Par Fériel Berraies Guigny.
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Altermondialiste convaincu, Gustavo Massiah est né d’un père italien et d’une Mère juive de Turquie, très tôt il s’éprend du Monde arabe et de l’Afrique du Nord, Ses combats en tout cas, vont l’initier très tôt aux différentes problématiques des pays du Sud. Ingénieur économiste de formation, Gustavo Massiah est consultant. Il a fait partie de la direction des études de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts – section architecture en 1967 et 1968, il a participé à la création de l’Ecole d’Architecture de Paris-La Villette, UPA6 ; il y a enseigné pendant quarante ans. Très impliqué dans les ONG de solidarité internationale et de droits humains et dans le mouvement altermondialiste, Gus Massiah a été président du CRID (Centre de recherche et d’information sur le développement, collectif d’une cinquantaine d’ONG), membre fondateur du CEDETIM (Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale), de l’AITEC (Association internationale de techniciens, experts et chercheurs) et du réseau IPAM (Initiatives pour un autre monde). Il est membre fondateur et membre du Conseil scientifique d’ATTAC (dont il a été vice-président de 2001 à 2006) et du Conseil International du Forum Social Mondial. Il a publié de nombreux écrits, articles et contributions sur les thématiques du développement, des rapports Nord/Sud, de la solidarité internationale, des droits économiques, sociaux et culturels…
Nous nous nous sommes entretenus avec lui aprés la tenue du Forum Social Mondial qui se tiendra en Tunisie, ce mois de mars 2013. Nous avons également évoqué avec lui, les profonds remous qui secouent le Monde arabe depuis le printemps arabe, devenu hiver islamiste.
Gustavo Massiah photo DR
Entretien :
1) L’Altermondialisme une profession de foi ? Oui c’est le résultat d’un parcours et de toute une vie. Si l’on essaye de décrypter ce mouvement, on peut dire que la mondialisation a eu plusieurs phases, et dans chaque phase il y a une logique dominante, et dans chaque phase il y a une logique qui remet en cause le courant dominant et c’est la logique anti systémique. C’est la relation entre les deux qui fait l’histoire. C’est dans cette dernière phase qui a commencé dans les années 80 et que l’on appelle « la financiarisation » que nait le mouvement anti systémique « que l’on nomme le mouvement altermondialiste ». Ce mouvement commence avec l’héritage des anciens mouvements dont ceux relatifs aux mouvements pour la décolonisation, mouvements des luttes sociales, les luttes ouvrières et paysannes. Les mouvements pour la démocratie et vers les années 1965/73. Tous ces mouvements, remettent en cause les systèmes d’oppression et d’exploitation.
2) Quand a donc commencé l’Altermondialisme ? Ce mouvement commence avec l’héritage des anciens mouvements dont ceux relatifs aux mouvements pour la décolonisation, mouvements des luttes sociales, les luttes ouvrières et paysannes. Les mouvements pour la démocratie et vers les années 1965/73. Tous ces mouvements, remettent en cause les systèmes d’oppression et d’exploitation. Ce sont les années 80 qui sonnent le glas des premiers mouvements altermondialistes. Ils naissent principalement dans les pays du Sud et l’on va commencer à s’insurger contre les effets de la Dette, les répercussions de la faim sur les populations les moins nanties, contre la Banque Mondiale, le FMI et l’OMC et contre tous les plans d’austérité qui s’ensuivront en Occident. Une contestation nette de ce que l’on appelle la finance naturelle. De fait, c’est le début de l’alter mondialisme. Vient ensuite la troisième phase, avec les forums économiques mondiaux dont celui de Porto Allègre qui va créer un nouveau mouvement social de protestation qui va se déployer par la suite dans les différentes régions du Monde. Ce dernier mouvement est historique et il se situe dans la lignée des mouvements d’émancipation.
