Dans ce numéro inédit d’UFFP, qui scelle nos quatre ans d’existence depuis la révolution du jasmin, genèse de la naissance de la plateforme, nous avons donné la parole à des personnalités emblématiques, issues de cette France plurielle que nous aimons tant. Et en ce début d’année 2015, marquée par le drame de Charlie Hebdo et diverses autres Hécatombes dans le Monde, il était important, une nouvelle fois de rendre hommage à ceux qui ont été sacrifiés dans l’exercice de leur métier ou pour défendre un idéal de liberté. A tous les Charlie du Monde… qu’ils soient journalistes ou pas, fonctionnaires ou pas, à tous les humains du MONDE.
Mohamed Douhane
Bio expresse
Mohamed DOUHANE, est commandant de police et secrétaire national du Syndicat Synergie officiers.
Diplômé de Sciences Po Grenoble, titulaire d’un DESS de « responsable de formation » et d’un Master 2 d’expert en protection des entreprises et en intelligence économique, délivré par l’Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice (Ecole Militaire Paris).
Il est rentré dans la police en 1992, comme lieutenant de police, après avoir exercé pendant 4 ans comme formateur et conseiller en formation à la mairie de Grenoble.
A la sortie de l’école supérieure des inspecteurs de police, il exerce pendant plusieurs années au sein d’une unité de police judiciaire du Val de Marne, puis dans un commissariat de la préfecture de police de Paris, en tant qu’officier chef de brigade, puis comme chef du bureau des opérations au sein du 2ème district.
Aujourd’hui il est commandant de police, secrétaire national au sein du syndicat Synergie-Officiers (CFE-CGC). Il enseigne également « le management de la sécurité et la gestion de crise » à l’Institut supérieur du management public et politique (Ismapp). Il est enfin conférencier en sécurité économique, dans le domaine de la protection des entreprises et l’intelligence économique.
Il est l’auteur de deux ouvrages de « Les Tabous de la police. Itinéraire d’un flic français (François Bourin Éditeur, 2009) et « La délinquance des mineurs. Relever le défi » (François Bourin Editeur 2012). Mohamed Douhane est chevalier de l’Ordre national du Mérite.
Entretien avec UFFP :
1/Le retentissement de ces attentats a été considérable, aussi bien en France qu’à l’étranger.
Au total, plus de 4 millions de personnes ont manifesté dimanche 11 janvier en France contre le terrorisme et 44 chefs d’Etat et de gouvernement du monde étaient présents, sans oublier les nombreuses personnalités qui avaient fait le déplacement. On avait jamais vu çà !
Il s’agit sans aucun doute de la plus grande mobilisation jamais recensée dans le pays.
Ce qui a surpris beaucoup de monde et moi le premier, c’est que cette mobilisation a également pris la forme d’une vague de soutien intense à l’égard de la police et de la gendarmerie. Un hashtag #JeSuisPolicier a même été créé sur Twitter pour leur rendre hommage.
Nul ne peut nier la réalité : les forces de l’ordre ont payé un lourd tribu, 2 policiers ont été tués dans l’attentat contre le journal Charlie Hebdo, dont un, Ahmed Merabet, gardien de la paix, a été exécuté d’un balle dans la tête alors qu’il était au sol, blessé et suppliait ses bourreaux. Et n’oublions pas la policière municipale lâchement abattue par un tir dans le dos dans la fusillade survenue à Montrouge !
Des dizaines de milliers de messages de soutien aux forces de l’ordre sont arrivés dans les commissariats de police et les brigades de gendarmerie et je dois reconnaitre que cela nous a redonné du baume au cœur, surtout dans un pays ou « casser du flic » est devenu un sport national dans certains milieux.
Les policiers appartiennent à une institution républicaine et ont la mission noble d’assurer la protection et la sécurité des personnes et des biens, parfois au sacrifice de leur vie. La sécurité c’est la première des libertés ! Cette réalité, certains Français commencent à en prendre conscience et je m’en réjouis.
2/La législation antiterroriste est déjà très fournie : 14 lois ont été votées depuis 1986 !
Celles-ci ont permis de démanteler de nombreux réseaux de terroristes, et ainsi de déjouer de nombreux attentats. Mais les mouvements terroristes ont énormément évolués depuis les années 80 et 90, il a fallu compléter nos dispositifs. 90% des terroristes sont aujourd’hui recrutés via internet et les réseaux sociaux. C’est une donnée nouvelle pour les pouvoirs publics et il fait en tenir compte.
