Par Fériel Berraies Guigny
Nous l’avons découvert il y a quelques années au travers d’un ouvrage » Afrique danse contemporaine » ( Antoine Tempé et Salia Sanou) aux éditions Cercles d’Art en 2008 et il nous avait déjà marquée.
Pionnier de la danse contemporaine africaine ce danseur Burkinabé est un nom dans le milieu. Ouvert au Monde, mais aussi amoureux des traditions, son Art il l’exprime comme il vit sa vie : intensément, talentueusement et passionnément. De formation mixte, il a commencé en Afrique puis a intégré « l’école occidentale » avec Mathilde Monnier à Montpellier. Très investi pour le développement et la diffusion de la danse en Afrique. Salia Sanou a été directeur artistique des Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan indien, créateur du premier Centre de développement chorégraphique africain à Ouagadougou. Inaltérable quand il parle de son Art qu’il aime tant. UFFP l’a rencontré au Burkina Faso pour une discussion coup de cœur. Récit d’une rencontre.
Crédits photos Antoine Tempé
Tombé « dans la danse » depuis tout petit
Salia a commencé très jeune à danser dans son village, au départ il dansait car c’était la tradition » j’ai eu une éducation populaire imprégnée par la danse » nous explique till. Initié à la fabrication et à la sortie de Masques, c’est ainsi qu’il fait ses premières armes. Car la société secrète des masques est basée sur les rituels et l’apprentissage approfondi des valeurs traditionnelles » ce sont ces valeurs qui sont la base des sociétés en Afrique » nous explique till. Le masque représente le vivant car sculpté, porté et montré par le « vivant » pour incarner le défunt. Une personne disparue, un grand père, un père ressuscite ainsi à la vie. Quand le masque » revient » cela représente la société et l’environnement du mort. Une chance et une expérience inouïe qui l’a forgé, car tout s’apprend dans la danse et cela l’a mis très tôt dans le bain. Salia Sanou avait alors cinq ans, et il apprenait déjà à observer, à mimer.
C’est beaucoup plus tard qu’il sera initié » j’ai décidé de faire de la danse un métier à 22 ans » car avant cela, c’était du genre amateur, danser avec les groupes de danse des quartiers et de la ville du Bobodjiulasso son berceau natal. C’est la ville où Salia a grandi et a fait ses études. Arrivé à Ouagadougou, il continuera sa formation, malgré les réticences familiales qui voulaient qu’il ait un parcours plus académique. Une promesse tenue à moitié et de courte durée.
La danse en Afrique dans sa perception : hier et aujourd’hui
Aujourd’hui à 15 ans d’écart, l’opinion a changé mais cela reste un passé récent » il y a dix ans et ou quinze ans en arrière, on avait pas la même perception de la danse, bien sur s’il s’agissait de Youssou Ndour ou d’Alpha Blondy… on te reconnait comme un artiste populaire, mais si tu es artiste créateur issu de la danse, c’est une autre affaire » nous confie til. La danse de création, les arts plastiques, le film, toutes ces catégories artistiques sont stigmatisées » on te considère presque comme un vagabond » ajoute le chorégraphe. Mais Salia Sanou, malgré ses études de Droit et son diplôme d’inspecteur de Police, ne va pas lâcher l’affaire.
La rencontre avec l’école du « Nord »: le déclic
Sa rencontre avec la chorégraphe française Mathilde Monnier va décider de son destin artistique, elle cherchait des danseurs sur un projet sur la thématique d’Antigone. Il va participer à l’audition et le tour est joué. C’était en 1992, il partira alors en France pour participer à la création. Des vas et viens incessants entre la France et l’Afrique, jusqu’en 1995 où il intégrera le Centre chorégraphique de Montpellier. Mais Salia avait toujours l’envie de revenir au pays. Et c’est ainsi, qu’il va fonder sa compagnie avec un ami « Seydo Boro » en son temps cette compagnie s’appelait » Salia niseydo »
Vivre et former des jeunes, c’était cette envie qui ne va jamais le lâcher » après la compagnie on a crée un festival toujours dans l’idée de promouvoir en Afrique toutes les danses. Pas de barrières entre la danse contemporaine et les danses populaires « ‘ les danses traditionnelles africaines doivent être connues des danseurs contemporains » explique Salia. Connaitre ses racines, et ses bases et à partir de là » s’amuser et voyager avec l’autre »
Aller à la rencontre de l’autre
Cet aller retour incessant entre l’Afrique et l’Europe a forgé l’univers créatif de Salia Sanou » c’est un échange fabuleux pour nous les danseurs et cela nous a formés, car cela nous a permis de nous améliorer au niveau de la technique et du concept » il faut se positionner et pour cela il faut connaitre l’autre mais en ayant connaissance de ses racines, cad la danse traditionnelle. La danse occidentale, contemporaine et classique, la danse populaire africaine, c’est de ce métissage artistique que s’est épanoui le meilleur de Salia. Salia est très attaché à l’identité, il ne voulais pas perdre son africanité » beaucoup le font la bas et oublient d’où ils viennent pour mieux se confondre dans le moule, mais il y a aussi l’inverse, qui peut amener un repli sur soi » !
