs enfants ( psychiques ou somatiques) comme le montrent les cas cités dans l’ouvrage. Elle subissaient une double peine : celle de voir leur enfant en souffrance et de partager sa douleur avec lui et celle d’être accusée d’y avoir contribué. Faut-il rappeler ici, qu’il existe en effet des mères pathologiques et des familles pathologiques, mais heureusement elles sont rares et la généralisation, comme porte de sortie, par ceux qui se trouvent souvent face à leurs propres échecs me semble dangereuse. Par la suite, en allant plus loin, je me suis rendue compte qu’il y avait plusieurs dimensions à ce problème : l’absence de réponse des institutions à travers le silence ou l’indifférence de certains de leurs professionnels. S’il y a négligence, les conséquences peuvent être dramatiques pour l’enfant comme pour les familles. Il y a même des situations de maltraitance, qui est relevée par l’OMS comme une question de santé publique pour les enfants dans le monde ( maltraitance psychique et physique ). Puis, je suis arrivée à la conclusion selon laquelle ces deux fameux métiers auxquels nous confions nos enfants au sens de les prêter en confiance, lorsqu’ils dérapent, peuvent engendrer des difficultés lourdes si ce n’est des drames. Il fallait donc parler de la nécessité de nous remettre en cause, informer les patients et les familles de leurs droits afin que nous exercions nos métiers avec plus d’humanité.
La souffrance de l’enfant induit forcément celle du parent, parlez-nous des étapes et pourquoi c’est si difficile ?
La première personne réceptacle de la souffrance de l’enfant est bien sûr le parent et cet échange est inévitable. Il arrive que la souffrance de l’enfant se manifeste de façon insidieuse et les parents ne s’en rendent pas compte. Ils s’en sentent coupables après d’ailleurs. Mais souvent des mères me disent qu’elles sentent que leur enfant souffre avant même qu’il l’exprime. Lorsque le mal être est exprimé, il y a la nécessité de consulter ce qui ne sera pas facile compte tenu des délais assez longs pour obtenir des RDV avec des spécialistes de l’enfance qui sont rares. Et je ne parle pas là que de troubles psychiques car mon livre parle aussi beaucoup de troubles somatiques et de l’absence de prise en considération de la dimension psychique dans la prise en charge des troubles somatiques. Ce qui est difficile c’est de faire entendre les souffrances de l’enfant et de la famille et d’obtenir des explications, d’établir un dialogue entre les soignants et la famille , et les soignants et les autres intervenant auprès de l’enfant comme les enseignants. C’est la nécessité d’une coordination que je prône. Elle existe déjà, mais elle n’est pas suffisante, en témoigne le nombre de familles en errance encore aujourd’hui.
Quelles études de cas ? Souffrance à l’école, coping de l’adolescence ?
Les cas son divers, ils passent de la dyslexie, jusqu’à la leucémie, en passant par le harcèlement moral. Je ne parle pas que d’adolescents, je parle également de bébés et d’enfants en bas âge. Je parle surtout de la façon dont les familles peuvent être traitées ou plutôt peuvent être mal traitées et je les informe des recours. Mais pour reprendre votre question sur le coping de l’adolescence, je ne suis pas spécialiste, et je me permettrai de vous répondre par cette transition : je sais qu’une des premières stratégies pour l’adolescent pour faire face est de chercher des informations pour résoudre le problème, la stratégie est la même pour la famille. Or c’est bien là que le bât blesse, ce sont les informations qui manquent.
Avez-vous des chiffres en France ?
