Le droit des enfants à la liberté d’exister en paix et bonne santé est largement négligé par les autorités en Afrique. On dit pourtant dans bien des discours politiques, qu’ils sont le lendemain de ces Nations. Qu’ils sont les dirigeants de demain, mais cela se limite le plus souvent, à de la rhétorique. Après avoir signé la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant et la Charte africaine sur les droits et la protection des enfants, les chefs d’Etats africains continuent d’occulter ces belles promesses juridiques. Pourtant en temps de conflits, ils n’hésitent pas à y faire référence, se vantant même d’avoir placé les besoins et les droits des enfants au cœur de chaque programme de développement.
Par Fériel Berraies Guigny
Dans les faits, qu’en est-il, s’agissant notamment de l’épineux problème des enfants soldats qui continuent d’être embrigadés ?
Fériel Berraies Guigny a rencontré Jacques Hintzy, ancien Président d’Unicef France, pour parler de la thématique sur le désembrigadement des enfants soldats.
Entretien avec Jacques Hintzy:
1) S’agissant des enfants soldats d’Afrique, pourriez-vous nous dire quels sont les programmes en cours, les projets futurs, les enjeux mais également les limites ? Notre souci au départ, était de faire prendre conscience aux français de ce que signifiait le combat des enfants soldats. Nous avons travaillé sérieusement à cet effet, en terme d’information et nous avons lancé une pétition qui a été signée par près de 250 000 français. Par ailleurs, cette sensibilisation a été complétée par un voyage sur le terrain avec Emmanuelle Béart en Sierra Léone où l’on s’était notamment penché sur le problème des filles soldats. Car on ne pense jamais que les filles puissent être aussi impliquées dans ce fléau. Nous avons par la suite, fait une émission sur ARTE sur les enfants au Libéria. Nous avons entamé un gros effort de sensibilisation. En même temps, qu’un effort de financement, puisque nous avons financé une quinzaine de programmes pour près de 10 millions d’euros dans des programmes de démobilisation des enfants soldats. A côté de cela, nous avons contribué à une réflexion internationale, sur la nécessité de réintégrer ces jeunes dans une vie beaucoup plus normale. Avec Unicef international et le Ministère des Affaires Etrangères français, nous avions organisé une Conférence à Paris en 2007, en vue de fixer de bonnes pratiques en matière de démobilisation des enfants soldats. Cette initiative s’inscrivait dans le désir de pousser les gouvernements à prendre des initiatives dans ce domaine là. En conséquence, nous avons eu la signature des engagements de Paris par 56 pays, aujourd’hui ils sont plus de soixante. Nous avons inscrit par ce fait, quelques éléments qui nous paraissaient capitaux pour l’avenir, entre autre, la prise en compte d’une réintégration beaucoup plus soutenue des enfants soldats, surtout en matière de formation. Car il faut aussi leur donner les moyens économiques de s’en sortir en dehors des armes. Nous voulions au final un engagement des Etats pour dégager les moyens nécessaires. Car la prise en charge d’un enfant soldat est assez lourde, il faut en moyenne 1500 dollars par enfant. Et cela s’inscrit uniquement dans une première phase, car la démobilisation d’un enfant soldat implique une durée continue de deux à trois ans.
2/ Quel sont les risques de récidive ? le risque est présent quand le conflit n’est pas terminé, ou qu’il perdure dans les pays limitrophes, que l’enfant n’a pas été pris en charge correctement sur un plan psychologique ou que sa formation a été insuffisante.
3) Comment les Communautés réagissent elles par rapport aux enfants démobilisés ?
Nous avons aussi tout un programme de sensibilisation des Communes dans le cadre de la démobilisation des enfants soldats. Nous les préparons à l’accueil du retour des enfants, en recourrant d’ailleurs à un certain nombre de pratiques coutumières, comme des séances de « désenvoûtement » par exemple, je ne sais pas si le terme est exact.