3) La crise de l’impérialisme et pourtant nous ne faisons que reproduire ses effets pervers ? la crise est présente depuis plusieurs années, elle a commencé au début de l’impérialisme même. L’impérialisme n’a jamais été un long fleuve tranquille car il est secoué de tout temps par la résistance des peuples. En 1977 avec Samir Amin nous avions écrit « la Crise de l’Impérialisme (Éditions du midi) cette crise prend des formes différentes selon les phases de l’Impérialisme. Il y a eu d’abord la colonisation, ensuite de 1914 à 1945 il y a eu une seconde étape avec les guerres, les fascismes, les crises financières etc. ; un peu comme ce que nous traversons aujourd’hui.
4 ) Une crise multiformes ?
On constate de premier abord qu’elle prend la forme d’une grande multiplicité de crises : financière, boursière, alimentaire, la crise des subprimes et du logement notamment aux Etats Unis, la crise de l’endettement etc. On peut dire que c’est une crise qui se déploie autour de quatre dimensions ?oui, elle est sociale d’abord et axe son combat sur les inégalités sociales. Tout le monde admet aujourd’hui, qu’il y a une profonde crise des inégalités sociales qui a atteint un niveau aujourd’hui jamais égalé dans l’Histoire. Quand les « Occupy Wall Street » sortent le slogan « vous êtes 1% et nous sommes 99% » cela montre l’ampleur de la problématique.
5/ Le mouvement en Tunisie à ses débuts avait repris le même schéma non ? Oui absolument, les tunisiens se sont soulevés car ils ne voulaient plus vivre les inégalités sociales et ils ont mis l’accent également sur la corruption. Qui est aussi dans ce pays, une des clés des inégalités sociales.
-6) La démocratie utopia land, quels pays seraient les meilleurs élèves ? Certains pays comme la Hollande ou la Suède on pourrait dire qu’ils sont plus impliqués démocratiquement du fait de l’importance qu’ils donnent aux collectivités locales par ex ; néanmoins cela ne les exclue pas de participer à une forme de regroupement mondial. Dans mon livre « Stratégie altermondialiste » paru aux éditions découvertes, j’ai bien expliqué ce phénomène. La démocratie ne peut être considérée uniquement que pays par pays.
7) Le défi serait donc de construire une démocratie mondiale pour la période à venir ? oui absolument, instaurer une démocratie mondiale reviendrait entre autre à s’interroger pour savoir quel serait le système capable de garantir la liberté et les droits ? La démocratie ne revient pas à se baser sur des institutions formelles. Il faut l’appréhender, pays par pays et cas par cas.
8) La démocratie occidentale appliquée dans certaines régions du Sud, notamment la zone sous l’impact du printemps arabe, cela fut liberticide pourtant ? Effectivement les effets de l’après révolution, notamment dans certains pays d’Afrique du Nord dont la Tunisie, ont amené de grandes souffrances et de profonds questionnements. Mais je reste très optimiste et je n’ai pas la vision alarmiste que beaucoup ont, notamment les médias occidentaux et certains pays du Nord. Mais je suis également très conscient des dangers des « après révolution » il faut rester vigilant.
Comme dans toutes les révolutions, il faudra laisser le temps au temps. Il faudra accepter qu’il y aura des avancées puis des reculs. Se dire aussi, qu’il faudra tout un reformatage culturel auprès de populations qui n’étaient pas au fait de l’exercice de la démocratie auparavant.
Quelle est votre analyse sur ce qui se passe en Tunisie, en Egypte, en Lybie ? au Moyen Orient dont la Syrie ?
Les représentations évoluent. Le Sud renvoyait aux pays décolonisés qu’on avait essayé d’enfermer dans une représentation du Tiers monde. La représentation Nord Sud n’est plus suffisante aujourd’hui. D’abord parce qu’il y a, dans chaque pays et à l’échelle mondiale, un Sud dans le Nord et un Nord dans le Sud. La montée en puissance des BRICS qu’on appelle de manière approximative les émergents et la crise relative de l’hégémonie de l’Europe et des Etats Unis traduisent l’importance des bouleversements géopolitiques en cours. En fait dans le monde actuel, nous sommes dans le prolongement de la décolonisation qui est inachevée.
