IBABA Rwanda c’est le projet de deux sœurs, Véronique et Pascale. L’une habite Paris et l’autre, New York. Mais ce n’est pas seulement leur histoire. C’est aussi l’histoire d’un village rwandais qui revit.
PHOTOS Olivier Weidemann
Entretien avec Véronique Gamard et UFFP :
Véronique Gamard
1 pourquoi le Rwanda? parlez nous de vous, vos envies, vos passions, les causes humanitaires qui vous parlent?
Pourquoi le Rwanda ? par hasard ! Tout a commencé avec le mariage de Pascale, ma sœur ainée et d’Eugene en 1998. Ce dernier, originaire du village de Rutongo au Rwanda, fait découvrir à Pascale, son pays et l’histoire des ateliers.
En 2011, lors d’un séjour à Rutongo, nous rencontrons d’anciennes brodeuses qui nous présentent des petits travaux de broderie faits avec les moyens du bord. Nous sommes impressionnées par leur dextérité et par le raffinement de leurs travaux.
les brodeuses en pleine action
Comme je suis créatrice et graphiste formée aux arts appliqués, je m’intéresse à leur savoir-faire et décide avec Pascale de me lancer dans un projet de soutien pour remettre en route les ateliers.
Le regain d’intérêt pour le « fait-main » et la broderie en particulier dans les tendances de la mode nous ont convaincues qu’il y avait quelque chose à faire, et que cela pouvait devenir un vrai projet d’entreprise social et non un projet solidaire comme un autre pour aider des femmes en Afrique. Au début il a été très clair que nous voulions dépasser le côté « bénévole pour aider un village », nos ambitions vont jusqu’à créer une vraie marque et un atelier de confection reconnu pour ses qualités. Même si cela s’inscrit dans un projet de solidarité, ce n’est pas notre motivation et je crois que c’est donner encore plus de valeur au travail des femmes de la coopérative que de les considérer pour leur qualité de réalisation. Nous voulons que les gens achètent nos produits ou travail en collaboration avec nous d’abord parce qu’ils trouvent ça beau, si ensuite il y a un caractère social, tant mieux, c ‘est la cerise sur le gâteau !
Pour ce qui est de nos passions et des causes humanitaires qui nous parlent et bien elles se regroupent toutes dans ce projet ! L’Afrique et la création sont des passions que nous partageons avec Pascale et Solange. Solange travaille plus sur le développement de la marque à l’international, après avoir travaillé plusieurs années pour des grandes entreprises françaises , elle avait envie de travailler pour un projet plus humain. Le coté humanitaire est évident dans notre démarche mais il n’en n’est pas le fil conducteur, dans le mot humanitaire je retiendrais le mot humain, c’est une belle aventure humaine ! On m’ a tout de suite dis quand je suis arrivée ici , que quand une femme gagne de l’argent elle donne à manger à toute sa famille et ici les familles sont grandes ! alors qu’un homme va fêter son salaire au bar le soir même!
Alors donner du travail a des femmes c’est une belle cause !
2 Parlez nous d’IBABA Rwanda?
IBABA Rwanda, c’est le projet de deux sœurs, Véronique (moi même) et Pascale, et de notre cousine, Solange. Nous avons remis sur pied un atelier de broderie artisanale à Rutongo au Rwanda. Les brodeuses d’exception de cet atelier avaient tragiquement cessé leur activité à la suite du génocide de 1994. De là, naît en 2012 la coopérative CORUM regroupant vingt brodeuses issues pour la plupart de l’ancien atelier de Rutongo. Peu de temps après, nous créons la marque IBABA RWANDA.
Aujourd’hui vingt brodeuses travaillent à temps plein dans l’atelier à Rutongo sur des collections d’accessoires de mode et de décoration, dessinées par Véronique.
Tous les articles sont entièrement réalisés à la main, du premier point de broderie à la dernière couture. Les broderies sont réalisées avec du lin de Belgique d’excellente facture.
Les produits IBABA sont uniques, ils demandent plusieurs jours de travail et une habileté exceptionnelle.