Trouver le juste milieu est essentiel, ouvrir les yeux et les oreilles pour écouter l’autre et en fonction de qui on est, faire son propre cheminement.
Afrique Danse Contemporaine
Le projet Danse Afrique Danse, les rencontres chorégraphiques ont été un tournant important pour Salia » j’ai été à la réflexion à la base de ce programme pour permettre à la jeunesse africaine dansante de pouvoir trouver leur place » d’abord en Afrique, car cela a donné des espaces de création et d’expression pour les artistes africains dans le Continent. Les plus méritants se retrouvaient donc ensuite dans ce festival et avec les programmateurs venus d’Europe, les artistes africains finissaient pas se faire inviter dans les divers festivals. Mais garder l’indépendance » la liberté du corps est pour nous cruciale » ainsi naitra ensuite un Festival à Ouagadougou qui s’intitule » Dialogue de corps » qui se tient tous les deux ans dans la Capitale Burkinabé. Cela fait douze ans que le Festival existe et cela a permis de poser la réflexion de façon locale » pour nous c’est important quoiqu’on dise, on veut que nos créations soient vues et perçues par le public burkinabé et africain » !
Une fois que le public burkinabé est acquis alors, le public voisin ou européen suivra » on ne veut pas faire les choses format européen, on ne veut pas de formatage dans notre création » si cela voyage c’est tant mieux mais la priorité est de plaire aux africains. Les spectateurs de Dialogue de Corps viennent des pays limitrophes africains d’Europe aussi, mais c’est essentiellement un public de Ouagadougou, et des connaisseurs. En douze ans de Festival, le public a appris à décortiquer l’outil chorégraphique.
Pour les danseurs, installer le dialogue entre les artistes et le public est crucial et c’est un des objectifs de Dialogues de corps. Le prochaine Festival Dialogue de corps aura lieu en décembre 2012.
Une Danse africaine engagée
Le festival à Ouagadougou affectionne les artistes conceptuels » pour ce prochain festival, nous avons invité des artistes qui s’interrogent sur l’environnement et l’éthique » ! nous invitons d’ailleurs prochainement un tunisien « Imad Jemaa » car sa nouvelle création parle de la Tunisie d’aujourd’hui, de ce réveil des consciences. Le peuple burkinabé doit prendre conscience de l’impact de la révolution dans ce pays, même si la télévision nous abreuve d’informations » il faut voir la vie de l’artiste dans la société » tous ces artistes que l’on invite ont une réflexion sur leur milieu et leur point de vue sur le Monde.
Les filles et la danse sous représentées !
Elles viennent toutes au début, elles ont leur formation mais elles ne restent pas. Le moment de passer à l’étape pro, il y a une cassure » la pression de la famille en Afrique est encore très forte » explique Salia. La danseuse doit avoir assez de force pour faire face à la société. Mais Ouagadougou est pourtant un pays assez ouvert » mais cela reste un problème réel » ajoute le chorégraphe. Il faut véritablement une force dans la technicité mais aussi dans la motivation et les filles restent malheureusement minoritaires.
Créer une vraie politique culturelle en Afrique
Aujourd’hui, les pouvoirs publics n’ont pas une politique culturelle en Afrique » on est pas du folklore, on confond le populaire, l’événementiel et la création artistique » une absence de moyens ajoutés à un manque de reconnaissance. Il faut se projeter dans l’avenir et se dire, culturellement qu’est ce qu’on aimerait construire pour le pays. Aujourd’hui, la danse, la musique sont des parents pauvres et pourtant il faut invertir, l’État doit se sentir concerné, c’est le patrimoine d’un pays son identité!
Si on investit dans l’éducation et la santé, il faudrait aussi investir dans l’Art et la Culture » car il faut que les peuples se reconnaissent, qu’ils contribuent à faire vivre une frange de la population que sont les artistes » !
Il faut arrêter de « ramer, de copier sur les autres » s’indigne Salia Sanou qui appelle à un véritable soutient de la création « on ne peut construire un château sur du sable » !
Projet futur
Une prochaine création que Salia Sanou est en train de nous mitonner » le corps au-delà des frontières, qui expose la question de la frontière qui est aujourd’hui, vécue avec douleur, comme du temps de la décolonisation. Frontière posée par la question de la couleur de la peau, l’économie, de comment tu t’appelles, quelle langue tu parles, quelle religion?
C’est un sujet qui interpelle l’artiste et nourrit sa création quand il abordera la frontière physique » passer d’un pays à l’autre » intolérance, racisme. Comment le corps ressent cette limite, comment se positionner, comment être fort dans sa tête. La frontière morale et mentale, toutes ces barrières que l’on se met par rapport à l’autre. Ayant vécu et travaillé en France, Salia Sanou a senti ces frontières, toujours d’actualité. Un troisième volet de la frontière, sera aussi celle qui est artistique » comment l’artiste qu’il soit musicien, plasticien, réalisateur, styliste peut faire tomber les barrières des disciplines artistiques pour dialoguer ensemble.