Experte senior en genre, population et développement durable, Ouafae Sananès est présidente de G2D Consulting, structure dédiée à l’accompagnement des Etats et des organisations pour la réalisation de l’Agenda 2030 pour les Objectifs de Développement Durable (ODD). A ce titre, elle prépare pour l’Organisation internationale de la Francophonie, la Conférence des femmes de la Francophonie à Bucarest (31 octobre-2 novembre 2017), sous l’égide de la Secrétaire générale de la Francophonie et du Président de Roumanie.
Titulaire d’un Doctorat en sciences sociales (anthropologie sociale et ethnologie) de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales en 1994–Paris, Ouafae Sananès possède une expérience internationale approfondie en genre et développement durable au travers des pratiques d’enseignement, de recherche, de pilotage d’études du terrain, d’évaluation de politiques publiques sectorielles et transversales dans plusieurs régions : Afrique subsaharienne, Afrique du Nord/Moyen-Orient, Asie du Sud et dans les Caraïbes.
De 2002 à 2017, elle poursuit sa carrière au sein du Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, comme attachée de coopération et experte technique de haut niveau successivement au Pakistan, en Haïti et au Liban (2002-2012). De retour de sa mission au Liban en 2012, elle réintègre la fonction publique au Maroc à l’Institut des Sciences de l’Information puis en tant que responsable de la coopération internationale et des partenariats à l’Agence de développement social (ADS) à Rabat.
En 2013, elle revient à Paris en tant que Conseillère études et analyses au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères où elle pilote la stratégie genre et développement. A ce titre, elle participe à de nombreuses instances internationales en tant que membre expert au sein des pays homodoxes (Like-minded), de la Commission des affaires internationales et européenne du Haut Conseil à l’Egalité, contribue aux travaux de Task-forces comme celles de l’Union européenne, du G7/G20 ou du GenderNet de l’OCDE.
Elle contribue activement au débat international sur les Objectifs de développement durable, l’Accord de Paris sur le Climat, le financement du développement, le Partenariat pour un Gouvernement Ouvert, ou la Commission des Nations unies sur la condition de la femme (CSW). Elle anime parallèlement des groupes de travail (« Lutte conte la radicalisation et les extrémismes violents », « Jeunesse et développement », « Migrations», « Genre et climat »), élabore et met en œuvre des projets : (« Genre et cohésion sociale : pour l’employabilité des jeunes », « Femmes égyptiennes pionnières pour l’avenir » « Femmes d’avenir en Méditerranée »), enfin, gère et assure le suivi-évaluation du Fonds de solidarité prioritaire.
De 1995 à 2000, elle est chargée de l’enseignement et de la recherche à l’Institut national de statistique et d’économie appliquée à Rabat, au Programme international de formation en population et développement durable établi par le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) où elle accompagne chaque année des décideurs des pays du Sud issus de 25 nationalités francophones. Puis de 2000 à 2002, elle est cheffe d’équipe d’un programme de formation de Hauts fonctionnaires marocains, appuyé par l’USAID, pour l’intégration transversale du genre dans les politiques sectorielles.
UFFP l’a rencontrée lors de la 8e édition de la Women Tribune d’Essaouira. Coup de projecteurs sur une femme engagée pour la question du genre et le développement durable.
Ouafae SANANES
Entretien avec Ouafae SANANES
Une championne du genre, si on avait à vous définir ?
Mon parcours a été riche et diversifié avec une constante ; celle de la lutte contre les inégalités de genre et la promotion de l’autonomisation (Empowerment) des femmes et des filles.
En dépit de progrès notables, les femmes font toujours face à certaines formes de discrimination, parce qu’elles sont femmes. L’égalité suppose un égal traitement en droit et un égal accès aux opportunités économiques, politiques, culturelles et sociales. Or, les Objectifs de développement pour le Millénaire (OMD), adoptés par les Nations unies en 2000, n’ont pas permis de réaliser la pleine égalité. C’est pourquoi, dans le cadre de l’Agenda pour le Développement Durable d’ici 2030 (ODD), sur 17 objectifs, l’Objectif 5 intitulé : « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles » a été totalement dédié à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Les autres ODD intègrent de manière transversale la question de l’égalité et de l’équité.
Mais le plafond de verre, pas facile de le percer et du Nord au Sud non ?
Si la communauté internationale s’est engagée autour de l’égalité, c’est en effet, malgré des politiques volontaristes en faveur de l’égalité, malgré la présence des femmes dans l’espace économique et politique, le plafond de verre rappelle à chaque instant, que les femmes restent cantonnées à des postes d’exécution, et peu d’entre elles parviennent à casser le plafond de verre pour atteindre des postes de décision.
