Penseur et objecteur pacifique « des consciences » Ezzedine El Mestiri est un homme de cœur mais surtout un homme engagé. UFFP est allée à sa rencontre pour s’entretenir avec lui de sa vision du Monde, et de ce qui a motivé ses combats dans « plusieurs vie antérieures » !
Par Fériel Berraies Guigny
Une entrevue du « coeur » comme UFFP les aime, la convergence et la complicité de deux tunisiens de l’étranger qui se battent respectivement pour un mieux vivre ensemble et une nouvelle consommation en respect avec les hommes et la planète.
Entretien avec UFFP :
Parlez-nous de votre parcours?
Mon parcours est celui d’un enfant originaire d’un petit village de pêcheurs en Tunisie, Salakta. Enfant, je regardais le lointain horizon de la mer et je rêvais de voyages. La nuit, sur le rocher face à notre maison, je scrutais le ciel illuminé et l’opéra des étoiles… L’appel du voyage ! Je suis arrivé en France en septembre 1972 pour faire des études de droit et sciences politiques. Journaliste, chroniqueur et rédacteur en chef dans divers publications : Croissance de Jeunes Nations, Hommes et Migrations, Peuples du monde, La Croix et Famille Magazine. Directeur de Mécénat de solidarité en entreprise de 1994 à 2002 avant de fonder en 2003 le magazine Nouveau Consommateur, un magazine consacré à la consommation assagie et responsable.
Vos choix idéologiques ont-ils toujours motivé vos choix de vie?
Je n’aime pas ce mot « idéologie » car il ne traduit pas l’authentique réalité d’un engagement humain. Pour moi, je suis tout ce que les autres m’ont apporté et je leur dois la gratitude. Mon éducation, proche de la nature et mes choix humanistes ont forgé mes convictions et ma quête du sens. J’ai toujours placé par-dessus toutes les valeurs, des notions simples comme le respect du vivant et la bienveillance. Disons que ce sont des petites lanternes qui n’ont cessé d’éclairer mon chemin.
J’aime cette expression d’Albert Camus « le sursaut de la conscience ». Aujourd’hui par exemple, face à l’urgence écologique, nous avons besoin d’un sursaut et d’une forme d’engagement. Le dernier siècle s’est achevé en laissant notre terre anémique et assoiffée autant de justice que d’harmonie. Si je dois résumer en quelques mots ma vision de la vie, je dirai : le respect de l’autre, base d’une solidarité pour construire l’avenir et l’empathie pour se mettre à la place de l’autre et coopérer.
Quel est votre regard actuel sur ce qui se passe dans le Sud, le printemps arabe, la crise au Sahel ?
En tant que démocrate, je suis préoccupé par le déroulement de ce que nous appelons « Le Printemps arabe ». Si l’on juge à court terme, je dirai que le résultat relève du désastre ! Ces révolutions citoyennes ont été déclenchées et menées, à juste titre, par des acteurs de la société civile et laïque. Or, ce sont les intégristes religieux, les obscurantistes, les analphabètes du cœur et de la raison qui se sont accaparés la gouvernance avec l’horreur que nous constatons chaque jour. A long terme, l’histoire est loin d’être achevée ! Pour ma part, je suis confiant sur le potentiel des peuples à se sauver du désordre et d’inventer dans la durée un modèle démocratique, juste et égalitaire. Je continue à me conforter d’optimisme en lisant chaque jour, la carte géopolitique du monde ! Les problèmes finissent toujours par rencontrer les solutions !
Il y un véritable potentiel dans l’homme, vous y croyez malgré les errements actuels des politiques déshumanisantes de notre monde ?
Ce qui m’inquiète, c’est la montée de l’individualisme forcené et celle du pessimisme ambiant. Face à l’adversité du monde, l’homme dispose d’un potentiel infini et insoupçonné pour concevoir un meilleur. Je suis de nature optimiste et volontariste et je me refuse d’avoir une seule lecture du monde, à travers le prisme des errements et des évènements politiques. L’histoire humaine est riche d’enchantement, d’actes de beauté et de signes constructeurs.
Je suis sensible, attentif et admiratif pour les milliers d’initiatives planétaires utiles, solidaires qui naissent chaque jour. Les médias en général ne portent pas une attention particulière à tous ces acteurs du beau et à ces bâtisseurs de l’intelligence collective. Il semble qu’il est plus facile de vendre une actualité futile pour un public gavé par le consumérisme. Cela dit, chacun de nous, porte une responsabilité à travers sa paresse intellectuelle et son inertie face à la laideur et la violence. « Allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté », écrivait Antonio Gramsci. L’avenir peut donc nous réserver beaucoup de surprises. Mais, il ne s’agit pas de choisir d’être optimiste ou pessimiste, mais de croire.
Qu’est-ce qui vous motive dans votre quotidien ?
