Par Fériel Berraies Guigny
La représentation des femmes dans le Monde arabe et les médias arabes a beaucoup évolué d’hier à aujourd’hui. Longtemps invisibilisées au gré de conjonctures socioculturelles ou religieuses pas toujours favorables, la femme arabe a du tailler sa place par la force de son travail, faisant fi des tabous sociétaux qui continuent à l’enfermer dans des stéréotypes qui lui collent encore à la peau. Ce phénomène, il faut le préciser est universel et, en Occident, il n’est pas rare de ne voir la femme que comme un objet de consommation, exhibée sur des affiches publicitaires ou servant d’objet « décoratif » sur les plateaux télés ; la tête bien pleine est reléguée, loin derrière celle qui est « bien faite ». Et l’audimat tient parfois à la présence d’une « belle plante » devant la caméra.
DR: Amel Mathlouthi artiste tunisienne militante dans les rues de Tunis
Dans le Monde Arabe, il est également très difficile de se débarrasser de certains carcans. L’émancipation audiovisuelle féminine, dans certaines régions du Monde arabe, commence à se faire mais avec une lenteur impatiente.
L’avancée technologique, la prépondérance des médias qui envahissent tant le Maghreb que le Mashrek, le regard qu’a le Monde occidental de la femme arabe, apportent de nouveaux questionnements.
Quel est le rôle et la représentation de la femme arabe au sein des médias dits « modernes » ? Reflètent-ils la diversité du monde arabe ou continuent-ils d’entretenir une image traditionnelle des femmes arabes? Dans quelle mesure les médias arabes peuvent-ils faire justice à la modernité des femmes de notre région ? A quand une véritable prise de conscience de fond et non uniquement de forme ? Les médias arabes peuvent-ils parvenir à changer la perception des femmes arabes chez eux mais aussi à l’étranger ?
La situation de la femme arabe est plurielle. Sa perception dans le Monde et dans les médias a par ailleurs, beaucoup évolué.
La place de la femme dans le Monde arabe
La question est très large voire ambitieuse, mais ce que l’on doit retenir avant tout, c’est qu’historiquement, sa situation a beaucoup évolué. Avec l’apparition de l’Islam dans la péninsule arabique, on a constaté une réelle avancée pour le statut de la femme. C’est la première fois que, dans cette région, les femmes avaient un statut indépendant et reconnu. l’Islam est la religion qui a aussi permis que l’on cesse d’enterrer les petites filles à la naissance. L’Islam a introduit le droit pour les femmes d’hériter, même si cela n’est, aujourd’hui encore, pas à parité avec les hommes. Quand l’Islam a proposé le voile, c’était aussi pour protéger les femmes, comme le disaient les textes « pour reconnaître les femmes qui rejoignent la communauté », ces femmes n’ayant plus besoin de se prostituer, par exemple, pour subvenir à leurs besoins, en cas de répudiation. Bien sûr, il y a eu un certain nombre d’accidents mais qui ne sont pas exclusifs au monde arabe ou à l’Islam. Les Femmes dans l’histoire de l’émancipation ont toujours fait face à un certain nombre d’obstacles. C’est un phénomène universel, et la réaction dominatrice masculine a toujours été la réponse aux demandes légitimes d’émancipation féminine. C’est le combat de la liberté, et les hommes reviennent toujours à l’assaut quand ils sentent leur suprématie menacée. Aujourd’hui, clairement, le Wahabisme notamment, n’a pas fait beaucoup de bien aux femmes. Mais à côté de ça, la révolution tunisienne a montré l’exemple de ce que devait être l’évolution féminine. Le Maroc a emboîté le pas, certes il n’y a pas très longtemps mais avec détermination. Mais il ne faut pas se leurrer, la bataille n’est pas gagnée pour autant. L’existence d’une infrastructure légale en Tunisie, au Maroc ou en Algérie, ne signifie pas pour autant des avancées de fond et par ailleurs depuis le printemps arabe, tous les acquis de la femme sont en question!
