Par Fériel Berraies Guigny
C’est un livre qui nous avait marqué dés sa sortie il y a prés de six ans, d’abord parce-qu’il a été écrit par un grand nom de la géopolitique Monsieur Jacques Attali, mais aussi parce qu’il nous avait révélé un nouveau visage de l’apôtre de la non violence : Gandhi. Un visage plus humain, moins idéalisé qui montrait les failles d’un homme commun des mortels.
UFFP fait un retour sur une itw marquante
2008 célébrait le soixantième anniversaire de la mort de Gandhi. Une date symbolique et aussi révélatrice de promesses non tenues. Comment en effet oublier, les préceptes qui ont motivé le grand Mahatma Gandhi et qui continuent aujourd’hui de trahir son idée?13 avril 1940, Gandhi écrivait « C’est la loi de l’amour qui gouverne l’humanité. Si la violence, c’est-à-dire la haine, l’avait gouvernée, elle aurait longtemps disparu » !Au 21ela violence n’a jamais autant gouverné le cœur des hommes et des Nations, mettant au grand jour les innombrables turpitudes de nos civilisations : cupidité, profit, capitalisme, exploitation des peuples, sur fond d’industrialisation et de modernité. Jacques Attali, brillant essayiste, a consacré à Gandhi un livre de cinq cents pages. Un travail biographique de grande teneur comme peut en témoigner le foisonnement des détails biographiques sur le personnage. Pendant quatre ans, l’auteur a épluché les archives indiennes, fait traduire en français une foule de textes méconnus qu’il cite amplement et mené l’enquête auprès de la descendance de Gandhi. « Il a une trentaine de petits-enfants, raconte-t-il. Certains d’entre eux vivent aujourd’hui discrètement en Afrique du Sud. » Nous avons rencontré Jacques Attali, à l’occasion de la sortie de « Gandhi » ( éditions Fayard , 2008) pour aborder les enjeux de cet idéal de vie qui reste du ressort de l’utopie dans nos sociétés modernes.
Entretien avec Jacques Attali : La Tolérance et la violence sont deux mécanismes nécessaires à la survie humaine, ils s’affrontent constamment, ils sont aussi du ressort de l’utopie ? L’Inde et en particulier Gandhi a démontré qu’il est tout à fait possible d’imaginer cette règle de vie qui se dresse contre la violence. De ce point de vue, on peut dire que l’Inde a été très en avance pour son temps. Car elle a crée le grand modèle utopique qui continue à être aujourd’hui le modèle recherché. Celui d’une société qui cohabiterait en harmonie avec les humains et la nature. Ce modèle utopique de cohabitation correspondrait en fait à une sorte de mondialisation réunie et réussie qui engloberait entre autre, le développement durable ! Aujourd’hui, certaines leçons de l’Histoire ne sont pas pour autant acquises, selon vous il y aurait encore des perdu rances d’attitudes paternalistes que le Nord afficherait à l’égard du Sud ? Le concept d’économie de marché comme celui de la démocratie sont à mon sens, des concepts universels. L’économie de marché, c’est avant tout accéder à la liberté d’entreprendre alors que la démocratie est le choix libre et secret d’un homme politique. Naturellement, il y a beaucoup de phases intermédiaires, il y a beaucoup d’institutions car la démocratie ne se réduit pas au bulletin de vote. Ces phases intermédiaires obéissent avant tout des à des traditions et à des cultures nationales qu’il faut respecter. La non violence de Gandhi fut une arme politique redoutable, pensez vous qu’aujourd’hui elle aurait le même impact alors que les sociétés humaines n’ont de cesse de proclamer que la loi est celle du plus violent ? On peut en fait douter de savoir si « l’arme » de Gandhi était vraiment efficace, d’autant que comme nous le savons, l’indépendance indienne n’a pas été le fruit de la non violence indienne. Elle a été plutôt obtenue dans des circonstances qui s’apparenteraient aujourd’hui à la situation des américains en Irak, à savoir se retirer à un moment où cela devient intenable politiquement et où les menaces de guerre civile et de violence deviennent trop importantes. L’Angleterre était ruinée économiquement par la guerre et elle avait décidé alors de partir. Il est donc tout à fait légitime aujourd’hui de se demander si la politique de Gandhi a été nécessaire ! Car des gens comme Nehru qui ont évité l’écartèlement de l’Inde en plusieurs morceaux ont joué un rôle au moins aussi important que Gandhi. Evidemment, il ne faut pas oublier que Gandhi a incarné l’identité nationale plus que personne d’autre. Mais il y a certainement, dans la fonction de Gandhi quelque chose d’essentielle dans la libération et les droits de l’Homme. La politique d’aboutir par tous les moyens prévaut aujourd’hui pourtant ? l’utopie de la non violence reste le seul mode véritablement différent de nos sociétés. Quand les dictatures créent une violence par les armes, les marchés créent aussi des violences par l’argent ! La non violence à l’égard du global, c’est une utopie qui est une non violence y compris une non violence au regard de l’argent ! L’argent ne doit pas être une source de violence et d’élimination du plus pauvre. Il y a là véritablement, toute une structuration théorique de la non violence comme mode d’organisation tant du marché que de la démocratie. C’est véritablement, la seule utopie qui soit possible aujourd’hui.
