De notre envoyée spéciale à Dakar : Fériel Berraies Guigny
Photos exclusives pour UFFP de Diane Cazelles
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C’est la Maison Rose, une maison de la seconde chance, située dans une banlieue proche de Dakar, une région pauvre, à quelques kms de la capitale, Guediawaye.
La Maison rose se dresse derrière un bidonville, où la misère et la précarité sont le seul droit de cité. Au milieu, se plante fièrement un foyer qui vient recueillir les jeunes filles et jeunes femmes en détresse. Celles que la vie a frappées : filles des rues, orphelines, fugueuses, droguées, prostituées, filles mères, filles abusées de la vie.
Nous sommes allées à la rencontre des « habitants » de cet endroit incroyable, tenu par une femme tout aussi remarquable, la française Mona Chasserio qui a quitté sa Bretagne natale pour venir s’installer au Sénégal. Dans une première vie, Mona était une scientifique et elle travaillait dans le domaine des médicaments « mais le destin a fait que j’ai changé de voie, j’ai compris que face à la souffrance, ce n’est pas le médicament qui soulage, car il faut aller à la source du mal » !
En rencontrant l’Abbé Pierre, Mona se sent i investie d’une mission « il m’a transmis le regard sur les gens de la rue » et très vite, Mona réalise alors que personne ne s’occupait des femmes.
Native d’une famille matriarcale bretonne « neuf femmes dans trois générations, pour moi la femme est le pilier de la société, et si on a des racines, on peut les transmettre à nos enfants, mais dans le cas contraire, nous n’avons rien »
UFFP à droite en compagnie des filles mères et de leurs enfants. Une expérience qui m’a marquée…
Mona Chasserio s’inquiétait déjà alors de savoir «quels enfants, les femmes sans racines allaient elles mettre au Monde ? elle décide un jour de quitter le confort d’une famille, d’une maison, ses enfants pour aller dans les rues parisiennes pour essayer de comprendre ce que l’on pouvait vivre dans la rue.
De la vie à la Baule où Mona était surprotégée, il lui a fallu chercher en elle, ce qu’était l’inexistence. Apprendre à vivre en dehors du temps et de l’espace « je vivais alors avec des gens qui étaient pourris de la tête aux pieds ». Pour aller à leur rencontre, il fallait comprendre leur vécu, entendre leur souffrance. Aller au-delà de soi et souvent au delà d’eux mêmes » ; cela a duré deux ans et ce fut une très grande école pour Mona Chasserio « j’étais dans la rue, mais j’arrivais à ouvrir toutes les portes » nous a-t-elle confié.
Une Maison qui fasse renaitre et libère « des Cases » de la société : Flashback sur un travail commencé en France
En 1993, il faisait alors très froid, et Mona Chasserio supportait de moins en moins la rigueur du climat. A l’époque, Bernard Kouchner et l’Abbé Pierre, ont démuré une grande maison sur le quai d’Austerlitz à Paris. « Et je suis arrivée avec mes zombies de la rue » explique t-elle en souriant. C’était la cour des miracles, et la Maison va fonctionner pendant deux ans avec la solidarité « on avait fait un reportage sur moi, vivant avec les clochards et cela avait beaucoup touché les gens » ; au fur et à mesure mon travail a commencé à être reconnu « mais il n’y a pas d’argent pour les femmes, c’est très dur et puis je voulais surtout travailler différemment avec elles » ! explique-t-elle.
Une méthode avec des étapes : faire tomber la carapace de protection, remonter à la source du nœud, et les faire renaitre à la vie. Il y avait des femmes qui arrivaient de partout, des chinoises qui sortaient de leur réseau, Rwanda, Congo, Maghreb « mais je ne pouvais plus accepter dans la maison où je faisais un travail particulier et du coup un autre endroit sera ouvert à la gare de Lyon passage Raguinot et cela fut intitulé « la HALTE FEMMES ».