Si seule l’application au quotidien des lois, fruit d’une vraie volonté politique, pourrait faire évoluer les mentalités, avec la montée de l’islamisme qui tente de bâillonner les femmes, comment faire face ? Clairement, il faut un travail associatif, une pression médiatique et une volonté politique pour faire évoluer les mentalités. Mais si les médias eux même sont pris en otage par ces nouvelles forces d’occupation politique? La Loi seule, préalable nécessaire, ne suffit pas et aujourd’hui, les femmes sont en danger en réalité comme dans leur perception dans les médias. Petit retour en arrière …
La Femme arabe et les médias
Selon Luciano Rispoli, ancien Directeur Monde Arabe à Canal France international, il y aurait deux bilans à faire ; un bilan de la situation professionnelle des femmes et un bilan du marketing utilisant les femmes. Professionnellement, il faut savoir que les inégalités existent même en Occident. Les médias français payent en moyenne 17% de moins les femmes par rapport aux hommes. Les femmes de la télévision égyptienne sont payées au centime près, de la même façon que les hommes. En France et en Occident, il y a encore tout un retard à rattraper sur la question des salaires des femmes. S’agissant des responsabilités, L’Egypte est parmi les pays arabes qui compte le plus de femmes dans les médias. La personne à la tête des chaînes hertziennes en Egypte est une femme ; plusieurs femmes sont patrons de chaînes et occupent des postes à haute responsabilité. Il en va de même dans beaucoup de pays arabes (Tunisie, Maroc, Jordanie, Liban, par exemple). Du point de vue du marketing, l’utilisation, en Occident, d’une femme glamour, à moitié dénudée pour vendre une voiture, rencontre des résistances de la part des sociétés arabes. Quelqu’en soient les raisons, les femmes ne sont pas galvaudées et réduites au rang de faire valoir de ventes. Face à l’approche publicitaire occidentale, il y a toujours un risque de réaction virulent, dans le Monde arabe. Et c’est normal. Il n’y a pas très longtemps, dans les années 50, des citoyens français brulaient des kiosques de journaux ou saccageaient des cinémas car l’on y voyait des femmes à moitié nues… La nudité ne choque pas en tant que telle, c’est l’utilisation d’une image des femmes (ou des enfants !) pour vendre qui est révoltante. Le monde arabe, pour des raisons qui lui sont propres, résiste bien à cette pression en protégeant l’intimité des femmes et des enfants.
Les Femmes arabes doivent-elles être isolées du combat féministe pour autant ?
Bien entendu, la réponse est « non ». Il ne faudrait pas isoler les femmes arabes du combat féministe mondial. Malgré les spécificités régionales, culturelles et religieuses, le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes doit être conduit sur tous les fronts, en même temps. L’information peut jouer dans les deux sens. Sous prétexte d’égalité, il n’est pas toujours possible de mettre sur le même plan, les hommes et les femmes. En droit les deux sont égaux, mais ils ont aussi des atouts différents. Il ne faut pas sous le prétexte de l’égalité nier la différence entre hommes et femmes, ou réduire celles qui existent entre l’Occident et l’Orient. La diversité est une richesse, qu’il ne faut pas uniformiser car il n’y a pas de modèle absolu.
Femmes arabe et modernité, quelle sera son rôle au 21e siècle ?
Les femmes sont des actrices de premier plan dans la modernisation. Mais la révolution industrielle a été un coup terrible dans leur histoire. A cette période précise, elles ont été reléguées à des besognes familiales, alors qu’elles étaient auparavant les égales de l’homme dans les champs. Ce n’est qu’en période de guerre, quand les hommes sont sur les champs de batailles, qu’elles investiront, pour un temps seulement, les usines. Le prolétariat est une notion masculine et ne leur a pas fait beaucoup de bien. Aujourd’hui avec l’évolution des sociétés, la globalisation, l’introduction d’Internet, elles sont à nouveau actives pleinement dans le tissu socioprofessionnel. La modernité leur ouvre des portes mais il ne faut pas pour autant, qu’Internet par exemple, les relègue à rester à la maison, pendant que le mari est au bureau.