Me réveiller au lever du soleil, être vivant et décider que chaque jour est une nouvelle page. A travers le temps, au fil des années, au rythme des saisons, on finit par apprendre à vivre harmonieusement et sagement avec tout ce qui nous entoure. Tout nous sert pour grandir même les épreuves qui sont les reliefs de la vie. L’acte, le plus important d’une existence n’est-il pas de créer sa vie de manière originale comme une œuvre d’art. J’ai souvent en tête cette phrase de Gandhi : « Soyez vous-même le changement que vous voudriez voir dans le monde ».
Ce qui me motive, c’est le sentiment de vivre le présent avec les éléments sensibles de la nature et de penser que nous sommes sur terre en mission responsable de notre vie et en relation avec les autres. J’essaie que ma vie professionnelle reflète exactement l’autre face de ma vie personnelle. Je n’ai pas besoin de décréter des grandes valeurs pour accompagner mon existence. Tout est important ! L’essentiel comme la légèreté ! Ma boulangère qui s’improvise souvent en sociologue disait l’autre jour : « Le rire et le sourire sont des indicateurs fiables du produit national du Mieux-Vivre et du bonheur. » Elle a raison !
J’essaie de vivre en bonne compagnie avec tous ceux qui inventent les produits et les services pour le consommateur et l’usager du XXI siècle. J’ai un respect et une reconnaissance à ces hommes et ces femmes qui veulent surtout avoir un impact durable sur le changement dans le monde. En utilisant le business à des fins écologiques et sociales, ils apportent un plus au monde économique. Ce qu’ils ont en commun, c’est une conviction que l’activité humaine n’a de sens que si elle est au service du beau et de l’utile et aussi en un esprit à contre-courant, pas assez répandu, dans l’univers économique conventionnel.
Si j’avais à me définir, j’emprunterai ces mots à Rainer Maria Rilke : « Ne vivez pour l’instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses.» Toute ma vie, j’ai toujours essayé d’observer le monde à travers une utopie et une vision poétique. C’est l’unique manière de le rendre beau et lumineux. L’utopie est une vraie quête dans l’infini. « L’utopie est simplement ce qui n’a pas encore été essayé », écrivait Théodore Monod. Mes passions sont la lecture de poésie, la cuisine, la marche-méditation…
Le bien vivre, le bien consommé vous en pensez quoi ? Aujourd’hui, dans cette jungle du profit, on se perd, et ceux qui sont sur cette voie sont un peu hors du système ?
Depuis les années 90, nous assistons à une nette évolution des attentes des consommateurs. Les crises sanitaires et alimentaires, les prises de conscience dans le domaine de l’environnement et des déséquilibres Nord/Sud ont joué un rôle considérable. Cela finit par se cristalliser autour de l’acte d’achat et sa fiabilité. Nous sommes pleinement entrés dans une phase de consommation plus citoyenne, sensibilisée à la qualité des produits, comme au travail des enfants ou à une dimension plus équitable des échanges commerciaux.
A mon sens, il faut bien distinguer l’information scientifique, validée, de la communication à but commercial. Les consommateurs refusent les jugements de valeur sur les produits. En revanche, ils attendent des précisions claires, lisibles, rapidement accessibles sur la composition et les apports nutritionnels, la valeur solidaire… À partir de là, dans le grand choix qui est proposé, les consommateurs peuvent décider en connaissance de cause à partir d’une information vraiment signifiante. Personnellement, je plaide pour une vraie éducation à une consommation responsable contribuant à sa façon au développement équilibré de notre civilisation et au renforcement universel des justices sociales. Dans son rôle pédagogique, cette éducation peut se donner le noble objectif d’entraîner sans déchaîner les passions négatives, de suggérer la réflexion sans contraindre le jugement et de pousser à l’action sans forcer la décision.
Les médias sociaux veulent prendre la relève, et les initiatives qui réunissent les créatifs durables sont un début de réponse ?
Bien évidemment. C’est une bonne nouvelle pour le partage et l’échange entre citoyens. Les médias sociaux se distinguent des autres par la promesse d’informer certes, mais aussi de façonner tout autant la société qu’à l’instruire des événements en cours.
Avec Internet, chacun peut apporter sa contribution. On assiste au déploiement illimité de la société de connaissance. C’est salutaire de développer cet aspect communautaire et participatif en diffusant un contenu produit par des non journalistes (experts et internautes) afin de tisser des liens étroits avec une communauté. Je crois beaucoup au pouvoir du citoyen et du consommateur. Mais malheureusement, il n’est pas toujours conscient de ce pouvoir. Il est détenteur d’un pouvoir extraordinaire face aux puissances économiques. Coluche l’a résumé : « Quand on pense qu’il suffirait qu’on n’achète pas pour que ça ne se vende pas !» Voilà pourquoi je crois que le citoyen peut utiliser ce pouvoir pour influencer les choix économiques et un meilleur développement de notre planète.