4) Qu’escompter à un an de la fameuse conférence de Paris tenue en 2007 sur les enfants Soldats ?Il y a eu des avancées mais également encore quelques limites.L’engagement politique est là, mais il reste insuffisant, par ailleurs c’est aussi la même constatation s’agissant des moyens. Les avancées sont réelles mais elles restent fragiles. Au Népal il y a eu une identification et un enregistrement des enfants dans les centres de cantonnement et un développement de réseaux communautaires pour suivre les enfants qui ont quitté les cantonnements de leur propre chef. Cependant on constate aussi, que malgré les négociations politiques, Unicef n’a pas eu accès aux Cantonnements d’enfants en vue de dialoguer avec eux.
En Côte d’Ivoire, il y a eu la cessation de tout recrutement d’enfants soldats, 1273 enfants ont été relâchés pour entrer dans des programmes de réinsertion. C’est une avancée.
Par contre, sur le plan politique cela reste insuffisant car dans diverses situations l’engagement politique du gouvernement ou du groupe armé est de façade. Au Burundi nous avons eu un blocage des négociations sur la démobilisation des enfants soldats quand on a abordé la question de l’immunité et de la détention des militants du FNL et donc le recrutement des enfants continue. S’agissant des moyens on n’a pas eu le sentiment que les grands bailleurs de fonds internationaux aient augmenté leur contribution pour le désembrigadement des enfants, depuis la Conférence de Paris.
Par contre, la constitution d’un Comité de Suivi des engagements de Paris, en coprésidence de la France avec Rama Yade et la représentante spéciale de l’Onu s’agissant des enfants soldats au Sein des Nations Unies, est une grande avancée en soi. Dorénavant, deux fois l’an à New York se réuniront des responsables diplomatiques de haut niveau, en marge de l’Assemblée Générale des Nations Unies, pour évaluer les avancées des Accords de Paris. On suivra les nouveaux pays signataires, les financements mis en place et d’une façon concrète ce qui se passe sur le terrain
5) La France a dépêché deux chargés de Coopération, dont un assigné à la région des Grands Lacs ? C’est exact, ils auront pour tâche de nous fournir une aide technique, ils oeuvreront sur le terrain, ils appuieront des gouvernements, ils veilleront à la mise en place des programmes de démobilisation qui ont été financés.
6) Le chanteur Corneille, s’était également engagé à l’une de vos campagnes en 2006? Le chanteur Corneille est devenu Ambassadeur pour la France et pour le Canada. Il nous appuie dans tous les témoignages que nous pouvons faire s’agissant des enfants. Ce qui importe, c’est d’avoir une voix qui puisse se faire entendre par les jeunes. Par ailleurs, son histoire personnelle touche également le drame du Rwanda.
7) Ismaël Beah l’ex enfant soldat du Sierra Leone est devenu porte parole du combat aussi ? S’agissant de la responsabilité des enfants soldats, qu’en pensez-vous ? Il a été nommé Ambassadeur Unicef International, il est particulièrement le porte-parole s’agissant des enfants soldats. Il vient d’ailleurs de publier un roman autobiographique « le Chemin parcouru » aux Etats-Unis qui a rencontré un très vif succès, près de 500 000 exemplaires aux Etats-Unis, il vient de paraître en France.
S’agissant de la responsabilité des enfants soldats et des enfants qui auraient commis des atrocités, nous considérons qu’ils sont avant tout victimes car ils sont pour la plupart, embrigadés contre leur gré et sous l’emprise de la drogue. Il n’y a pas de bourreaux ici, c’est très clair pour nous, ils ne devraient pas être en prison.
8) Un dernier message ? Pour nous, à l’Unicef, il est important de préserver le capital qu’est l’enfant. Il faut qu’il puisse grandir et s’épanouir avec le maximum d’atouts et tout doit être fait en vue de protéger et de garantir son développement physique et psychologique. Pour cela, il faut que l’on parvienne à développer des solutions simples par ailleurs, en vue de permettre aux populations de se prendre en charge par elles mêmes.