José Kagabo, historien franco rwandais est directeur de recherches à l’Ecoles des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris (EHESS). Spécialisé dans les études africaines, on le connait surtout pour ses écrits sur le génocide au Rwanda et l’Islam Swahili en Afrique.
Il s »est intéressé en effet de très prés à l’ histoire sociale et politique du Rwanda : l’étude des phénomènes religieux, le génocide, le Procès au Tribunal pénal international pour le Rwanda et dans les juridictions rwandaises, les pratiques mémorielles et le thème de la réconciliation nationale. Et enfin, les activités et vie politiques de l’après-génocide.
Rwanda Gahanga
Mais c’est avant tout, un homme de cœur et de terrain qui n’a pas hésité à prêter main forte au Secours populaire à chaque fois qu’il a été nécessaire. Idéaliste et adepte du mieux vivre ensemble, nous l’avons rencontré pour évoquer avec lui les défis qui guettent aujourd’hui, l’acte de solidarité, tant dans sa valeur intrinsèque que dans les nouveaux défis qui se posent à elle. Car la solidarité, l’empathie et le partage sont en perte de vitesse face à la sinistrose ambiante. Pourtant José Kagabo est un de ses fervents défenseurs, convaincu que le lien ne doit pas être rompu. Il a commencé cela sur sa terre natale, en aidant entre autre une Association locale des « veuves » rassemblant des femmes qui ont du se reconstruire après le drame du génocide. Et dans cette lignée, il continue l’effort en France. Ayant participé au dernier colloque sur la thématique de « la solidarité en question » dans les locaux du Monde diplomatique, il a été également en présence de Julien Lauprêtre, confronté aux propos de l’anthropologue Bernard Hours, qui a remis en cause les valeurs intrinsèques du travail des ONGS. Arguant qu’elles étaient avant tout orientées dans une solidarité internationale « calculée » En effet, pour Bernard Hours, cela se résumerait à un simulacre de charité mercantile, non indépendant car très politisé. Ainsi la solidarité internationale s’orienterait allégrement vers une culture de l’entreprise forcée sous couvert d’humanitaire. UFFP s’est entretenue avec José Kagabo pour parler des orientations de l’entreprise humanitaire en question.
Activités au sein du secours populaire au Rwanda
Entretien :
Vous avez participé au Colloque du monde diplomatique sur la thématique de « la solidarité internationale en question » ? Dans l’espace médiatique, le Monde diplomatique fait partie des rares médias à s’intéresser à cette thématique et je leur voue une sympathie particulière. Pour revenir au débat, je dirai qu’il y a une distinction à faire entre l’article de l’anthropologue Bernard Hours paru dans le numéro du mois d’avril dernier du Monde diplomatique et le discours qu’il a tenu lors de la conférence.
Il y a un décalage bien que cela soit le même homme. Le propos écrit est discutable certes, mais le propos oral ne l’est pas car cela relève du non rationnel. Bernard Hours a assené des vérités avec une certaine brutalité, par moments, j’avais envie de l’interrompre pour lui dire « attendez c’est une pensée infantile » !
Quand on parle de solidarité internationale on pense à quoi? Aux belles promesses, on gave les populations de jeux et jouets alors qu’elles sont victimes de catastrophes ou de grands conflits provoqués par les Etats ? Oui c’est l’analyse galvaudée que l’on entend souvent et Bernard Hours a bel et bien affirmé qu’il était temps de faire « des révolutions » pour les populations victimes afin de changer l’ordre des choses. Mais bien sûr, cela reste une analyse simpliste. Mais des propos comme ceux ci sont assez décalés par rapport à la réalité de la solidarité internationale.
Alors quelle lecture proposez-vous ? Parler de solidarité internationale ne signifie pas pour autant parler de situations d’urgence. Le Secours populaire français, fait aussi dans le local, il intervient dans les quartiers défavorisés avec des antennes de bénévoles et des comités locaux, des fédérations départementales et tout cela est la mise en mouvement de la solidarité. Cela ne se réduit pas au simple colmatage des situations conflictuelles des Etats. Cela serait vraiment réducteur !