C’est ainsi que courant novembre, le Parlement a définitivement adopté un autre projet de loi sur la lutte contre le terrorisme, apportant de nombreuses nouveautés. Cette loi crée une interdiction de sortie du territoire pour entraver les départs de Français candidats au départ en Syrie, un « délit d’entreprise terroriste individuelle » qui sera un nouvel outil contre ceux qui se radicalisent individuellement, le plus souvent sur internet et enfin une possibilité de blocage des sites illicites.
Ces mesures étaient attendues par tous les spécialistes de la lutte contre le terrorisme et les décrets d’application de ces lois devraient permettre d’obtenir des résultats rapidement.
Récemment, Manuel Valls, lors d’une conférence de presse a aussi annoncé que la lutte allait s’intensifier : renforcement des services de renseignements par la création de 2680 emplois de policiers, de militaires et de magistrats sur trois ans, augmentation des budgets des ministères de l’Intérieur et de la Justice, fichier commun recensant les « djihadistes »
Il faut reconnaitre que la situation est préoccupante : 1 300 Français ont été ou sont aujourd’hui impliqués dans des filières vers la Syrie et l’Irak et près de 3000 personnes nécessite une surveillance approfondie. Cela nécessite des moyens humains et logistiques considérables
Le gouvernement prévoit aussi de créer des quartiers dédiés dans les établissements pénitentiaires pour les personnes détenues radicalisées
Le contact avec le radicalisme extrémiste se joue souvent en prison, où le manque d’aumôniers musulmans est criant. Le premier ministre Valls préconise ainsi l’arrivée de 60 aumôniers musulmans supplémentaires, s’ajoutant au 182 existants. Il était temps !
Mais je pense qu’il faudrait aller plus loin et alléger les procédures judiciaires et administratives car en France le formalisme est trop lourd et complique souvent le travail des policiers.
3/ La plupart des grandes fédérations musulmanes ont condamné avec fermeté la violence et le terrorisme après les attentats. Et pourtant beaucoup de musulmans se sont sentis et se sentent stigmatisés et montrés du doigt. Il y a de quoi : les actes anti-musulmans recensés en France depuis l’attentat sont en hausse de 110 % par rapport au mois de janvier 2014, selon l’Observatoire national contre l’islamophobie.
L’attentat contre Charlie Hebdo a considérablement alimenté le sentiment d’islamophobie au sein de la population française. Il y a de vraies sources d’inquiétude : 40 % des Français jugent que la communauté musulmane est « une menace » pour l’identité du pays, selon un sondage ! Cette réalité on ne doit pas l’ignorer.
Les risques de fracture sociale sont réels et les attentats ont renforcés les dérives communautaristes, d’autant plus que les discours de certains représentants religieux de la communauté musulmane ne sont pas jugés crédibles par de nombreux jeunes, notamment ceux qui sont rentrés dans un processus de radicalisation. Et je ne parle même pas des irresponsables qui quotidiennement jettent de l’huile sur le feu !
Car il faut savoir que dans de nombreux quartiers, depuis les attentats, la thèse du complot est largement relayée et partagée. « Le policier n’est en réalité pas mort », « les attentats ont été téléguidés par les services secrets », « les preneurs d’otages ont été abattus alors qu’ils voulaient se rendre « …
Voilà quelques exemples d’âneries qu’on peut lire sur les réseaux sociaux depuis les attentats…
Il y a du pain sur la planche !
Une certitude: les théories « complotistes » et conspirationnistes sont parfois élaborées par des extrémistes manipulateurs intelligents mais toujours véhiculées par des ignorants incultes.ultes.
La communauté juive n’est pas en reste.
Visée par l’attentat de l’épicerie Kacher, celle-ci a manifesté ses inquiétudes et le ministère de l’Intérieur a du prendre des mesures spécifiques. Ainsi les écoles et lieux de culte juifs en France sont aujourd’hui protégés par 4 700 policiers et gendarmes.
Ces mesures sont certes indispensables mais le prochain défi pour nos dirigeants sera de préserver le fragile trésor de l’unité nationale. Vaste programme !