L’ouvrage de Sophie Bessis et Souhayr Belhassen, reste à aujourd’hui le seul ouvrage de réfèrence qui puisse témoigner du destin particulier d’un pays mais également d’un Homme qui en a eu la magistrature suprême. Une Tunisie des paradoxes, en pleine mutation encore actuellement, à la lumière des récents évenements qui secouent le pays et toute la région.
UFFP a rencontré une des co auteurs, Sophie Bessis pour évoquer justement ces derniers bouleversements qui rendent malgré tout la vision de Bourguiba, visionnaire notamment s’agissant du statut des femmes, en jeu aujourd’hui.
Entretien avec UFFP:
Bourguiba pourquoi la réédition aujourd’hui? pour les nostalgiques d’une
époque révolue?
L’histoire n’est pas une question de nostalgie. Tout peuple se doit de connaître la sienne. S’il l’ignore ou ne veut pas en tenir compte, il risque fort de compromettre la construction de son avenir.
Dans cet ouvrage qui retrace un pan historique de la Tunisie crucial pour les femmes, qu’avez-vous essayé d’amener au lecteur?
Souhayr Belhassen et moi avons écrit ce livre à une époque où il n’existait de Bourguiba que des biographies « autorisées ». C’est donc le premier ouvrage réellement indépendant sur la vie, l’oeuvre et les dérives de ce personnage hors du commun qui a marqué pour le meilleur et pour le pire la Tunisie. Et, bien entendu, la réforme du statut des femmes qu’il a engagée en 1956 a changé le pays en profondeur. C’est ce que nous avons tenté d’analyser.
Vous aviez écrit aussi un livre sur les femmes dans le monde arabe et face à l’islam, aujourd’hui plus que jamais c’ est encore d’actualité?
Bien sûr. On constate aujourd’hui, comme je l’ai dit hier, que le projet de réislamisation de la société des tenants de l’islam politique passe en premier lieu par la régression de la condition féminine. De l’Egypte à la Lybie, en passant par la Tunisie, il y a lieu de défendre bec et ongles les femmes pour ne pas qu’elles fassent les frais de cette réislamisation.
L’aprčs révolution pour les femmes a amené son lot de déceptions qu’e lle est votre analyse de la situation actuelle en Tunisie et ailleurs dans le Monde arabe?
Les mouvements islamistes, qui n’avaient pas participé aux soulèvements révolutionnaires, se retrouvent en effet aux commandes dans plusieurs pays arabes, avec les risques que je viens d’évoquer pour les femmes. C’est certes inquiétant. Mais le monde arabe est entré depuis 2011 dans un période de transition qui durera, à mon sens, des années. Dans cette optique, la régression islamiste peut n’être qu’une phase de ces processus. Et cette phase prend des formes différentes selon les pays.
L’islamisation sera-t-elle durable, les causes, les conséquences? une complicité tacite du Nord vous en pensez quoi?
La réislamisation des sociétés arabes a commencé il y a une bonne trentaine d’années. C’est donc déjà un processus durable. Quant à savoir si les islamistes se maintiendront longtemps au pouvoir, cela dépend des pays et des rapports de force qui s’y nouent. En Tunisie, par exemple, la profondeur du processus de modernisation et la vigueur de la société civile ne leur permet pas, pour l’heure, de respecter leur calendrier au rythme où ils le voudraient. Mais, partout, les partis de l’islam politique ont profité de l’émiettement des forces modernistes et sécularisantes.
Pour ce qui est des pays du Nord, on a toujours une fâcheuse tendance dans le monde arabe à accuser les autres des malheurs qui surviennent. Les pays du Nord sont avant tout attachés à leurs intérêts. Si les gouvernements islamistes ne les menacent pas, il est évident qu’ils coopèreront avec eux. C’est d’ailleurs déjà le cas. Sur le plan économique, l’ultra-libéralisme des partis islamistes ne peut que plaire aux grandes puissances. Par ailleurs, les liens étroits qu’entretiennent les partis islamistes avec les monarchies du Golfe, grandes alliées des Etats-Unis, plaident également en leur faveur à Washington.
Que doivent faire les femmes pour résister? Bourguiba certains l ‘ont diabolisé le considérant comme un etant democrate, un despote et pourtant on le regrette aussi pensez vous que son leg est menacé?
Bourguiba a laissé un lourd héritage à la Tunisie. Il faut savoir en garder le meilleur : les réformes modernistes, et en rejeter le pire : des traditions politiques despotiques qui ont fait le lit de la dictature de Ben Ali. Comme je l’ai dit, le legs bourguibien en matière de statut juridique des femmes est menacé. A elles de s’organiser pour le défendre. Mais c’est à toutes les forces démocratiques de comprendre qu’une société démocratique ne peut se construire sans égalité des sexes. La question des femmes est donc un enjeu central pour l’avenir de la Tunisie.
Fiche technique :
Bourguiba de Souhayr Belhassen et Sophie Bessis
Coll. Essais
Paru le 01/02/2012
14 x 22,5 cm
568 pages
ISBN : 978-9973-58-044-3
22 DT / 23,90 €
Résumé :
Le 7 novembre 1987, Habib Bourguiba, 86 ans, président de la République tunisienne depuis trente ans, est destitué par son Premier ministre Ben Ali. Il marque ainsi l’épilogue de soixante ans d’une carrière exceptionnelle, d’un destin hors du commun patiemment construit par un homme convaincu d’être supérieur aux autres. Pour comprendre cet homme, il faut fouiller les jeunes années, retracer les étapes d’une lutte de trente ans pour la libération de son pays qui s’achève sur une apothéose : le 25 juillet 1957, jour de la proclamation de la République, Bourguiba devient le chef incontesté de la Tunisie indépendante. Pendant près de vingt ans, il va s’attacher à construire une Tunisie moderne, ouverte sur l’extérieur, solidement ancrée à l’Occident, mais c’est une Tunisie menée d’une main de fer, vouée à la célébration du culte du « chef suprême », où l’expression de toute différence est interdite. Fragile équilibre dont la précarité se manifestera dès l’entrée de Bourguiba en maladie. Suivront les années de lutte pour la succession, des années de contradictions dans un pays en pleine mutation, asphyxié par un autocrate vieillissant.
(Cet ouvrage est la réédition du Bourguiba paru en 2 vol. aux éd. Jeune Afrique, 1988. Une préface inédite posant la question de l’héritage bourguibien dans la révolution tunisienne, y est rédigée.)
Paru en France, depuis mars 2012