Nadia Hathroubi-Safsaf, est journaliste depuis une dizaine d’années. Femme de cœur et d’engagement, elle a eu plusieurs casquettes de rédactrice en chef. D’abord auprès du mensuel multiculturel Zanatane. Elle a rejoint ensuite Presse& Cité en tant que rédactrice en chef adjointe.
Nadia Hathroubi Saf Saf
Elle est aujourd’hui rédactrice en chef du mensuel, « Le Courrier de l’Atlas » qui traite de l’actualité du Maghreb en Europe. C’est au travers de ses différentes missions journalistiques, qu’elle a pu s’initier à des thématiques qui lui sont chères : immigration, thématiques sur la banlieue et les quartiers populaires, relations Nord Sud.
Par Fériel Berraies Guigny
Femme de convictions, elle a participé à la création de nombreuses associations.
UFFP l’a rencontrée ce mois de juin pour parler de son premier livre « Immigrations plurielles : témoignages singuliers » paru aux éditions Les Points sur les I.
Un livre témoignage qui raconte la vie et le destin de ceux qui ont décidé de planter leurs racines en France. Un plaidoyer sur cette France plurielle et son nécessaire mieux vivre ensemble.
Entretien :
Pourquoi ce livre ? Vous vous sentiez investie d’une mission et laquelle ?
La campagne électorale pour les présidentielles de 2012 a été le déclic. J’ai été surprise par la véhémence de certains propos tenus par des élus non pas du Front National mais de l’UMP. Les immigrés ont été le bouc-émissaire tout trouvé pour expliquer la crise financière, la crise du logement. J’ai été frappé par ce discours stigmatisant dans lequel je ne me retrouvais pas. Mes parents ont travaillé toute leur vie sans jamais rechigner à la tâche. Ils nous ont transmis leurs valeurs, le respect des autres, l’amour du travail bien fait. Autour de moi, mes amis disaient la même chose de leurs parents. J’ai voulu montrer que derrière le mot immigré qui semble faire si peur à nos concitoyens, il y a des tranches de vie, des parcours. Souvent ces immigrés ont été invités par la France pour participer à la reconstruction du pays, je pense par exemple aux mineurs, aux cheminots.
La problématique de l’immigration en France est quelque peu polémiste, par ce livre voulez-vous en proposer une lecture qui soit autre ? Parler de cette France multiculturelle c’est quelque part s’ériger en défenderesse de la diversité et du mieux vivre ensemble ?
Plus jeune, j’ai participé à de nombreuses manifestations antiraciste où nous scandions le fameux « Nous sommes tous des enfants d’immigrés. » J’ai grandi dans le centre de Paris, mon lycée était dans le Marais. Pour moi, le « bien-vivre ensemble » n’est pas seulement un concept. C’est réellement ainsi que j’ai vécu. En bonne intelligence avec mes voisins de toutes origines, de toutes confessions.
Le témoignage de vos dix personnages réels, cela s’est fait facilement ? Qu’avez-vous appris de tout cela ? Vous êtes fille de migrant, vous êtes vous retrouvée dans ces vécus ? Qu’est ce qui vous a touché et quels enseignements en tirez-vous ?
Il y a eu des rencontres évidentes. Des gens avec qui au bout de cinq minutes, je savais qu’il fallait que je raconte leur histoire. Je pense à Juan qui a fuit l’Espagne franquiste ou Anna, déportée de Pologne vers l’Allemagne pour le travail obligatoire. J’ai eu beaucoup de mal à contenir mes émotions face à leur histoire car ils ont traversé de multiples épreuves et le racontaient sans pathos, avec beaucoup de simplicité. Les écouter a été une claque pour moi. Cela m’a appris à prendre du recul dans la vie de tous les jours.
Aujourd’hui, avec les profonds bouleversements dans la carte géographique mondiale, la crise économique amenant l’hermétisme vis-à-vis de l’autre au Nord comme au Sud, les affres des après révolutions arabes, une certaine communauté n’est-elle pas plus stigmatisée par conséquent en France et ailleurs ?
Oui clairement. Il y a surtout un très fort amalgame entre musulmans et arabes. Mais beaucoup de musulmans ne sont pas arabes et beaucoup d’arabes ne sont pas musulmans. Ces raccourcis ont tendance à m’agacer. Et quand je vois la montée des actes islamophobes comme les mosquées recouverts de tags racistes, de carrés musulmans sans que cela suscite aucune réaction des pouvoirs publics, je comprends que certains se sentent des citoyens de seconde zone.
Des problématiques touchant à la laïcité, aux droits des femmes, les dérives d’un certain islam ultraconservateur dans nos régions, n’ont-ils pas contribué à l’islamophobie en France ? Comment faire pour rétablir la nuance ?
Encore une fois, je pense que c’est une grande méconnaissance de l’Islam qui pousse à ces dérives et des deux côtés. Les extrémistes d’une certaine façon finissent par se rejoindre. Je suis pour que chacun(e)s vivent à sa manière son islam. Quand je vois que les droits de la femme peuvent être remis en cause en Tunisie, j’ai forcément des inquiétudes. Nous avons été longtemps un exemple pour nos voisins algériens, libyens.
Aujourd’hui, vous êtes devenue en quelque sorte le portevoix d’une France plurielle ? Cela vous fait quoi et quels en sont les retours ?
Jamais je n’aurais le culot de croire que je suis le porte-voix de quoi que ce soit. J’ai déjà dû mal à me faire entendre de mes enfants (rires). En revanche, j’ai reçu beaucoup de témoignages de lecteurs via la page fan du livre qui m’ont dit qu’ils avaient été touchés par les histoires. Cela a suscité la discussion dans leur famille. Et de cela, je suis extrêmement fière.
La culture pour la paix et le dialogue entre les civilisations, c’est quelque peu aussi votre cheval de bataille, de par votre biculturalité choisie, vous en pensez quoi ?
Je pense que cela devrait être le cheval de bataille de tous. Et non d’une poignée de femmes comme vous et moi. J’en ai assez d’être ramenée à une identité. Je suis avant tout une femme solidaire des autres femmes à travers le monde.
Aujourd’hui les femmes du Sud sont les dommages collatéraux de certains systèmes qu’ils soient capitalistes et déshumanisés dans le Nord, ultra répressif et ultra religieux dans le Sud (salafisme et wahabisme) comment vous positionnez vous par rapport à ces questions ?
Je tente d’œuvrer à travers différentes associations. Je ne supporte pas les interdits, les obligations. Ca peut sembler contradictoires mais je suis pour que les mamans voilées puissent accompagner leurs enfants dans les sorties scolaires en France, je suis pour les créneaux dans les piscines si cela permet à des femmes de sociabiliser et de sortir du foyer. A contrario, je suis aussi pour plus de libertés pour les femmes en Iran.
Que voudriez-vous dire à ces femmes qui dans leur bi culturalité qui sont en perte de repères, qu’elles soient issues de migrations subies par les parents, contraintes, ou parce qu’elles fuient des systèmes trop excluants ? Votre livre peut-il les aider s’agissant de la mémoire et de leur identité culturelle ?
Je pense que nous, enfants issus de la décolonisation, sommes en quête d’identité. Un adage dit : Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où on vient. Je pense que le système scolaire a failli, notre histoire commune n’y est pas représentée. Dire nos ancêtres les gaulois aux petites têtes brunes est un exemple. Il faut apprendre l’histoire de nos parents. Il faut sauvegarder cette mémoire et la transmettre à notre tour à nos enfants.
Le livre « Immigrations plurielles : témoignages singuliers » paru aux éditions Les Points sur les I.