Je vous citerai une étude édifiante que l’Unicef a rendue publique en septembre 14. Elle mentionne que plus du tiers des jeunes est en situation de souffrance psychologique, et cette proportion augmente avec l’âge, atteignant 43 % chez les plus de 15 ans. La prévalence des idées suicidaires, de la tentative de suicide et des conduites addictives chez les adolescents est elle aussi d’une ampleur inquiétante. http://www.unicef.fr/contenu/actualite-humanitaire-unicef/2014/09/23/adolescents-en-france-le-grand-malaise-22437#ixzz3OuM8CuuW
Selon une étude CSA de 2013, les adultes inquiets pour l’avenir de leurs enfants mettent le bien être de leurs enfants en tête de leurs préoccupations et craignent l’alcool, les drogues et les violences à l’école). Si bien qu’il sont 91% à penser qu’ils doivent de plus en plus faire face à ces difficultés; 69% se sentent dépassés et 90% pensent qu’un peu d’aide leur permettrait de sortir la tête de l’eau. Pourtant il se méfient des personnes sur lesquelles ils vont tomber. Par ailleurs, les différents rapports des défenseurs des droits et médiateurs de la République montrent le nombre croissant des réclamations des Français sur les questions du dialogue avec les institutions. Notamment le peu de dialogue avec les professionnels de santé. Le lien entre les deux , santé et école paraît évident, pourtant il a été difficile à établir au niveau de l’écriture c’est la raison pour laquelle je me limite ici à quelques chiffres évocateurs , l’éclairage se fait à la lecture du livre qui suit une logique bien précise et particulière.
Quelles sont les prises en charge ?
Je vais être assez concise sur cette question : les prise en charges doivent d’abord considérer l’enfant qu’il y a derrière le patient et derrière l’élève. Les prises en charge doivent se faire de façons coordonnées. Les enfants ont droit à la fois aux soins et à l’éducation et pour ce faire, les intervenant des deux métiers doivent être en lien afin d’agir de façon optimale pour l’enfant.
Comment amener les familles à en parler, beaucoup restent dans le silence ?
C’est bien tout le problème et sans même le savoir, mais je l’espérais tout de même, mon livre a fait parler de très nombreuses familles. Je reçois régulièrement des témoignages écrits ou par téléphone, bouleversants. Il faut que les familles connaissent leurs droits et expriment leur mécontentement lorsque la situation ne leur convient pas.
Dans les catégories vulnérables on retrouve beaucoup ce phénomène ?
Si ce que vous appelez catégories vulnérables, ce sont les familles en situation de précarité, bien sûr, la souffrance est plus lourde à la fois du fait de la difficulté d’accès aux soins et du fait des échecs scolaires. Un éducateur en témoigne très bien d’ailleurs dans l’ouvrage.
L’éducation des parents y est aussi pour quelque chose ?
L’éducation des parents est importante dans le sens où ils doivent savoir qu’ils ont des droits et qu’ils ont le droit de demander des informations. Les plus instruits savent plus que les autres hélas, se retrouver dans les méandres des institutions et des informations disponibles mais peu visibles. Les autres moins. Mais lorsqu’un enfant souffre, le désarroi psychique est le même quel que soit le niveau d’éducation des parents …
Exclusion, problèmes d’apprentissage tout ceci peut porter à la délinquance ?
Les facteurs de risques de la délinquance sont multiples. L’exclusion sociale en est un. Ce qui m’intéresse le plus est ce que deviennent les jeunes décrocheurs, dans quel état de santé sont-ils ? Quand vous savez que 71% d’entre eux sont inactifs et quand vous savez que la marginalisation encourage la survenue de troubles mentaux, et même de troubles somatiques. La précarité peut être à l’origine de nombreuses maladies somatiques. C’est cela qui me semble urgent de rechercher : pourquoi autant d’enfants quittent l’école ? ont-ils souffert et ne l’a-t-on pas vu ? Pourquoi ? Comment, vont-ils aujourd’hui, adultes ? Et s’ils veulent se remettre sur les rails comment les y aider pour qu’ils ne demeurent pas exclus de façons définitive. Vous faîtes mention aux problèmes d’apprentissage qui ont été bien compris et pris en compte dans certains pays sous la mention d’élèves à « besoins éducatifs particuliers » pour une école plus inclusive et ne laisser personne sur le bord du chemin.
Quel regard porte la société à ces enfants en souffrance et en réaction ?
La société ne réagit pas collectivement, hélas. Il y a des initiatives louables de ci de là, que je mentionna dans le lexique de mon livre accompagnées de quelques contacts . Mais ces actions localisées ne se coordonnent pas et rien ne se fait de façon massive au niveau national. Nous espérons que le projet d’un Conseil National pour l’Enfance se mette en place rapidement, ce serait un premier pas significatif pour se pencher collectivement sur la question.
