Coeurs d’Afrique
Dapper s’est exposée à Gorée avec des Artistes en résidence, venus des Antilles. UFFP a rencontré plusieurs d’entre eux. Herve Beuze est l’un des résidents, artiste plasticien fan de la récup. Il nous vient tout droit de la Martinique. Il nous raconte sa vision de la négritude et de l’esclavage au travers de l’installation de quatre magnifiques silhouettes fantomatiques.
De notre envoyée spéciale à Dakar : Fériel Berraies Guigny
Photos Diane Cazelles
Herve Beuze en pleine création
Nous l’avons rencontré le 12 décembre, lors de l’inauguration de l’Expo Dapper à Gorée. L’occasion de discuter de la place de la négritude aux Antilles, les convergences et les divergences entre les peuples d’Afrique et sa région.
Un joli moment, passé avec un artiste qui parle avec le cœur et travaille avec les tripes.
matériaux de recup que l’artiste a utilisé pour son projet
Entretien :
Vous êtes plasticien, et vous nous avez présenté quatre œuvres implantées au milieu de l’esplanade ? Oui en effet, il s’agit de quatre personnages qui sont des personnages symboliques de la destinée de « ceux qui sont partis »
photo Diane Cazelles
Le premier personnage est en ferraille récupérée à Gorée, le second personnage en bleu évoque les esclaves qui ont été jetés par-dessus bord des navires. Le troisième personnage est en bois de palette qui sert justement à la marchandise. Pour parler de la nouvelle forme d’esclavage qui est destinée à l’exploitation commerciale mondiale des hommes. C’est un clin d’œil à la consommation. En dernier lieu, la silhouette de femme qui se présente comme une déesse de la liberté. Elle s’inspire des costumes traditionnels du Sénégal. Egalement un clin d’œil aux boubous des femmes sénégalaises lors des fêtes et cérémonies.
Je vois également des formes qui s’apparentent aux oiseaux ? oui car dans l’Ile la présence des oiseaux et importante, mon personnage féminin a donc une chevelure qui monte vers le ciel. Il y a donc cette idée de liberté mais aussi des tags, l’utilisation des mots que l’on retrouve sur les mots de l’Ile pour justement exprimer par les mots la liberté.
Cela vous fait quoi de faire le lien artistiquement avec la mémoire ? cela permet de calmer ce qu’il y a en nous. Combler ce manque d’Afrique qu’il y a en Martinique. C’est important de pouvoir renouer le lien. D’autres artistes on fait cette introspection, notamment le grand Aimé Césaire, avec Senghor, il a pu évoquer la négritude.
C’est donc une expérience magnifique ? Oui car ces expériences pour nous antillais ne sont pas nombreuses et je tiens à remercier le Musée Dapper de cette opportunité qui m’a permis de plonger dans mes racines ancestrales.
L’Afrique et la Martinique, un chassé-croisé pas évident ? Disons que la Martinique a son propre modèle de développement, sa propre culture Je dirai même qu’il y a une volonté étatique de faire oublier l’Afrique. On s’éloigne réellement de l’identité que prônait Aimé Césaire, en allant plus vers une identité multiple.
La Martinique a une dynamique identitaire qui se cherche ? Oui la Martinique essaye de se forger une posture dans le Monde. Souvent on se dit que l’on est peut être la première forme de mondialisation, car nous symbolisons à nous seuls plusieurs peuples.
Un melting pot culturel de gré ou de force ? Quel que soit le moyen et l’histoire, on est aujourd’hui multiculturel. On est un peuple mosaïque, une mosaïque culturelle.
Le métissage c’est quoi pour vous ? C’est la profonde question de l’identité avant tout. Le mélange va à l’encontre de l’image unitaire d’une culture identifiée. C’est Edouard Glissant qui a pu philosopher sur la question pour trouver quelle forme donner à ce magma culturel, ce magma de peuple que nous sommes.
Aux Antilles on veut créer un peuple nouveau ? En tout cas une manière de penser nouvelle, cela est présent dans nos pratiques culturelles et culinaires et dans la Musique. L’Afrique n’est pas absente pour autant mais ce qui nous manque peut-être, c’est de savoir quel visage de l’Afrique on a.
Et quel est ce visage d’Afrique que vous voyez aux Antilles ? Elle n’est pas toujours positive certes, il m’a fallu venir en Afrique pour le comprendre. Mon séjour à Gorée m’a ouvert les yeux. J’ai découvert ici beaucoup de solidarité, d’entraide, même manger à la sénégalaise dans un seul plat. C’est un échange, une communion des esprits et des actes et cela me montre une autre Afrique !
En Martinique trouvez-vous cette communion et solidarité ? Cela est en train de changer, on est plus dans une dynamique d’individualisme et de globalisation, le chacun pour soi prévaut. Il y a beaucoup « d’indivdiduaction », l’égoïsme surtout.
Les outils du modèle occidental, conduit donc à l’hermétisme pour l’autre ? Oui cela conduit de plus en plus l’individu à se penser tout seul. L’Afrique s’y met aussi, mais il y a encore un reliquat de traditions et de coutumes.
Artiste engagé ? Oui absolument, dans mon désir de donner et d’exprimer ma part au Monde. Il faut sortir de soi et tenter de ne pas donner une image type surfaite dès le départ. Une image sclérosée, une image qui enferme.
Les Antilles c’est né d’un Choc douloureux ? Oui absolument, mais par la suite comme ce qui s’est passé par ex dans toutes les Amériques, il y a eu naissance de rencontres nouvelles, de cultures nouvelles.
Culture pour la paix de UFFP/ United Fashion for Peace ? Oui c’est un moyen qui permet à l’homme et surtout en Afrique, d’aller vers d’autres rapports que ceux qui sont guerriers ou de conflits. La culture permet de faire le lien par la musique, la danse, le cinéma, la paix peut être servie par l’Art et la Culture.
Les Artistes du Sahel du Monde arabe sont souvent en danger, que voulez-vous leur dire ? La liberté d’expression est la valeur la plus importante à défendre. Mais maintenant, la culture et la religion sont deux domaines qui ne font pas bon ménage. Mais l’Art doit absolument garder sa liberté pour ne pas mourir !