La production IBABA est une production d’artisanat haut de gamme éthique et solidaire.
IBABA c’est une histoire de famille, un projet de femmes, qui soutient l’initiative et le développement économique par le travail des femmes en Afrique.
Notre objectif est de construire un modèle d’entreprise solidaire qui s’appuie sur le savoir-faire existant des brodeuses.
Nous travaillons ensemble avec la coopérative CORUM pour redonner au village de Rutongo son autonomie économique et développer la transmission du savoir-faire de la broderie. La construction de notre projet veille à développer l’autonomie des brodeuses et permet à celles-ci de s’organiser et de prendre des responsabilités au sein de leur coopérative.
3 Votre projet est aujourd’hui là grâce aux contributions bénévoles, qu’avez vous envie de dire à ces gens qui vous ont soutenue?
Nous avons effectivement fait appel a un moment de notre développement a des contributions par le biais du système de crowdfunding (Kisskissbankbank). Cette expérience a eu double effet c’est a dire qu’ elle a soutenu l’atelier à un moment où nous avions besoin d’investir pour produire et pouvoir intégrer plus de brodeuses dans la coopérative; puis il a fait beaucoup parler du projet aussi. Nous fonctionnons maintenant de façon autonome, l’atelier tourne et se finance grâce aux ventes et commandes. Ce système de financement est beaucoup plus intéressant, on a l’impression d’être proche des gens qui ont participé et eux aussi se sentent impliqués de façon personnelle.
4 Quelles sont les difficultés au quotidien? pour les femmes rwandaises qu’est ce que cela signifie faire partie de ce projet?
C’est très simple, depuis le début nous expliquons que ce projet c’est un travail que nous faisons ensemble en collaboration. Nous ne nous plaçons ni comme employeur ni comme personne faisant de la charité. Même si c’est un projet a caractère social, nous n’oublions pas que nous avons des impératifs de ventes et donc de qualité envers les clients.
Le fait d’avoir monté cette coopérative de femmes les a obligées à réfléchir à ce que c’était un travail de groupe. la solidarité entre elles les rend plus fortes.
Elles n’avaient pour la plupart été que des exécutantes, elles sont maintenant face à des responsabilités comme dans une entreprise (qualité, délais , etc.… ) et cela change tout dans leur attitude. Je peux prendre l’exemple de Xaverine qui est la présidente de la coopérative et qui au début était très timide, les femmes l’ont élue présidente parce que c’est la seule qui parlait à peu près français! Après un an j’ai vu son caractère s’affirmer, elle est devenue très entrepreneuse et sait prendre la parole au sein du groupe quand il faut. je l’entend remonter les bretelles du groupe quand il y a des tensions! Ça me fait très plaisir! Elles ont toutes maintenant une meilleur estime d’elles mêmes, et cela se ressent dans leur travail. Au début elles venaient me voir avec leurs broderies en attendant mon jugement, ce qui était plutôt désagréable pour moi alors que maintenant elles ont confiance en elles et quand nous commençons des broderies ensemble nous discutons de la façon dont nous allons les faire, et puis chacune apporte un avis pour que le résultat soit au mieux, c’est très enrichissant.
Pour revenir sur les difficultés au quotidien , je dirais que la seule c’est que je ne parle pas Kinyarwanda! J’ai essayé d’apprendre mais c’est tellement compliqué comme langue! Alors on se débrouille et puis il y a toujours une personne pour traduire! Mais elles ont fait école chez les sœurs belges alors elles comprennent en général ce que je leur dis!
5 la reconstruction par le travail, la résiliation aussi?
