Il vient de l’Ile de la Réunion, d’origine indo-vietnamienne, à lui tout seul, il représente ce métissage des Iles que l’on aime tant. Jack Beng Thi est avant tout un artiste globe trotter, qui a une vision universaliste de l’Art. Plasticien photographe, on peut l’avoir rencontré durant la biennale de la photo au Mali par ex, ou en Afrique du Sud, en Namibie, ou au Mozambique, au Maroc, il est partout. L’Artiste a des morceaux du Continent dans ses bagages. Ce qui lui confère sans conteste, toute cette richesse et diversité dans le regard créatif qu’il pose sur le Monde. Ex-pensionnaire de la cité internationale des Arts de Paris, il a exposé en France au Sénat et dans les jardins du Palais du Luxembourg. Beaucoup de résidences artistiques en Amérique Latine, Chine et Inde aussi. Un artiste multi facette et passe partout à en croire son amour pour les voyages !
Durant son escale artistique à Gorée, ce mois de décembre dernier, Nous avons eu la chance de rencontrer cet homme fier de ses racines mais également amoureux de l’Art dans ses brassages et ses ponts. Nous avons pu converser avec lui à quelques heures du vernissage de l’Expo de Dapper à Gorée « Mémoire »
Avec son œuvre Gorée Atlantique, il nous raconte ce travail sur la « cicatrice » et la « plaie » laissée dans l’inconscient collectif de ceux qui ont été enchaînés. Utilisant le bois d’eucalyptus trouvé au Sine Saloum et ramené à Gorée, du charbon, des fibres végétales entre autres matériaux, cet artiste a voulu poser la réflexion sur l’identité. l’Esplanade de Gorée, est donc devenue un espace temporaire de la mémoire pour provoquer une autre lecture de l’histoire de l’esclavage. En approchant son œuvre, nous sommes tout de suite happés par l’effet de couleur néon bleu mais aussi et surtout, au delà de la forme, le ressenti avec le souffle, les murmures, les voix, les rythmes, la musique. Comme si les âmes de ceux qui ne sont plus, nous appelaient pour mieux se revisiter. Et c’est que là même que notre existence contemporaine, est en question. Qu’avons nous appris de l’histoire douloureuse du passé ? Sommes nous pour autant réconciliés avec les autres et nous mêmes ?
De notre envoyée spéciale Feriel Berraies Guigny
Photos Diane Cazelles
Jack Beng Thi. Photo Droits réservés
Entretien avec UFFP:
Vous voilà sur Gorée à travailler la « mémoire » grâce au Musée Dapper ? Oui effectivement, cette thématique m’a amené à lire tout ce qui avait été écrit par les esclaves noirs et tous ceux qui ont lutté. Cela m’a aidé dans la construction de mon projet.
Vous avez porté votre attention sur le retour ? J’ai voulu travailler « sur la cicatrice » et j’ai crée cette structure en bois dans laquelle il y a cette veine bleue. Car le bleu est la couleur la plus proche de notre âme.
Vous avez en quelque sorte exorcisé la douleur en la rendant créative ? Oui je n’ai pas voulu dire et répété tout ce qui a été dit sur la souffrance et la violence. J’ai voulu démontrer plutôt la créativité des esclaves et des gens qui sont venus après eux, cad leur descendance et c’est cela qui était important pour moi.
Du Monde des chaines vers une forme de renaissance créatrice ? Oui absolument, cela permet également de revendiquer une vraie identité et d’aborder le concept de réconciliation avec soi.
Gorée c’est une histoire intime pour vous ? Oui, cela fait la quatrième fois que je viens ici. C’est la deuxième grande œuvre que je fais ici, mais j’ai aussi travaillé avec des artistes comme Gabriel Kemzo Malou qui est sur l’Ile, avec Ousmane Sow, avec Katzé. En 2002, deux ans après la mort de Senghor, j’ai fait une commémoration dans son village natal, avec la population, autour de l’arbre sacré. Et ce sont les femmes de ce village, qui m’avaient donné l’autorisation de travailler autour de l’arbre. Cette expérience avait duré deux mois et à l’issue de cela, on a dansé et chanté toute une nuit sur les paroles de Senghor.
Quand vous travaillez dans un pays quels sont vos matériaux de prédilection ? Je cherche avant tout le matériau local, le bois que vous voyez, vient de la région du Sine Saloum. J’y suis allé moi même, j’ai fait 300 kms allez retour. J’ai brûlé le bois sur place, là bas et je l’ai ramené. La veine bleue, je l’ai ramené de la Réunion.
La Réunion et l’Afrique, des liens particuliers ? Oui car nous mêmes, avons connu l’esclavage aussi et après cela, il y a eu les « engagés » moi même je suis petit fils d’engagés. Aujourd’hui, nous essayons de clarifier les choses, pour retrouver une identité qui soit saine.