Cet endroit était pour des femmes très atteintes et on avait la mission de sortir la tête hors de l’eau «j’avais des pétitions contre moi où l’on me demandait de ranger les poubelles, tellement ces femmes étaient la lie, elles étaient terriblement cassées ».
Proche de Théodore Monod, Mona va suivre sa technique qui consiste à ne pas bruler les étapes, car c’est véritablement marche par marche « une méthode que je réalise encore aujourd‘hui » avec des équipes de rue qui vont à la rencontre de ces femmes mais les mains nues « car l’avoir est très mauvais »
La Maison sur les quais était comme un ventre où l’on venait renaitre, pour transformer et repartir debout et outre cela, Mona avait des lieux de formation « j’avais une péniche à Neuilly, chez Monsieur Sarkozy, qui était le retour à l’autonomie pour stabiliser le nouvel état de « je peux être acteur de ma vie » et après c’était hop l’envol !
Chaque femme debout est un germe
Pour Mona ce n’est pas tant la quantité de femmes sauvées qui importe, mais la qualité de l’accompagnement qu’on va leur prodiguer. La femme va alors transmettre tout : « le changement viendra des femmes et il ne viendra pas par le haut mais par le bas » car tout se tricote petit à petit.
Et à Dakar, dans la Maison rose, nous avons fait une rencontre magique, une expérience qui a marqué UFFP qui a eu le bonheur de tenir un enfant dans ses bras, de voir ces jeunes filles qui malgré leur douleur, ont souri à notre arrivée, elles ont partagé dans la pudeur de leur silence, un peu d’elles-mêmes. Et nous voudrions leur dire, qu’elles ont tout notre amour et tout notre respect. Nous avons promis, de leur envoyer les photos, c’est une chose aussi que nous ferons. Car elles nous ont tant donné et nous voudrions à notre tour, le leur rendre.
Une philosophie et une méthode
Auparavant, Mona Chasserio avait fait un travail similaire en France avec la Maison Cœurs de Femmes, comme elle nous l’aura confié durant notre entretien, elle avait créé un foyer pour filles des rues non loin de la gare Montparnasse « j’ai été la première il y a 25 ans à m’occuper des femmes de la rue » Ces filles qui venaient de partout et venaient s’échouer à la Halte Femmes, en souffrance, en précarité, abandonnée. Sur leurs épaules toutes les blessures et la misère du Monde. Elles venaient pour la solution de la dernière chance, chercher refuge, trouver la rédemption, réapprendre à vivre alors qu’elles sont terriblement marquées, cassées par la vie. C’est avec l’Association Cœurs de Femmes, que Mona Chasserio avait commencé en France se travail de récupération humaine au féminin. La philosophie de l’Association, c’est d’accompagner la souffrance mais en tenant compte de certains paramètres : savoir la voir, l’entendre, ressentir ce qu’il est dans le respect de la culture et des différences. Un véritable travail en miroir ou l’accompagnant et l’accompagné cheminent ensemble pour lui permettre de s’épanouir tout en lui donnant une éducation solide. Un travail à la fois individuel et de groupe. Soutenue par les politiques et sollicitée par les institutions pour sa vision et ses méthodes, Mona Chasserio a reçu le prix « de la solidarité » par les lecteurs de Sélection Readers Digest et celui de « l’humanisme » par le jury du Nouvel Economiste en 2004.
Faire voyager l’Art d’accompagner la souffrance
Et un jour, vint l’envie d’ailleurs, voir où porter du réconfort et de l’accompagnement car les vies sont brisées. Il lui a fallu vingt ans pour décider ce grand pas « je fais un grand travail Orient Occident et c’est plus de la métaphysique qu’autre chose » explique Mona qui s’intéressait au projet Afrique.