Reconstruction par le travail ou tout simplement reconnaissance. Hier je discutais avec un ami Rwandais et l’on évoquait la commémoration du Génocide l’année prochaine en 2014( Ce sera les 20 ans du Génocide). Et bien , il me disait que les femmes étaient sans doute celles qui avaient le plus souffert pendant le génocide , pas que l’on puisse donner un dégrée de souffrance, mais elles sont restées après le massacre, veuves ou endeuillées, victimes pour la plupart de viols, et elles n’ont jamais été suivies psychologiquement après la guerre. Elles doivent vivre avec. Alors au Rwanda le président donne beaucoup d’importance aux femmes, c’est un des pays au monde où il y a le plus de femmes au gouvernement. Qu’elles soient députés ou brodeuses, elles ont besoin de travailler et d’être reconnues pour leurs qualités. c’est leur thérapie.
Nous collaborons depuis a peu près 1 an avec Indego Africa qui nous met en relation avec des créateurs américains pour travailler sur des collaborations. C’est un travail très intéressant pour les femmes de l’atelier car cela donne une autre dimension à leur travail, elles savent maintenant que leurs broderies sont vues en Europe et aux US, c’est quelques choses pour elles! de la reconnaissance! Elles sont fières.
7 vos actuelles frustrations?
Les principales frustration de l’équipe c’est que tout va trop lentement! Mais je ne parle pas seulement de la broderie a la main! Aux US et en Angleterre, cela fait des années que des marques reconnues travaillent avec l’Afrique sur des partenariats. Nicole Miller, Dannijo, Anthropology, J.Crew, Stella Mc Cartney et Vivianne Westwood entre autre; en France c’est plus difficile, mais ça viendra on travaille sur le sujet.
8 qu’Avez vous envie de dire aux femmes entrepreneuses de l’Afrique du Monde arabe du sud qui vivent dans des zones de conflits et ou post conflits pour les encourager?
Je n’ai pas grand chose a dire, je n’ai jamais vécu de situation de guerre et de conflit ce serait assez déplacé de ma part de vouloir donner un conseil. Je reste très respectueuse des femmes entrepreneuses en général, alors quand c’est dans des zones de conflits où il faut tout reprendre à zéro je suis admirative! Mon seul modeste conseil serait d’essayer de travailler en groupe, on est plus fort ensemble.
9 le Congo vit un véritable génocide très peu médiatisé à l’instar du Rwanda, qu’avez vous envie de dire? quel est votre regard sur ce qui se passe en Syrie, le printemps arabe, et l’impact sur les femmes et le enfants? Le génocide au Congo est une catastrophe qui dure depuis longtemps et que personne (les médias ou les responsables politiques) ne veulent pointer du doigt, j’imagine qu’il n’y a pas assez d’intérêt financier…
Je ne voudrais pas commencer un débat politique mais le printemps arabe a été un début d’espoir qui c’est finalement retourné contre les femmes. Le peu qu’elles avaient acquis sous les derniers régimes en 10 ans elles sont en train de le perdre en 1 an de temps. Mais je crois aussi que la révolution se fera par les femmes alors il y a de l’espoir.
10 Que pensez vous du projet UFFP? Womanity pour vous cela signifie quoi? UFFP et Womanity représentent notre projet et nos ambitions. Un mélange de culture mais toutes avec un objectif équivalent! Un beau projet!
11 seriez vous tentée d’exporter dans le nord par le biais de salons pros ethniques, ou même de faire partie de notre caravane? Nous explorons les pistes de salons pour l’année 2014, nous ne savons pas encore lequel sera le mieux adapté pour notre marque Ibaba Rwanda.
12 où pouvons nous acheter vos produits? .
Pour le moment vous trouverez nos produits sur le site de Indego Africa qui nous soutient aux US. En France nous prévoyons une vente privée a Paris début décembre, et l’ouverture de notre site de vente en ligne très prochainement (www.ibabarwanda.com); Au Rwanda nous sommes dans la boutique de l’Hôtel des Mille Collines pour qui nous sommes en train de refaire tous les coussins et dessus de lits (120 chambres!), autrement vous êtes la bienvenue dans notre atelier a Rutongo!
Très beau projet! et les objets produits par ces femmes sont magnifiques!
Superbe initiative…quel beau projet…alors longue vie à Ibabar wanda, une belle énergie à vous 3 et à toutes les brodeuses!!!!