Comment sensibiliser les institutions à cette problématique ?
Les institutions sont sensibilisées à ces questions : elles connaissent les chiffres connaissent les failles, mais ne parviennent pas à se remettre en question car cela signifierait dans un premier temps reconnaitre qu’elles ont échoué à quelques maillons de la chaine, et remettre à plat certaines pratiques. Ce qui n’est pas facile à faire accepter. Des témoignages, des réclamations, des mises en exergue d’exemple d’initiatives locales qui marchent sont des façons de les pousser à mieux prendre la mesure de la chose.
Que voudriez-vous dire à UFFP notre plateforme qui est pour la paix le durable,le mieux vivre ensemble ? aux mères filles et sœurs qui peuvent vivre dans une souffrance reniée ?
Je pense en effet que notre société fonctionne sur un mode patriarcal et que les femmes ont du mal à trouver leur place et qu’elle sont plus exposées aux difficultés que les hommes. J’en parle dans mon ouvrage : Le Choix des femmes (Ed Odile Jacob) j’y décris des situations bien précises et j’y présente des solutions pratiques. Le mettre mot reste : prendre la parole! Mais mon dernier ouvrage, celui dont on parle ici ne fait pas de différence entre hommes et femmes, garçons et filles. La souffrance et les répercussions sur les familles sont les mêmes. Les pères sont des piliers solides lorsque la famille est ébranlée, mais ils s’écroulent comme les mères à des moments difficiles du parcours du combattant. Les troubles dont souffre un enfant peuvent aussi être l’occasion de conflits voire de séparation entre les parents lorsqu’il n’y a pas suffisamment d’échanges où qu’il y a un malentendu . Ce que j’ai à dire c’est qu’il faut établir un dialogue pour quelque situation que ce soit sinon, on ne se comprend pas. Et si on ne comprend pas, on ne trouve pas de solution au problème.
Les événements actuels en France, ne risquent-ils pas aussi de raviver « d’autres souffrances » ? une communauté musulmane encore pointée du doigt et le champ libre à diverses récupérations ?
Ah vaste question ! Elle relève d’une réflexion politique et sociale stricte. Je ne pense pas qu’il y ait UNE communauté musulmane, je pense qu’il y a autant de façon d’avoir la foi que d’individus. Les musulmans ne sont pas « un bloc qui pense la même chose et agit de la même manière». Ce qui est certain c’est que les terroristes ne représentent en aucune manière une religion quelconque, leurs actes relèvent plus du banditisme que d’une idéologie spirituelle. Nous vivons une période extrêmement dure qui oscille entre le désir de communion et le rejet implicite de l’autre ou la méfiance. Je sens à travers mon vécu et celui de mes patients que nous vivons une période de transition. C’est étrange mais nous sommes comme en attente de quelque chose, en suspens, et les prises de positions sont très difficiles à exprimer. Mais je souhaiterais plus répondre d’une façons globale . Je pense que les politiques ont tort de ne pas écouter les jeunes, tous les jeunes. Ils tireraient de riches leçons sur ce qu’est notre pays et ce qu’il va devenir. Eux disent depuis des décennies que personne ne s’adresse à eux, qu’on ne les fait pas participer aux décisions citoyennes, qu’ils sont utilisés lors des campagnes électorales puis vite oubliés. C’est une des raisons du fort taux d’abstentionnisme des jeunes. Il est triste que l’on attende des actes tragiques comme ceux-là pour se pencher sur la jeunesse, sa réalité, mais aussi ses désirs et ses rêves. Ils sont disqualifiés par le « c’était mieux à notre époque ». On dit d’eux qu’ils sont mauvais en orthographe, qu’ils ne lisent pas, qu’ils sont devant leurs jeux vidéo, qu’ils n’ont pas de culture etc. On ne cherche pas à savoir quel est leur monde qui regorge de ressources mais que nous, adultes, ignorons et ne savons pas faire émerger et valoriser.