Par Fériel Berraies Guigny
Radhika Coomaraswamy fut jusqu’à il y a quelques mois, la Secrétaire Générale Adjointe et représentante spéciale du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés aux Nations Unies. Enfant de la balle puisqu’elle est fille d’un fonctionnaire internationale, elle nous a expliqué comment très tôt, elle a été initiée aux arcanes des instances onusiennes, et a de tout temps milité pour les femmes et les enfants. Mme Coomaraswamy a auparavant travaillé comme avocate spécialisée dans les droits de la personne et a occupé la fonction de rapporteur spécial des Nations Unies sur la violence à l’égard des femmes. Elle a également présidé la Commission des droits de la personne du Sri Lanka. UFFP s’est entretenue avec elle il y a quelques mois, pour aborder le délicat problème des enfants vivant dans les conflits armés.
Entretien :
Vous avez choisi très tôt de militer pour la femme et l’enfant, expliquez nous votre parcours ? J’ai grandi dans un environnement où les questions de paix et des droits de l’homme étaient omniprésentes. Mes parents étaient des fonctionnaires des Nations Unies. Et donc, dés la Faculté, je m’intéressais à ces questions ; On peut dire que les « idéaux des Nations Unies » m’ont nourries toutes ces années passées.
Au Sri Lanka, vous militiez déjà pour le droit des femmes ? Oui, il y a deux thématiques qui me tenaient à cœur : les droits de l’homme au Sri Lanka et notamment le droit des femmes. J’avais intégré un réseau régional chargé de défendre les droits des femmes, nous étions des avocates venant de différents pays de l’Asie. Et c’est vrai que la cause féminine était mon cheval de bataille. C’est ce qui m’a conduit aujourd’hui à faire ce que je fais.
Les enfants et la Guerre, voilà une seconde préoccupation pour vous ? Il y a malheureusement, tellement à dire, s’agissant du sort des enfants dans la guerre et les terrains que j’ai visités ne manquent pas, mais il est vrai aussi qu’il y a des histoires plus marquantes que d’autres. Et je vais vous parler de deux d’entre elles : il y a d’abord ce jeune garçon d’Ouganda qui s’appelle « Moy » alors qu’il jouait avec ses amis, il a été kidnappé par les milices avec ses amis. Il a subi des choses terribles et a été finalement, libéré. Puis il y a aussi l’histoire de cette petite fille de 13 ans « Eva » qui a subi un viol de groupe par le FLAR et qui est tombée ensuite enceinte. Ce sont malheureusement des banalités en temps de guerre que l’embrigadement et les agressions sexuelles sur les enfants.
Les viols de guerre, c’est une nouvelle atrocité et une arme de guerre de plus en plus courante ? Oui, c’est en RDC que ce fléau sévit à l’heure actuelle. La multitude des groupes armés, rend ce phénomène endémique. La situation est très grave et les Nations Unies et les ONGS essayent de trouver les moyens d’y faire face. Mais cela reste très compliqué, tant que les gouvernements et les politiques et surtout tant que les institutions des gouvernements ne remplissent pas leur fonction. Le viol, s’il n’est pas pénalisé par faute de moyen de poursuivre restera un fait impuni. Quand il n’y a pas assez de moyens pour les investigations et que les prisons ne remplissent pas leur rôle, comment voulez vous que l’on y fasse face ?
Au Congo, « il n’y a pas de prisons » ! Et même s’il y en avait où trouver les moyens de nourrir les détenus ? C’est un problème institutionnel, avant d’être un manque de conscience politique.
Parlez nous du tabou du viol ? Nous devons faire attention au tabou que constitue le viol de guerre et dans toutes les sociétés, les femmes violées sont rejetées. On doit faire en sorte de pouvoir en parler et en même temps « protéger les victimes » A l’est du Congo, en RDC il y a un grave conflit armé et cela fait que certains acteurs se mettent en dehors des lois. Un état de fait qui explique l’atrocité du viol de guerre qui en temps normal est un délit sérieux mais le devient encore plus en temps de conflit armé.