Ce qui se passe au Maghreb et au Machrek est l’ouverture d’un nouveau cycle de luttes et de révolutions. Elles ont commencé en Tunisie et se sont étendues à l’Egypte puis à toute la région. Il s’agit d’un soulèvement des peuples autour de revendications clairement exprimées : la justice sociale, le refus des inégalités et de la corruption, les libertés, le refus de la domination. Ces revendications ont traversé la Méditerranée pour s’exprimer de manière spécifique avec les indignés en Espagne, au Portugal et en Grèce, puis elles ont traversé l’Atlantique avec les occupy wall street, Montréal,
Les insurrections urbaines dans la région ouvrent une période de rupture dans la durée. Le temps d’une révolution n’est ni court, ni linéaire. Après toute période d’insurrections, il y a des régressions, une peur du changement et un désir d’ordre. Ce n’est que dans un deuxième temps que le changement fait son chemin et explore de nouvelles voies. Dans la Région, le désir de changement est toujours vif et les sociétés sont dans la lancée de leurs révoltes. Mais dans ces périodes, les peuples ne sont pas les seuls acteurs ; les manipulations extérieures sont nombreuses et s’attachent à infléchir le cours de l’Histoire. Une de leurs conséquences est de transformer un soulèvement populaire en guerre civile. Mais il ne faut pas oublier que c’est le soulèvement populaire qui est premier et qu’il ne résulte pas d’un complot.
Il y a également une salafisation du Sahel avec l’émergence de l’islamisme, le sahelistan?
Ce qu’on appelle l’islamisme, sous ses différentes acceptions, n’est pas tombé du ciel ! Il s’est développé à partir des conditions de vie catastrophiques des couches populaires dans les différents pays. Cette situation sociale a été fortement accentuée par les politiques néolibérales qui ont accru la précarité et la misère. Dans de nombreux pays, des dictatures se sont imposées pour garantir aux multinationales et aux Etats dominants, l’accès aux matières premières, le contrôle des flux migratoires, les programmes d’ajustement structurel. Ces dictatures ont développé à une grande échelle l’affairisme clanique et la corruption provoquant dans les populations un rejet moral par rapport aux couches dirigeantes. L’échec des réponses socialiste et baasistes a ouvert la voie à la recherche de nouvelles réponses que les courants islamistes ont réussies à incarner au niveau d’une partie des peuples.
Les réponses à ces questions sont d’abord internes. Les pays dominants, et notamment la France, défendent d’abord leurs intérêts. Dans certains cas, le soutien extérieur quand il est demandé par la population peut-être nécessaire. Mais il est toujours dangereux et n’oublions pas que le droit d’ingérence est intimement lié à la colonisation. Le bon programme c’est celui qui a été avancé par les soulèvements en Tunisie, en Egypte et dans tant d’autres pays : justice sociale, libertés, refus des inégalités et de la corruption, refus de la domination.
Des mouvements sociaux porteurs d’espoir qui ont vite, viré au drame ? le cœur du problème était pourtant simple : emploi, liberté, démocratie, est ce un menu impossible pour notre région ?
Mais, l’Histoire n’est pas finie, elle commence. Ce programme est possible et nécessaire. Avec une condition supplémentaire : il doit être approprié et porté par le peuple. C’est le rôle de la politique d’en trouver les moyens et les manières de l’exprimer.
En tant qu’altermondialiste, quelles solutions proposer à ces remous sociaux face à une politique politicienne qui en fait étouffe le citoyen ?
Pour les altermondialistes, il s’agit d’affirmer que les solutions exigent une politique alternative, un autre modèle de transformation sociale que le modèle néolibéral. Les politiques actuelles sont subordonnées à l’ajustement au marché mondial des capitaux dont on a vu les ravages dans tous les pays, à travers l’endettement et la paupérisation. Le modèle alternatif a été défini dans les forums sociaux mondiaux. Les politiques à mettre en œuvre doivent permettre l’accès aux droits pour tous et une évolution vers l’égalité des droits. Une démocratie civique a peu de chances de résister sans un minimum de démocratie sociale. Ce n’est pas une condition suffisante, mais c’est une condition nécessaire pour ouvrir le champ des libertés et des droits civils et politiques, mais aussi économiques, sociaux, culturels et écologiques.