La nécessaire protection de l’agriculture et la maîtrise de la consommation dans la pensée de Gandhi, ne coïncident elles pas avec les préoccupations actuelles sur le devenir de la planète et les multiples considérations écologiques ? Oui tout à fait, chez Gandhi il y a beaucoup de choses qui sont en avance : la protection de la nature, la crainte de la destruction de l’environnement, le souci de ne pas développer trop vite une société urbaine, la protection des traditions rurales et agricoles, le développement des technologies douces et en particulier le rouet et les techniques de tissage du coton. Tout ça, inclut des modes de développement durable que l’Inde n’a pas choisi. Gandhi avait peur du capitalisme et de la modernité ? Vous par contre la cultivez pour les pays du Sud ? Oui il détestait tant le progrès technique que le capitalisme qui étaient pour lui l’expression de l’Angleterre qu’il haïssait. Mais je pense qu’il aurait tout de même été assez ouvert à l’idée d’une technologie qui soit propre au système indien dans la mesure où cela n’entrait pas en contradiction avec l’identité du pays. Quant à ma perspective, je ne parlerai pas de capitalisme pour le Sud, mais plutôt de permettre aux plus pauvres d’accéder aux moyens de créer et de développer. Je voudrais plutôt promouvoir la capacité des hommes d’échapper à la misère. Je m’inscris plus dans une démarche de développement durable dans la dignité. Gandhi inventeur de l’écologie politique ? Sans aucun doute. Gandhi a mis le doigt en visionnaire qu’il était sur certaines problématiques contemporaines qui taraudent nos sociétés, le terrorisme par ex ? Gandhi a vécu le terrorisme dés la fin du XIXes, c’est plus que de la prédiction. Beaucoup d’hommes voisins de Gandhi dans l’Histoire, vont basculer dans l’apologie de la violence, la plupart étaient des révolutionnaires indiens. L’Inde moderne en passe de devenir la quatrième puissance mondiale, n’est ce pas l’aveu d’échec de l’idéologie Gandhiste ? Disons qu’en apparence oui, car l’Inde s’est construit différemment de Gandhi, elle s’est appuyée sur l’Industrie et non sur l’agriculture. Elle s’est construite sur les villes pas sur les campagnes. Elle s’est construite sur une coupure du pays en deux et pas comme le voulait Gandhi. Le point central de l’unité de l’Inde s’est fait sans Gandhi, bien sûr Patel a évité l’écartèlement de l’Inde et à ce titre, il reste un homme politique majeur pour ce pays. Il fut même plus important que Nehru. Mais Gandhi, incarne véritablement l’identité et l’unité indienne. Votre biographie de Gandhi, implique t elle quelque part une relecture de sa pensée ? J’ai essayé dans cette biographie exhaustive de mettre en perspective toute l’Histoire de l’Inde, en même temps de faire comprendre le parcours d’un peuple humilié par la colonisation. Je crois que d’autres peuples colonisés peuvent s’y retrouver comme d’autres libérateurs nationaux. C’est l’histoire de la façon dont le 21e s va être le siècle du retour sur la scène de l’Histoire des humiliés du 20es. J’espère que ce retour ne sera pas une revanche mais plutôt un dialogue nouveau des civilisations. Comment changer le rapport Nord Sud ? D’abord il n’y a plus de Sud et plus de Nord. Les poches de pauvreté et de richesse existent dans les deux régions. Il faut parvenir à une conscience globale pour le développement, de lutte contre la misère. Pour cela, il faut aboutir à une gouvernance mondiale changée dans laquelle le G8 ne soit plus le maître, le Conseil de Sécurité soit transformé et tous les pays du Monde doivent accéder à une représentation légitime. Aujourd’hui les leçons du Sud sont elles bonnes à prendre pour le Nord? Oui et c’est déjà le cas avec la micro finance qui est une notion venue du Sud. Nous voyons apparaître aujourd’hui des progrès technologiques dans le Sud, des entreprises très fortes pas nécessairement issues des revenus pétroliers comme en Chine ou en Inde. Il y a aussi des brevets, des idées, sans parler de la Musique qui reste avant gardiste au Sud. Elle annonce ou au moins apporte autant que le Nord. Beaucoup de traditions, de sens, de valeurs de la durée et du temps, issues des cultures du Sud également sont des leçons apportées au Nord.
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Fiche Technique : |
Gandhi ou L’éveil des humiliés
Genre : Biographies, mémoires, correspondances…
Editeur : Fayard, Paris, France
Collection : Documents
Prix : 23.00 € / 150.87 F
ISBN : 978-2-213-63198-1
GENCOD : 9782213631981
Sorti le : 24/10/2007
Extrait de l’éditeur: Jamais la violence n’a été plus présente et plus multiforme dans la vie des peuples. Jamais l’action et les idées de Mohandâs Gândhî, qui l’a combattue, sourire aux lèvres, jusqu’à en mourir, n’ont été plus actuelles. Peu de gens ont laissé une trace aussi profonde dans l’histoire humaine, traversant avec douceur un siècle de barbarie, adoré, divinisé par des dizaines de millions d’hommes, tentant de raisonner les pires monstres, faisant de son sacrifice un moyen de conduire les autres à l’introspection, révélant que l’humiliation est le vrai moteur de l’Histoire, pratiquant jusqu’à l’absurde la seule utopie permettant d’espérer la survie de l’espèce humaine : la tolérance et la non-violence.
Son destin porte la marque de notre passé, notre avenir portera la marque de son histoire. A suivre son incroyable destin, à raconter comment il conduisit un des plus grands peuples du monde, l’Inde, à l’indépendance, on comprendra qu’il n’y a rien de plus universel que cette vie si particulière, si intense, si mystique, et qu’elle permet même à chacun de nous de répondre à la seule question qui vaille : est-il possible de se trouver ?