Vous pensez tout de même qu’il faut des « révolutions » pour changer la donne ? je suis tout à fait d’accord que l’on fasse des révolutions pour tenter de changer la misère du Monde. Ce qu’il faut se poser par contre comme question, c’est quel type de révolution il faut faire pour tenter d’inverser la donne. On peut toujours rêver d’une révolution mais il faut se donner les moyens pour arriver aux résultats escomptés. Et rêver d’une révolution, n’interdit aucunement de mener des actions de solidarité.
Quel est donc le devoir de l’autre face aux tragédies ? C’est avant tout en tant qu’humain que nous devons marquer notre solidarité. Nous ne sommes pas une solidarité de façade au Secours Populaire, les beaux discours on n’en fait pas. On est plus dans l’action dans la durée !
Le Secours populaire est beaucoup intervenu avec les enfants orphelins du génocide du Rwanda ? Oui c’est une action qui relève d’un rêve sensé et réel ! C’est la force de la vraie solidarité, car on ne veut pas être réduits. On propose des initiatives qui amènent des faits susceptibles de modifier des trajectoires faussées.
En sommes vous êtes le défenseur de cette solidarité, peu importe les sceptiques ? Oui absolument. Julien Lauprêtre Président du Secours populaire, se désole parfois quand on lui dit que ce qui est fait est une goutte dans l’océan. Cependant, une goutte en plusieurs cela fait un étang, puis une rivière et ensuite un océan. Construire dans la durée prend du temps.
On peut créer un Océan de solidarité ? Oui nous ne le pouvons, il suffit d’y croire et d’agir qu’importe ses moyens ! La solidarité est une question d’échelle. Je reviens toujours à la catastrophe que je connais personnellement bien : le génocide des tutsis. Cela est très douloureux pour moi encore aujourd’hui, même si je ne suis pas sur place, car cela touche ma propre famille. J’ai une gamine, ma fille à qui j’ai essayé de tout cacher. J’avais offert à son 3e anniversaire un poste radio. Une nuit, je la trouve en train de pleurer dans le couloir et je lui demande pourquoi elle pleure elle me répond « tu comprends papa, il y a des mots que je ne pourrais désormais jamais prononcer comme ma tante, mon grand-père » c’est douloureux pour moi de voir ma fille dans cet état.
Il y a eu des missions du Secours Populaire qui vont dans la région ? oui il y a trois missions, une dans l’Est du Congo où sévit le choléra, l’autre qui tente d’aller en Tanzanie là où il y a un immense camp de réfugiés et une autre où l’on tentait d’aller au Rwanda mais sans savoir comment. Alors à l’époque on m’a demandé si je voulais bien accompagner la mission. J’ai vu la manière dont la solidarité est témoignée par le Secours Populaire envers les tous petits. Des êtres insignifiants pour d’autres ! Parmi ces enfants, il y a beaucoup d’enfants qui ont les bras sectionnés à la machette.
Donc on fait des choses au Secours populaires que les grosses machines humanitaires ne voient pas ? Les grosses machines ne voient pas, elles sont dans l’urgence. Et c’est justement, ces grosses machines qui causent le débat politique. Le Secours populaire a donc mis en œuvre un programme d’accompagnement de ces gamins pendant plusieurs années. On improvise des recompositions familiales.
Des gamins qui élèvent des gamins ? Oui des mamans de huit ans qui prennent l’autorité et qui deviennent mère de familles nombreuses d’orphelins. Ce type de solidarité justement interpelle et nous force à forger des stratégies d’intervention improvisées. Il n’y a pas de théorie ou de logique, car à chaque situation spécifique on doit faire face et trouver une solution au jour le jour au cas par cas et transposer cette forme de solidarité qui passe inaperçu et à petite échelle.
Mais à l’échelle nationale qu’avez-vous fait ? Il a fallu un certain temps pour déployer tout un programme d’aide aux rescapés à travers notamment d’un fonds d’aide aux enfants rescapés. C’est le FAC, voilà comment s’est mis en place un mécanisme global d’aide matérielle. Mais qu’en est-il des autres aspects du drame (psychologique, sociologique) sauf que pour le Rwanda, cette solidarité fut cruciale. Aujourd’hui, je persiste et signe et je dis que malgré les limites, cette solidarité est nécessaire !