Dans les pays arabes, les femmes constituent près de 60 % des lauréats des universités, mais seulement 24 % d’entre elles sont actives. Ce taux est le plus bas au monde. C’est dire les efforts que nos gouvernements et la société civile doivent consentir. Sans politiques de discrimination positive. dans 150 ans, les femmes dans le monde arabe, n’auront pas encore atteint l’égalité réelle.
Vous considérez qu’il faut aussi favoriser l’accès aux ressources et opportunités économiques en plus des droits humains au Maghreb?
C’est aussi une question d’équité dans l’accès, le bénéficie et le contrôle des ressources et des opportunités économiques, que les pays arabes sont appelés à promouvoir : un égal accès au foncier, à l’héritage, au numérique, aux savoirs et savoir-faire de manière générale.
Les femmes au Maghreb sont des battantes. Elles travaillent, créent des richesses et contribuent à la croissance économique. Cependant leur travail n’est pas toujours visible, n’est pas reconnu et souvent peu comptabilisé dans les agrégats économiques.
L’après printemps arabe, annonce un net essoufflement pour nous ?
Oui, l’instabilité et les conflits régionaux ont affaibli la place des femmes, fragilisé leur combat pour la liberté. Pourtant, ce sont les femmes qui continuent à faire entendre la voix de la liberté et de la paix, à mener le plaidoyer pour la démocratie et la gouvernance. L’exemple des femmes tunisiennes est éloquent à maints égards.
Comment casser les blocages ? quota loi parité méritocratie ca suffit pas que devons-nous changer?
Il est certes, important d’instaurer des quotas revus à la hausse pour encourager les femmes à investir l’espace public, politique, économique, entreprendre et enlever toutes les chaînes du patriarcat qui voudraient les cantonner entre quatre murs et derrière une burqa. Dans cette perspective, il est urgent de lutter contre les stéréotypes de genre, contre les violences faites aux femmes tant dans la rue, au travail que dans la sphère privée. Il est urgent également d’instaurer un environnement de paix et de sécurité, car les premières victimes des conflits sont des femmes.
Parlez-nous de la 8é édition de la Women’s Tribune, vous avez été présente, quel est votre ressenti ?
La 8é édition de Women’s Tribune a été instructive par la qualité des intervenants et des débats. Moi-même, j’ai contribué à la rédaction de l’Accord de Paris sur le climat en incluant des éléments en lien avec les droits humains. Je me sens plus que concernée par la thématique du climat. Le dérèglement climatique impact les femmes en premier lieu. Ce sont elles qui nourrissent la planète ; près de 80 % de la production est assurée par les femmes. Dans le même temps, les femmes, particulièrement en milieu rural, constituent 70 % des pauvres de la planète. Il y a là une double injustice faite aux femmes : si la désertification progresse, ce sont les femmes et les filles qui doivent parcourir des kilomètres à la recherche de l’eau. Si un Tsunami survient, elles sont 14 fois plus touchées que les hommes. Le dérèglement climatique opère un impact différencié selon le genre, car les femmes ne se trouvent pas en situation de pouvoir, de prise de décision, d’information pour faire face aux changements climatiques ou aux catastrophes naturelles.
Etes-vous une Entrepreneuse consciente et durable ?
J’agis en citoyenne responsable et j’entreprends en conscience. Une partie de mon activité consiste justement à former les décideurs, à les sensibiliser aux rôles des femmes en tant qu’actrices de la lutte contre le dérèglement climatique, en tant que ressources clés quand il s’agit de négocier la paix, car il est tout de même étonnant que les hommes qui ont pris les armes, ont commis des exactions, des viols et des crimes, se retrouvent autour de la table de négociation, une fois le conflit terminé. Et bien entendu, la voix des femmes reste inaudible, leurs besoins non pris en compte. La France s’est dotée de son 2e Plan d’action « Femmes, paix et sécurité » pour encourager la prise en compte des femmes en tant qu’actrices de la paix, tant au processus de négociation, de reconstruction qu’au plan des décisions pour la paix.
Mais le conservatisme religieux et son retour met les choses en péril ne pensez vous pas ?
Tout ce que je viens d’aborder semble être une évidence. Cependant, la montée des conservatismes, le recul des droits des femmes dans de nombreux pays, qu’ils soient du Nord ou du Sud, pèsent lourdement sur les acquis des femmes.
Je suis convaincue que la création de réseaux d’influence, de femmes agissantes, leaders pour l’avenir, permettrait une meilleure visibilité des rôles des femmes et une meilleure acceptation de leur présence dans la sphère publique. Des politiques publiques pour l’égalité réelle doivent être mise en oeuvre si l’on veut atteindre l’ODD 5 d’ici 2030.
Merci Ouafae Sananes !