Epandage de pesticides pour les cultivateurs de Costa Rica, exploitation des enfants dans les Sweatshops de New Delhi, inégalité des rapports Nord/Sud dans le commerce des matières premières, pollution des cours d’eau par les grandes compagnies pétrolières, prostitution infantile encouragée par le développement du tourisme dans les pays pauvres…Le consommateur est davantage informé sur ce qui se passe dans le monde. Désormais de plus en plus conscient de l’impact de ses habitudes de vie sur le reste de la planète, il est tenté de le faire savoir en modifiant son comportement dans les allées des supermarchés.
Vous avez beaucoup écrit dans les médias engagés, sociaux et green, mais le métier est de plus en plus difficile, quel est votre regard sur l’avenir?
Le journaliste doit prendre acte de sa nouvelle mission qui consiste à ne plus raconter tout seul l’état du monde. Il est le filtre indispensable et pertinent d’une information, hiérarchisée et mise en perspective. L’avenir est dans un journalisme de partage et de participation.
Dans ce monde où le virtuel, le gratuit et le jetable ne cessent d’abîmer notre pensée et de raccourcir notre quête pour l’essentiel, je crois au plus profond de moi que l’écrit continue à sauver le monde. Pour moi, rien au monde ne remplace le toucher d’un écrit, le contact d’un livre, d’un journal… Tous nos sens sont stimulés pour découvrir, apprendre, s’émouvoir, lire, relire, rire, pleurer, s’indigner, approuver… La pensée, l’écrit, l’écrivain, le journaliste… ont un avenir !
Vous avez été la plume de beaucoup de personnalités engagées, parlez-moi de cette expérience?
J’ai participé à l’ouvrage de mon ami Charles Kloboukoff « Itinéraire d’un entrepreneur engagé », c’était pour moi une belle rencontre. Charles fait partie de ces créateurs qui ont fait naitre des entreprises profitables aux personnes et à la planète, intégrant ainsi une mission de contribuer à un monde meilleur, et une ambition de progrès. Ces nouveaux entrepreneurs incarnent à des degrés divers le rêve humaniste présent dans chacun de nous. Je suis en bonne compagnie avec tous ceux qui voient dans l’entreprise une puissante force de changement où s’y trouve un vivier non négligeable de compétences, de connaissances, de savoir-faire, de ressources et des moyens pour contribuer à résoudre la crise écologique. Ils ont raison.
Pour 2014, quels sont nos défis durables? Et vos projets ?
Une des grandes questions de ce XXI siècle est notre capacité à reformer notre mode de vie. Et il faut inventer des solutions pour agir face aux défis écologiques. Je suis très sensible à tout ce que peut renforcer le nouveau partenariat Homme /Nature. Après avoir fait peser sur la nature de graves menaces, l’Homme souhaite entretenir la biodiversité en observant le principe d’une «gestion durable», sorte d’un nouveau contrat, un partenariat entre l’homme et la nature. Exemple : Le retour du végétal : Il faut constater que jusqu’au XIXe siècle, ce sont les mondes végétal et animal qui ont tout fourni à l’homme : son alimentation, ses vêtements, la construction de sa maison, son énergie… Il nous faut retrouver le savoir-faire et l’efficacité des matières végétales… Je travaille en ce moment sur le projet d’un média qui répondra à ce défi. Je compte accorder une place importante à l’alimentation. L’aliment est un fait humain global à la fois social, culturel, économique, historique, symbolique mais aussi physiologique, génétique et microbiologique. Manger, c’est la préoccupation de 7 milliards d’individus et aussi une activité biologique, tout autant un acte symbolique et un comportement culturel.
Bio Expresse:
Ezzedine El Mestiri, a fait des Etudes de droit et sciences politiques. Journaliste, chroniqueur et rédacteur en chef dans divers publications dont Croissance de Jeunes Nations, Hommes et Migrations, Peuples du monde, La Croix et Famille Magazine. Directeur de Mécénat de solidarité en entreprise de 1994 à 2002. Il a mis en place des outils innovants pour insuffler le développement durable, le commerce équitable, la consommation citoyenne, l’écologie au sein d’une grande enseigne de distribution. Fondateur et directeur de la rédaction depuis 2003 du magazine Nouveau Consommateur. Auteur de nombreux ouvrages de sociologie et manuels pratiques consacrés à la consommation responsable et notamment Le Nouveau Consommateur, Dimensions éthiques et enjeux planétaires (Editions l’Harmattan, 2003) et la Consommation écologique (Editions Jouvence, 2007). Conseiller et conférencier auprès d’institutions universitaires, économiques et de recherche et des ONG pour promouvoir la consommation responsable.
Quelques rencontres essentielles qui ont changé sa vie : Ralph Nader en 1972, René Dumont en 1974, Pierre Mendés France en 1975, Léo ferré en 1977, Alfred Sauvy en 1980, Michel Tournier en 1981, Albert Jacquard en 1983, Françoise Dolto en 1986… Et d’autres depuis…
Aujourd’hui, il sera un des chroniqueurs IN LIBRIS de UFFP, pour mener « le combat »une tunisienne et un tunisien unis pour un mieux vivre ensemble, si ce n’est par la plume…