Pour revenir aux enfants, et aux enfants soldats, comment est perçu l’enfant « offenseur » ? Oui il y a cette dualité « victime et bourreau » le milieu est générateur de violence surtout quand l’enfant est victime et qu’il choisit ensuite de réagir à cette violence. La difficulté vient justement de la « prise en charge » de cette enfance malmenée. Pour les Nations Unies et les conventions internationales, l’enfant ne doit pas être puni. Jusqu’à l’âge de 18 ans. Il faut en fait, essayer de briser le cercle de la violence chez l’enfant soldat et ce n’est pas une mince affaire. On doit faire en sorte de pouvoir les dés embrigader et les engager dans des programmes de réinsertion et de réconciliation. Cela reste un travail de longue haleine. Mais il faut avant tout engager la participation de la société civile, des villages et des villageois : on reconnaît que ce que ces enfants ont fait est « répréhensible » mais on ne les punit pas pour autant. Ce ne s ont pas des enfants criminels.
Dans le cas du Rwanda, beaucoup d’enfants ont perdu leur enfance et adolescence derrière les barreaux ? Oui ce fut le cas. Et c’est malheureux, malgré les remontrances des Nations Unies sur le fait que l’on ne peut punir les enfants soldats. Bien sûr cela reste aussi, le fait des villageois. C’est pour cela que les programmes de réconciliation et les tribunaux populaires comme les « Gacaca » au Rwanda on permis à la partie civile de se sentir moins « spoliée » et plus écoutée. Dans d’autres pays d’Afrique on a permis à ces enfants de revenir au sein de leur communauté et travailler dans des programmes communautaires : reconstruire les routes, les écoles. Rendre à la société, un peu de ce qu’ils ont pris. Il y a aussi pas mal de « rites » pour faire en sorte que l’enfant comprenne le « mal « qu’il a commis.
Parlez nous des programmes de réintégration ?
C’est un processus qui se fait sur le long terme, dans la moyenne ce qu’il y a de disponible, ce sont les programmes qui durent aux alentours de six mois. Toutefois, ce n’est pas assez, il faudrait les programmes de trois ans, pour espérer aboutir à de bons résultats. Cela reste assez coûteux. Mais cette question, fait parti de mes batailles, il faut trouver les fonds nécessaires pour la pérennité de ces programmes, sinon, on ne pourra jamais sortir de ce fléau. Il faut réintégrer les enfants soldats, une fois dés embrigadés sinon il faut s’attendre à leur récidive ou pire, à ce qu’ils intègrent des gangs violents dans la rue.
Les lois et les conventions internationales, ne suffisent pas à protéger femmes et enfants, quel message à la communauté internationale ? Les lois et les conventions ne sont pas mises en application, c’est le problème le plus crucial. Les lois contre les viols et l’embrigadement des enfants sont présentes mais on continue de les détourner et de les contourner. Personne ne punit les offenseurs à ce jour, même les tribunaux pénaux internationaux mis en place ne peuvent pas faire complément leur travail, car les enquêtes ne sont possibles qu’en cas de situation très grave. Les gouvernements par ailleurs, n’aiment pas poursuivre les offenseurs, il y a manifestement une absence de volonté politique. L’absence de compétence, c’est aussi une des raisons qui fait que ces faits restent prépondérants.
Les cas du Libéria et du Sierra Léone, de bons exemples de réconciliation ? Oui cela peut être une Success story pour la réintégration des enfants, un des ex Ismael Beah ex enfant soldat devenu aujourd’hui de cette cause. Beaucoup d’enfants en Sierra Leone sont revenus à l’école et il y a véritablement une démocratie qui s’est installée. Ce qui s’est passé au Sierra Leone et au Liberia, c’est grâce au travail des Nations Unies et il faut le rappeler.