Le solidaire, l’éthique, et le développement durable sont ils réellement compatibles avec le projet utopique de démocratisation à l’occidentale de la région ?
La démocratisation de la région est à l’ordre du jour. Le projet ne peut pas être celui d’une démocratisation à l’occidentale. D’abord parce que la démocratie à l’occidentale a beaucoup de limites en termes de racisme, de discriminations, d’injustices et d’inégalités. On peut le voir notamment avec les migrants, les quartiers populaires, les chômeurs, etc. Ensuite, parce que la démocratie occidentale s’est construite par des avantages pour certains pays payés par la subordination d’autres pays. Enfin, dans beaucoup de pays, la référence occidentale est portée par des catégories ressenties comme coupées des peuples. Le projet de l’avenir est celui de l’invention d’une démocratisation, et même d’une démocratie universelle qui tienne compte des identités et des spécificités. Cet universalisme implique une « déconstruction » au sens philosophique du terme de l’universalisme occidental qui a été porteur de la colonisation et une co-construction d’un nouvel universalisme. Il s’agit d’une nouvelle approche qui concilie les libertés individuelles et les libertés collectives. C’est celle qui a été exprimée par la jeunesse dans les soulèvements populaires
Un plan Marshall aurait pu aider en tout cas certains pays de la région, bien que certaines allégeances politiques du Nord et du Golfe continent d’alimenter les bras armés des nouvelles politiques fondamentalistes, quelle solution ?
Ce qui manque d’abord aux pays de la région ce ne sont pas des investissements ou des subventions. Ces transferts sont toujours coûteux sur le plan politique et même sur le plan économique car ils sont conditionnels. Après la guerre, le plan Marshall avait pour objectif d’engager les pays européens sur la voie d’un développement capitaliste de marché alors que dans beaucoup de pays européens, notamment la France, des gouvernements issus de la Résistance pouvaient être tentés par d’autres voies. Dans les pays de la région, l’urgence est de relancer les économies sur les bases actuelles, par exemple le tourisme pour la Tunisie. Mais ce qui sera déterminant, c’est de lancer un projet économique et social de transformation sur des bases nouvelles privilégiant la consommation populaire. Un tel projet nécessitera une modification des règles économiques internationales pour ne pas dépendre des oukases conjoints du FMI, de la Banque Mondiale et des monarchies du Golfe. Mais cette modification n’est pas préalable ; elle résultera de l’engagement de pays dans d’autres directions qui amènera à revoir les règles internationales. Comme on peut le voir en Amérique Latine avec des pays comme le Brésil, le Venezuela, l’Equateur, la Bolivie qui forcent la Banque Mondiale et le FMI à négocier avec ces pays sur d’autres bases.
Gustavo Massiah, diriez-vous comme feu Monsieur Hessel qu’il faut s’indigner, car d’un côté on réagit pour le Mali, pas encore pour la Syrie, pas du tout pour certains pays d’Afrique du Nord, quel rôle altermondialiste peut jouer le Nord ?
On a toujours raison de s’indigner contre des conditions indignes. Ce qu’affirmait Stéphane Hessel a été clairement exprimé par Occupy Wall Street quand ils ont dit : vous êtes 1%, nous sommes 99%, indiquant ainsi que la majorité des richesses et du pouvoir était concentré dans quelques mains. Ils indiquaient aussi que la corruption découle automatiquement de la fusion du pouvoir financier et du pouvoir politique. Les altermondialistes luttent pour une société plus juste à l’échelle mondiale. Cet autre monde possible est d’abord le rôle des mouvements pour construire des sociétés plus justes. Il n’y a pas de raccourci qui confierait aux Etats dominants le soin de faire régner la justice dans le monde. C’est l’action des mouvements qui peut remettre en cause les égoïsmes et la volonté de puissance des Etats.