Cependant les grandes ONGS ne sont pas si indépendantes, certaines sont dépendantes de la politique étrangère ? Oui il ne faut pas être naïf pour autant, on peut aussi faire face à pas mal de blocages idéologiques voire culturels dans nos actions. C’est vrai que par exemple si on a affaire au Monde arabo-musulman, on n’a pas les mêmes mécanismes de solidarité. Il faut se dire que le monde arabo-musulman est vu par beaucoup comme étant politiquement, culturellement et économiquement l’ennemi du Monde occidental. Il y a moins de promptitude à soutenir des communautés qui viennent de la bas !
On peut aussi instrumentaliser le solidaire ? Oui parfaitement le cas de l’Irak est instructif, c’est un cas d’école même : faire la guerre à un assassin qui brime sa population et qui a des armes de destruction massive. On connait tous l’issue de cette histoire !
Colin Powell qui déclare avoir vu les armes chimiques et qui ensuite se dédie, c’est une mise en scène qui a été rendue possible car l’on agitait un épouvantail culturel répugnant contre les arabes. La solidarité peut être mise en ballotage par des calculs géostratégiques ou des conflits historiques et culturels. C’est plus facile de faire passer le message selon lequel la France va au Mali pour libérer les maliens des djihadistes islamiques. L’entreprise guerrière a besoin de ce type de propagande pour se faire accepter !
Quand Bernard Hours parle de solidarité manipulée ? Et bien c’est qu’il est conscient de tout cela. On a des outils d’analyse mais de grâce qu’on n’enferme pas toutes les formes de solidarité mondiale.
La Bibliographie de José Kagabo
Ouvrage
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1988, L’islam et les ‘Swahili’ au Rwanda, Paris, Éd. de l’EHESS, 274 p. (Recherches d’histoire et de sciences sociales, 32).
Articles et contributions
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2008, “Regards croisés sur une diaspora éclatée. Les Indiens en Afrique orientale et centre-orientale”, Lusotopie, Bordeaux, vol.15, n°1 :121-124. Résumé
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2007, Préface au livre de J. Chatin, Paysage après le génocide. Une justice est-elle possible au Rwanda ?, Paris, Le Temps des Cerises.
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2004, “Idées reçues et question de fonds”, Postface in Les Cahiers du journalisme, n° hors série ‘Les entretiens de l’information. Quelle place pour l’Afrique et le Madagascar ?’, avril.
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2003, “Langues, religions et cultures. Enjeux et débats”, Perspectives Sud. Bibliothèque des Afriques d’aujourd’hui, Paris, CEAf, Adpf, Ministère des Affaires étrangères (+ Cd-rom).
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2000, “A l’ombre des ethnies. Essai d’interprétation de la crise des Grands Lacs” inLimes, pp. 115-132 / Paris, Éd. Gallimard.
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1999, “Pas de langue pour l’hébétude” in Travail de mémoire 1914-1998 : une nécessité dans un siècle de violence, pp. 71-78 / J.P. Bacot et Ch. Coq (dir.), Paris, Autrement (Mémoires, n°54).
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1997, “Ilm wa talîm : savoirs et enseignement islamiques en Afrique de l’Est” inMadrasa : la transmission du savoir dans le monde musulman, pp. 267-276 / M.Gaborieau et N. Grandin (dir.), Paris, Autrement. (Arguments).
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1995, “Les réfugiés : de l’exil au retour armé”, pp. 63-90 et “Après le génocide. Notes de voyage”, pp. 102-125, Les Temps modernes, Paris, juillet-août, n°583.
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1991, “Réseaux d’ulama ‘swahili’ et lien de parenté. Une piste de recherche”, in Les Swahili entre Afrique et Arabie, pp. 59-72 / F. Leguennec-Coppens et P. Caplan (dir.), Paris, Nairobi, Éd. Karthala, Credu. (Homme et société).
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1989, “La culture swahili est-elle créatrice d’ethnie en Afrique centrale”, in Les ethnies ont une histoire, pp. 203-206 / J.P. Chrétien et G. Prunier (dir.), Paris, Éd. Karthala, ACCT (Homme et société).
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1988, “L’islam en Afrique orientale. Notes de recherche”, Cahiers d’études africaines, Paris, n°107-108(3-4) :411-417.