Maison Rose à Guediwaye : une maison pour reconstruire le féminin brisé
Mona Chasserio a déposé un jour ses bagages au Sénégal, pour elle l’aventure allait être plus facile, enfin c’est ce qu’elle pensait au début « je pensais que le Sénégal était dans la solidarité et la spiritualité, mais j’ai constaté à ma grande surprise que ce n’était pas le cas » nous aura-t-elle confié. On dit les choses mais on ne les vit pas « il y a grand manque, quand on se réfère au coran et à l’arabe, on ne comprend pas toujours » explique-t-elle. Mais c’est un grand pays qui permet quand même de se mettre autour d’une table et de pouvoir dialoguer « c’est beaucoup déjà », toutes confessions confondues.
Mona arrive au Sénégal fin 2008, et elle voulait être dans le quartier le plus pauvre, et va jeter ses bases dans cet ancien tribunal d’instance qui était tout refait, mais aujourd’hui il a souffert « on voudrait l’acheter pour le refaire ».
Cet endroit que l’on a baptisé la Maison Rose est comme un ventre et ce qui est intéressant, elle fit comme en France « il m’a fallu trois à quatre ans pour analyser tous les paramètres »
Il n’ya pas beaucoup de maisons ou de refuge comme la Maison Rose en Afrique et tous les cas ont réellement leur spécificité « les filles viennent de partout de Fouta, de Guinée, de partout » beaucoup sont violées et se retrouvent avec des grossesses. Les viols sont monnaie courante « il y en a tous les jours sur le journal » raconte Mona qui nous a expliqué qu’elle travaillait beaucoup avec la pouponnière chez sœur Justina.
Des femmes qui veulent soit tuer ou abandonner leur bébé car elles sont jetées de leur famille « mais j’ai aussi des petites filles violées, de 3 ans, 6 ans, j’en ai dans la rue avec des mères prostituées », véritablement un panel de la souffrance au féminin.
Tenir compte des ethnies est aussi l’autre défi de Mona « Quand on accompagne une Sérère, une peuhl, une wolof ou diola, il faut connaitre l’imaginaire » pour pouvoir aider. La magie, la sorcellerie s’y mêle aussi.
Et très vite, Mona va gêner, car son travail brise les tabous, met en avant ce que l’on a longtemps caché « heureusement on m’en a débarrassé, j’ai été maraboutée et je sais ce que c’est et c’est vraiment réel ». Pour une scientifique, le constat est choquant et Mona sera obligé de partir quatre mois en France « j’avais l’impression que dès que je pensais, j’avais une force qui me tapait sur la tête et je ne pouvais même pas réfléchir » il y avait des angoisses terribles, il a fallu s’exorciser.
Commencer l’édifice et prendre son envol avec l’Association Univers’elles
Développer avec plus de justesse ce qu’elle doit faire, avec son Association qui abrite la Maison Rose. Aujourd’hui Mona a bien ratissé le terrain et commence à voir peu à peu les fruits de ses années de combat en Afrique. Mais il lui a fallu du temps, travailler avec les communautés, s’occuper aussi des jeunes qui ne sont jamais allées à l’école « elles viennent ici à l’alphabétisation, elles participent aux ateliers de théâtre » beaucoup de choses ont bougé. Mais les défis sont là, la Maison Rose dérange par ex les ONGs africaines installées depuis des années avec beaucoup d’argent et qui n’arrivent pas aux résultats de Mona Chasserio « je suis dans l’action et les autres sont dans les colloques dans de beaux hôtels avec des fonds que je n’ai pas » ajoute-t-elle.
je regarde « toute une histoire » dont le thème est consacrée à des femmes issues de milieu aisé et qui avaient tout pour réussir … elles ont tout quitté et se sont investies dans l’humanitaire, elles ont donné un sens à leur vie. Je me suis aussitôt souvenu de vous Mona, vous qui étiez venu dans un petit collège privé de l’Oise dans les années 90 (l’institution Immaculée Conception de Méru) où j’étais secrétaire, pour nous parler de « cœur de femmes ». Vous m’aviez impressionnée ! je reprends des nouvelles de vous via internet – je garde la même admiration pour votre action auprès des femmes. vous êtes une belle personne humble et généreuse.
Très respectueusement –
Geneviève NEVEU