Il est né à Sfax et il voue à sa ville natale, un amour indéfectible.Mourad Fendri a pas mal bourlingué depuis Sfax, Paris puis Tunis où il fera ses « armes » avec Tarak Ben Miled, grand architecte de la Capitale tunisoise. Beaux Arts à Tunis puis Paris, il côtoiera du beau monde et s’ouvrira à plusieurs courants et pensées avant de décider de rentrer au bercail. Proposer sa vision de l’Architecture et de l’urbanisme dans une ville en croissance effrénée.
De notre envoyée spéciale Feriel Berraies Guigny. Photos courtesy of Mourad Fendri
Passion, vision, humanisme, l’architecture pour Mourad Fendri, c’est avant tout construire des projets de vie et de cohabitation qui ont du sens. Combattre aussi l’urbanisation sauvage qui défigure sa ville natale « aujourd’hui, j’ai réussi à avoir des gens qui me suivent » dit-il avec grande fierté. Un combat au quotidien pour un architecte amoureux du beau mais surtout engagé dans la préservation du patrimoine et de l’héritage culturel de sa ville. Rénover certains axes de l’ancienne Médina de Sfax, des« diar arbi » et Borj font partie de ses projets, tout comme que construire des Habitations ou des immeubles d’entreprise. Engagé auprès de plusieurs Associations, il entre en « politique «afin de faire avancer ses idées tout en préservant ses valeurs d’engagement et de partage.
Enfant du « jasmin » lui aussi continue d’avoir ce rêve fou d’une Tunisie ouverte et démocratique, un combat qui se fera dans la durée.
C’est ce type de projet et combat que soutient UFFP par le biais de la mise en lumière de toutes ces personnalités et initiatives qui contribuent à faire bouger les lignes dans leurs sociétés. Voici donc, l’une d’entre elles.
Mourad Fendri est né à Sfax, de papa sfaxien et d’une mère Soussienne, une mixité régionale qu’il revendique et qui pour lui est très importante.
Entretien avec UFFP :
Parlez-nous un peu de vous ? Natif de Sfax et c’est très important, j’ai grandi dans cette ville que j’adore, mon papa est de Sfax et ma mère de Sousse. Je suis fière de ce mélange du reste, je pense qu’il m’a amené aussi une certaine ouverture à l’autre. Dans ma vie, il y a deux choses primordiales : la Tunisie en premier lieu et en second lieu, Sfax.
La fibre pour l’architecture, elle est venue comment ? Assez tôt je dirais, je me rappelle qu’à 13 ans je me baladais dans ma ville et déjà j’étais tiraillé. Je la voyais polluée, défigurée par l’industrialisation, une urbanisation anarchique, le non-respect des lois, l’absence de conscience écologique. L’histoire du foncier et l’indiscipline des gens a fait que c’est assez compliqué de rétablir l’ordre à Sfax. L’ancienne dictature n’a certainement pas avantagé une urbanisation harmonieuse. Je me demandais « qu’est-ce que je peux faire pour ma ville » je me disais qu’il fallait être un décideur politique mais sous Ben Ali, même pas en rêve ! je me suis ensuite dis pourquoi pas, tiens, « architecte » ?! Je me disais alors, que je pouvais contribuer à améliorer le paysage urbain. L’architecte pour moi, c’est quelqu’un qui peut rendre les gens heureux car il améliore le vécu. Au lycée j’étais bon élève mais je ne faisais pas beaucoup d’efforts, au Bac du coup je n’ai pas très bien réussi, Je n’avais pas les résultats suffisants et heureusement pour moi et du coup je n’ai pas eu architecture à Tunis. J’ai dû faire archi sur Paris. Pour ne pas perdre de temps avant Paris, je décide de faire Beaux-Arts sur Tunis. Une année super riche, puis je suis parti en France
En France, l’ouverture vers autre chose? Oui, j’ai aussi beaucoup appris, j’ai compris ce qu’étaient les valeurs universelles, ce qu’étaient la démocratie et la citoyenneté. Ce que j’ai appris sur la vie était plus important que le diplôme que j’ai eu en France. J’avais fait le bon choix, j’étais persuadé.
Retour au bercail et escale sur Tunis ? je voulais travailler à tout prix avec un grand monsieur de l’architecture sur Tunis, Tarak Ben Miled. C’est un maitre de l’architecture sur la Capitale, cinq années chez lui où j’ai appris le métier. Avec lui, j’ai appris que l’Architecture, c’était l’Art de gérer ses frustrations : on est artiste on a plein d’envies et de visions, mais nous contrairement aux artistes on ne crée pas uniquement selon nos aspirations. Il y a des contraintes de toutes sortes, techniques, financières, le terrain, le mode de vie du client et ses aspirations etc. Pour cela il faut apprendre à faire des concessions sur des choses secondaires sans toucher à l’essentiel. Je ne parle pas d’architectes alimentaires, mais des gens qui vivent intensément ce qu’ils font.