Luciano Rispoli, lors de missions en Israël, nous a confié qu’il avait été surpris de la tentation de relégation des femmes. Un phénomène qui n’est pas exclusivement musulman . « J’ai constaté en Israël par exemple qu’il y a de plus en plus de séparation entre hommes et femmes, quand on monte dans un autobus les hommes sont devant et les femmes montent en arrière. Il y a de plus en plus d’entreprises qui ne recrutent que des femmes car sinon les maris ou les pères ne les laisseraient pas travailler… Tout ceci au nom d’une culture religieuse, ce qui est pour moi en opposition à toute forme d’émancipation ou de modernité » !
L’investissement des espaces littéraires, cinématographiques, musicaux, est ce un début de la révolution féminine arabe?
Oui, pour les femmes c’est un grand début mais ce n’est pas assez. Alors on doit les encourager à s’investir dans d’autres sphères comme dans le judiciaire, et ces dernières décennies, un certain nombre de femmes juges et magistrats sont dans des postes clés dans la région du Maghreb et du Mashrek. Mais s’agissant du Golfe tout est à faire dans ce domaine. En politique, les femmes ne sont pas suffisamment nombreuses et leur voix n’est pas suffisamment audible. Les femmes n’auront pas forcément une voix différente de celle des hommes, mais on leur doit plus de visibilité dans ces domaines.
Les zones d’influence de la femme arabe
L’influence de l’éducatrice est primordiale d’autant que c’est un rôle qui a été totalement déserté par les hommes. Dès que l’on parle du statut de la femme dans le Monde arabe, on évoque son infériorité réelle. Mais il ne faut pas cependant oublier que ce sont les femmes, dans cette région aussi, qui détiennent la bourse du ménage. C’est un fait universel, bien que plutôt « méditerranéen ». A la maison, c’est maman qui gère !
Aujourd’hui, il est vrai pourtant que dans le tissu économique global, très peu de femmes sont présentes et même l’exception de l’exemple tunisien, est en question !
Ce qui est à craindre par contre, c’est l’émergence de décalages de plus en plus grands entre les femmes, selon la région géographique.
La femme du Maghreb est -elle en décalage par rapport à celle du Mashrek ?
L’itinéraire de la femme tunisienne en contraste avec la femme du Moyen Orient peut en effet, faire naître des antagonismes, des sphères de pensée qui soient différentes. On pourrait s’attendre en effet q’une femme se sente fondamentalement arabe alors que l’autre sera perçue comme « vendue à l’Occident ». Ces écarts s’ils venaient à se creuser, signifieraient un appauvrissement culturel, dans certains cas. S’agissant des nouvelles technologies et de leur accessibilité pour les femmes, il faut également soulever certains risques comme celui de la « ghettoïsation » des femmes. Car cela finit par les confiner. Elles sont derrière un écran, elles voient sans être vues et il ne faudrait pas que cela leur serve de nouvelle « Moucharabieh » dans un haramlek moderne !
La femme tunisienne dans les médias, un exemple à suivre ? S’agissant de sa place dans les médias, il y a un certain nombre de femmes brillantes dans les médias tunisiens, tant en Tunisie qu’à l’étranger.
En Algérie, la Chaine Qatari Al Jazeera compte une talentueuse journaliste dans son staff, il s’agit de Khadija Benguenna, qui a défrayé la chronique il y a quelque temps, en portant le voile et en le rendant un accessoire hautement glamour. Tout ceci pour dire que le fait de voir des femmes brillantes ne signifie pas pour autant que le statut de la femme arabe dans les médias a évolué uniformément pour toutes les femmes. A réfléchir…