L’Architecture tunisienne ? Oui avec mon expérience sur Tunis, j’ai appris avec Tarak Ben Miled la recette de notre architecture, bien avant cela, j’ai appris en France à être polyvalent et à ne pas être cantonné dans un style ou un esprit unique. Il faut être observateur, être curieux de tout, découvrir. Avec Tarak Ben Miled j’ai travaillé sur des grands projets, j’ai observé comment il fallait se comporter avec les grands clients. Dans ma vie, j’ai toujours pris le meilleur de toutes les personnes que j’ai été amené à rencontrer sur mon chemin. J’apprends chaque jour. J’ai appris à travailler sous la pression avec des délais parfois impossibles, travailler sur des concours.
Fidèle à vos convictions, retour au bercail natal ? En 2008, retour sur Sfax et là j’ai commencé ma bataille qui concernait principalement l’architecture. Les premiers projets, c’était un combat rien que pour convaincre de la moindre nouvelle idée. Les gens refusaient en fait leur bonheur, ils ne comprenaient pas les avantages des projets. Ce qui est incroyable, c’est de constater que les mauvaises idées étaient plus facilement acceptées que les bonnes. Mais aujourd’hui, ma bataille est en passe d’être gagnée, car aujourd’hui on commence à comprendre !
Parmi vos meilleurs projets ? Incontestablement les projets de réaménagement et de restauration !
J’adore faire cela, c’est que cela te permet d’améliorer les choses mais aussi de pouvoir faire en sorte que les gens évoluent avec toi. Sfax est une ville conservatrice pour tout et du reste le conservatisme a longtemps cohabité dans ma ville avec le capitalisme. Sfax était réputée pour ces Borj Arbi, c’est à dire les maisons arabes dès les années 60. Mais ce qui a gâché tout, c’est la venue d’architectes européens qui ont commencé à construire des villas modernes. Le souci, c’est que les sfaxiens se sont lassés des Borj car cela renvoyait à l’idée d’une vie entre famille presque tribale, une connotation de promiscuité sociale que les sfaxiens contemporains ne voulaient plus.
Sfax a subi une coupure architecturale donc ? Oui il n’y a pas de continuité aujourd’hui. En plus la Tunisie, après l’indépendance, bon que ce soit clair, moi je suis un Bourguibiste objectif mais parmi ses erreurs, c’est son souci sans limite de modernisme. Il pensait à l’époque, qu’il fallait rompre avec tout ce qui était ancien car l’ancien rappelait le sous-développement. Du coup entre autre, en architecture on a importé des modèles internationaux et l’architecture traditionnelle était considérée comme obsolète et insalubre. La Tunisie était alors up to date. Après sont venues les premières générations d’architectes tunisiens et les catastrophes ont commencé. On a voulu protéger le diplôme tunisien en se fermant des architectes étrangers : 1ère catastrophe. Vinrent les années 80 et 90, et là ce fut la totale, il a fallu attendre les années 2000 pour que certains noms étrangers soient enfin tolérés en Tunisie. Ils ont formé alors de jeunes architectes tunisiens et là on voit un début de renaissance.
Le déclic à Sfax, avec vous ? Oui on m’avait dit que Sfax c’est bouché que personne n’allait me comprendre et je l’ai vécu de près personnellement. Je n’ai pas brulé les étapes, j’ai commencé progressivement. Je voulais trouver les moyens de faire passer les bonnes idées, dans la durée et cela a marché. Encore une fois, les gens évoluent avec toi. En Tunisie on a une super lumière et j’essaye de faire des choses « lumineuses « et j’espère que les enfants qui vont évoluer dans ces espaces lumineux et ouverts vont eux même s’ouvrir davantage.
Améliorer la qualité de vie, un sacerdoce ? Oui c’est un pur bonheur surtout que de voir les gens s’approprier ces espaces.
Le Bâti ancien ? la restauration, le réaménagement, c’est mon autre passion, travailler « les vieilles pierres » j’ai travaillé sur une Dar arbi des années 30 à 40. On va aussi restaurer un Borj ancien et on est parvenu à convaincre la propriétaire de ne pas le démolir. Quand on fait la restauration, l’affectation est aussi très importante. Des projets de requalification de ce lieu sont importants pour faire vivre l’endroit. A priori, cela aura un usage commercial
De l’Associatif ? Oui je travaille actuellement sur une ancienne huilerie et on va la transformer en un centre de développement humain. Il va y avoir du yoga, du taishi, à Sakkiet Ezzit, et cela sera un beau projet. On est aussi sur un projet écologique dans les Iles Kerkennah, Association qui travaille sur des constructions écologiques. Par ailleurs, on est sur la seconde édition du Festival de Musiques du Monde à Sfax. Avec un collectif d’Associations, nous allons également faire un circuit artistique dans les Borj pour faire connaitre les artistes et les Borj, un projet deux en un.
D’autres projets joint-venture ? Oui nous avons un financement français en vue de restaurer une rue de la Médina.
Bilan de la Révolution? on panse les blessures de plusieurs siècles, c’est un gros travail d’introspection avec tous les maux possibles et inimaginables.
Des rêves ? Une Tunisie démocratique, la révolution est arrivée et je me suis lancé corps et âme dans la politique et l’associatif. Dans le futur, on ira tôt ou tard vers une nouvelle génération de politiciens qui croient en l’intérêt général et le service du citoyen. L’intégrité peut rassembler même en politique, j’en suis convaincu.
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